Chômeurs, travailleurs précaires et découragés du travail : en France, plus de huit millions de personnes, soit un quart du total des actifs, sont fragilisées face à l’emploi.
La France compte 2,7 millions de chômeurs, selon les données 2018 de l’Insee, soit 9,1 % de la population active [1]. À lui seul, ce chiffre reflète mal la dégradation du marché du travail. Selon nos calculs, on peut estimer le nombre de personnes en situation de ce que nous appelons le « mal-emploi » à huit millions au total. Ce chiffre comprend les chômeurs, mais aussi les salariés précaires et les personnes qui souhaitent travailler ne sont pas comptées comme chômeuses par l’Insee.
En plus des chômeurs, la France compte 3,7 millions de travailleurs précaires : principalement des personnes en intérim ou en contrat à durée déterminée, dans le secteur privé ou le public (lire notre article). On recense aussi 1,6 million de personnes découragées, qui ne recherchent plus activement un travail tant la situation du marché de l’emploi est dégradée. Elles ne sont donc plus comptées parmi les chômeurs (lire notre article), mais comme inactives. Quand l’Insee les interroge, elles répondent pourtant qu’elles souhaiteraient travailler. Parmi eux, des mères de famille monoparentale qui n’ont aucun mode de garde pour leurs enfants, des adultes très peu qualifiés qui baissent les bras devant le type d’emploi et les rémunérations qu’on leur propose. En additionnant les chômeurs, les travailleurs précaires et les inactifs qui voudraient travailler, on aboutit à un total de plus de huit millions de personnes en situation de mal-emploi, soit un quart du total des actifs.
Bien sûr, une partie des chômeurs est depuis peu sans emploi et ne le restera pas longtemps. Certains « précaires » ont choisi un contrat court parce qu’ils ne veulent pas s’engager trop longtemps dans un poste. Imaginons donc que l’on puisse amputer arbitrairement notre calcul d’un million de personnes. Notre estimation serait alors portée à sept millions de personnes en mal-emploi, au minimum. À l’opposé, nos données ne comprennent celles qui n’osent même plus déclarer à l’Insee qu’elles voudraient travailler tant elles sont marginalisées. Celles qui, par exemple, trop âgées et trop peu qualifiées, attendent l’âge de la retraite sans rien demander. Il faudrait aussi ajouter les salariés en temps partiel subi [2], des femmes dans l’immense majorité des cas. Enfin, nous ne comptons pas non plus ceux qui sont « à leur compte », sans contrat durable (comme les chauffeurs Uber, par exemple). Une partie de ces non-salariés, en particulier les moins qualifiés, vivotent dans la plus grande précarité en enchaînant les heures de travail pour de très faibles rémunérations. Si l’on pouvait mettre ces cas bout à bout, nous devrions alors nettement regonfler nos chiffres.
Pourquoi ne s’inquiète-t-on pas davantage de cette situation ? Le mal-emploi ne frappe pas au hasard : il concerne une population peu organisée collectivement, dont les intérêts sont mal représentés. Le risque d’être au chômage et d’y rester, d’occuper un emploi précaire ou de décrocher de l’univers professionnel est en grande partie lié au fait d’être qualifié ou non. La masse des « mal-employés » est constituée de jeunes qui n’ont pas réussi à obtenir un titre scolaire, mais aussi de femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants et qui n’arrivent plus à reprendre pied dans l’emploi, ou encore des plus âgés qui baissent les bras.
L'état du mal-emploi en France | ||
---|---|---|
Milliers | % | |
Mal-emploi | 8 000 | 25,4 |
- Dont salariés précaires | 3 700 | 11,6 |
- Dont chômeurs | 2 700 | 8,6 |
- Dont inactifs souhaitant travailler | 1 600 | 5,2 |
Actifs et inactifs souhaitant travailler | 31 400 | 100 |
Illustration / © Anandita pour Observatoire des inégalités
Photo / CCO Pexels
[1] Un actif est une personne qui exerce un emploi ou qui en cherche un.
[2] Nous ne les avons pas ajoutés pour éviter de compter deux fois ceux qui sont à la fois en contrat précaire et en temps partiel subi.