Analyse

Classe, âge, origine : quand les inégalités se cumulent

Fracture sociale, sexisme, discriminations : les inégalités constituent un système dans lequel les facteurs se combinent. Démêler le poids des différents facteurs n’est pas facile. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 14 avril 2023

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Emploi Catégories sociales Âges Origines Chômage

La fracture sociale est vive en France. Comme le montrent de très nombreuses données, ouvriers et employés sont le plus souvent en position dominée, avec de bas niveau de revenus et des conditions de travail difficiles. Ils sont aussi en moins bonne santé, dans des conditions de logement défavorables, avec un accès restreint aux loisirs. Ces écarts, isolés quand on observe la situation d’une catégorie sociale par rapport à une autre, sont inscrits dans un ensemble d’autres inégalités. Par exemple, une jeune ouvrière d’origine sénégalaise a des risques de subir les inégalités liées à son milieu social, mais aussi celles liées à son âge, son sexe et ses origines. Les inégalités forment un système d’ensemble avec des facteurs qui se conjuguent, se renforcent ou, parfois, se compensent.

L’enquête sur l’emploi de l’Insee permet d’en donner une illustration. En moyenne, le taux de chômage était de 8 % pour l’année 2020. Dès qu’on entre dans le détail, on mesure comment la réalité des uns est éloignée de celle des autres. Entre les cadres âgés de 30 à 49 ans et nés en France et les jeunes employés immigrés, le taux varie de 3,2 % à 19,6 %, soit six fois plus. Nos trois facteurs se combinent : la catégorie sociale (le taux de chômage des cadres supérieurs est de 3,7 %, alors que celui des ouvriers atteint 11,4 %). L’âge (15,9 % des jeunes actifs sont au chômage alors que 5,5 % des 50 ans ou plus sont dans ce cas. Le fait d’être immigré ou non (le taux de chômage des uns est 12,9 % contre 7,4 % pour autres).

Pour être plus complet, nous aurions pu ajouter d’autres éléments, comme le genre, le handicap, la situation familiale, le territoire ou la couleur de peau par exemple : on aurait alors obtenu des écarts encore plus importants. Le taux de chômage des jeunes femmes immigrées est, par exemple, supérieur à celui des jeunes hommes immigrés (21,9 % contre 17,3 %).

Comment démêler le rôle spécifique de chaque facteur ? L’exercice est beaucoup plus difficile. Il est pourtant indispensable car certaines statistiques sont trompeuses. Par exemple, les immigrés sont, en moyenne, moins diplômés que les non-immigrés : si on ne prend pas en compte ce paramètre, on observe des écarts qui sont liés au fait d’avoir migré, mais aussi de ne pas avoir fait de longues études. Si on prend l’école, l’effet est saisissant : quand on observe les résultats scolaires, les enfants d’immigrés réussissent moins bien, mais à niveau de diplôme équivalent, ils réussissent mieux ! Résultat, l’effet de l’immigration à l’école est plutôt positif.

Pour aller plus loin, il faut utiliser des outils statistiques complexes qui isolent l’effet d’un seul paramètre (comme la catégorie sociale ou l’âge) et qui mesurent une situation « toutes choses égales par ailleurs ». Ainsi, une étude de l’Insee [1] (de 2013) sur le risque de chômage montrait que le risque des 15 - 24 ans était 2,1 fois supérieur à celui des 60 ans ou plus, celui des immigrés 1,9 fois supérieur à celui des non-immigrés et celui des ouvriers 2,4 fois plus élevé que celui des cadres supérieurs. Malheureusement, on manque d’études de ce type. Pour les réaliser, il faut des échantillons de population de très grande importance que l’on subdivise et certaines données, comme la couleur de la peau, ne sont pas disponibles.

Ce raisonnement a aussi ses limites. Dans la vie réelle, une personne ne se résume pas à une caractéristique isolée comme le genre, la couleur ou le milieu social. Les expériences individuelles sont le produit de différents critères, qui peuvent se compenser ou s’additionner de manière défavorable. Comprendre les inégalités consiste donc à la fois à faire apparaître l’impact des différents facteurs et à prendre en compte un système d’ensemble.

Photo / CC Carlos Macias Jr


[1« Chômage de longue durée : la crise a frappé plus durement ceux qui étaient déjà les plus exposés », Jérôme Lê, Sylvie Le Minez, Marie Rey, France Portrait social 2014, Insee, novembre 2014.

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Date de première rédaction le 14 avril 2023.
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