Point de vue

L’Insee masque la situation des communes où il y a le moins de pauvres

L’Insee considère qu’il ne faut pas publier le taux de pauvreté des communes quand celui-ci est inférieur à 5 %. Résultat, l’institut masque la situation des villes les plus favorisées et l’ampleur des inégalités territoriales. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, extrait de La Gazette.

Publié le 29 septembre 2022

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Revenus Pauvreté Niveaux de vie Riches

Il est impossible de savoir dans quelle commune, en France, les taux de pauvreté sont les plus faibles. L’explication est simple : quand le taux est inférieur à 5 %, l’Insee le remplace par 5 %. Le classement des villes où il y a le moins de pauvres n’a donc aucun sens : toutes les communes affichent un minimum de 5 %, alors que le taux est peut-être de 1 %, 3 % ou 4 %, sans qu’on le sache. L’Observatoire des inégalités ne publie les données locales que pour les communes de plus de 20 000 habitants. Résultat : pour deux d’entre elles, Le Chesnay-Rocquencourt (78) et Gif-sur-Yvette (91), où le taux affiché par l’Insee est de 5 %, il peut être en réalité de 2 %, voire de 1 %. Nul ne le sait.

L’Insee ne souhaite pas que l’on puisse faire « de palmarès des communes les moins pauvres », autant dire des plus riches. L’institut public de la statistique donne une explication peu convaincante : il y aurait un « risque d’attirer l’attention de personnes malveillantes ». Qui peut sérieusement croire que les cambrioleurs se fondent sur ce type de palmarès et non sur leur connaissance des lieux pour choisir leurs cibles ? L’information a certainement de quoi faire sourire dans les commissariats de France.

Il faut donc que l’institut donne la véritable raison de sa pratique. Sinon, pourquoi publie-t-il le seuil de revenus d’entrée dans les 10 % les plus riches – diffusé à l’échelle de la commune et même pour des petits quartiers –, au moins aussi significatif de la richesse locale ? Pour information, le ministère des Finances diffuse le nombre de ménages imposables à l’impôt sur la fortune immobilière par communeÀ condition tout de même que la commune compte plus de 20 000 habitants et plus de 50 redevables à l’impôt sur la fortune immobilière.. Tant qu’à faire, supprimons toutes ces données sur la France qui va bien, car elles intéressent aussi les personnes malveillantes…

La pratique de l’Insee, incompréhensible, occulte en partie la situation de communes de petite taille ultra-favorisées qui n’accueillent quasiment pas de personnes pauvres et où les niveaux de vie sont très élevés. Dans certaines, comme Biviers (38) ou Saint-Nom-la-Bretèche (78), le plafond de revenus des 10 % les plus pauvres est de 20 000 euros annuels. C’est très au-dessus du niveau national et équivaut au plafond de niveau de vie des 40 % les plus pauvres pour la France entière. Des îlots où l’on vit entre semblables aisés, à l’abri du silence des statistiques.

Les cambrioleurs n’ont que faire des données de l’Insee. En revanche, si la pratique persiste, c’est bien qu’elle n’a jamais été dénoncée. Les chercheurs, sociologues, démographes et géographes s’intéressent bien peu à la question de la France des riches : autant la pauvreté suscite une littérature pléthorique, autant la richesse – sauf pour épingler quelques quartiers ultra-riches – ne fait pas couler beaucoup d’encre [1].

La France dispose d’un système de statistique public de grande qualité, et la connaissance des revenus des territoires a beaucoup progressé ces dernières années : rappelons-nous qu’il y a dix ans encore, l’Insee ne publiait pas de taux de pauvreté communaux. Rappelons-nous aussi qu’il y a peu, l’Insee calculait le taux de pauvreté dans les départements d’outre-mer avec un seuil inférieur, sur la base du niveau de vie médian local, et non sur celle des revenus nationaux comme c’est le cas pour le reste du pays. Si les choses ont évolué, c’est parce qu’un certain nombre d’experts ont souligné ces défauts de la statistique publique. En la matière, beaucoup reste à faire. N’en déplaise à l’institut [2], les données sur les revenus, et en particulier les plus hauts, progressent mais demeurent lacunaires sur de très nombreux points, ce qui limite la compréhension de notre société. C’est à nous de demander que ces manques soient comblés.

Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités

Extrait de « Pauvreté : l’Insee ne doit plus masquer les communes riches », Louis Maurin, La Gazette, 5 septembre 2022

Photo / La mairie de Gif-sur-Yvette, CC-BY-SA Besopha via Wikimedia Commons


[1Voir le Rapport sur les riches en France, édition 2022, Observatoire des inégalités, juin 2022.

[2Voir « Faut-il fixer un seuil de richesse ? », Christel Colin et Jean-Luc Tavernier, Insee, 1er juillet 2022.

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Date de première rédaction le 29 septembre 2022.
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