Les inégalités de revenus remontent
Après une baisse dans les années 1970 et 1980, les inégalités de revenus repartent à la hausse depuis la fin des années 1990. Notre synthèse avec les principaux indicateurs sur le sujet.
Publié le 17 juillet 2024
https://www.inegalites.fr/evol-inegalites-long - Reproduction interditeL’évolution des inégalités de revenus en France est sujette à de vifs débats. Pour comprendre le phénomène, il faut l’analyser au cours du temps et utiliser différents indicateurs. Notre synthèse sur le sujet fait apparaitre un tournant à la fin des années 1990 qui sont marquées par une remontée des écarts. Observons les différents indicateurs.
Au vu du rapport entre le niveau de vie minimum des 10 % les plus riches et le niveau de vie maximum des 10 % les plus pauvres (dit « rapport interdécile ») [1], il ne se passe pas grand-chose du côté des inégalités de revenus dans les années récentes. On a assisté à une baisse très nette dans les années 1970. Ce mouvement s’interrompt à partir des années 1980. En 1970, les 10 % les plus riches avaient un niveau de vie minimum 4,6 fois plus élevé que le maximum des 10 % les plus pauvres. En 1984, ce rapport est de 3,45. Depuis, il oscille autour de cette valeur. Il atteint 3,4 en 2022. En apparence, il n’y a pas de dérive inquiétante.
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Le problème est que, par construction, cet indicateur ne prend pas en compte l’évolution de ce que touchent les très riches, ceux situés très au-dessus du seuil d’entrée dans les 10 % les plus aisés. Il ne compare que les seuils des 10 % du haut et du bas, sans considérer ce qui se passe en dessous et au-dessus de ces limites. Par exemple, si seul le 1 % le plus riche s’enrichit, le rapport ne change pas. L’image s’en trouve un peu limitée.
Source : Insee – © Observatoire des inégalités
« L’indice de Gini », un autre indicateur, est plus complet car il compare la répartition des revenus dans toute la population à une situation d’égalité théorique. Plus il est proche de zéro, plus on s’approche de l’égalité. Plus il tend vers un, plus l’inégalité est forte. Cet indice diminue jusqu’au milieu des années 1990 pour atteindre un point bas à 0,272 en 1998.
À la fin des années 1990, on assiste à un tournant dans l’histoire des inégalités de niveau de vie en France : l’indice de Gini se remet à augmenter fortement jusqu’à un sommet de 0,298 atteint en 2011. En 2021 et 2022, après plusieurs années d’accalmie, l’indicateur remonte à nouveau à ce niveau, à 0,294 précisément. La tendance à la hausse est sensible quand on écarte les valeurs extrêmes comme celles de 2011 et 2020.
Lecture : en 2022, l'indice de Gini des niveaux de vie est de 0,294.
Source : Insee - © Observatoire des inégalités
Ces tendances sont confirmées par le « ratio de Palma » qui rapporte la masse des revenus perçue par les 10 % les plus riches à celle que reçoit l’ensemble des 40 % les plus pauvres. Il ressemble à l’indice de Gini mais ne tient pas compte de la population située entre ces deux tranches. En zoomant sur les 25 dernières années, on observe que les 10 % les plus riches percevaient en 1999 la même masse de revenus que l’ensemble des 40 % les plus pauvres alors que ces derniers sont quatre fois plus nombreux. Le ratio de Palma était alors de 1. La part captée par les plus riches dans l’ensemble des revenus a progressé significativement ensuite, pour atteindre un sommet à 1,11 en 2011. Entre 2013 et 2017, le ratio est redescendu autour de 1,01. Il remonte à 1,09 en 2021 et 2022, l’un des plus hauts niveaux enregistrés depuis le début des années 2000.
Source : Insee – © Observatoire des inégalités
En conclusion, les inégalités de niveau de vie, observées à travers ces différents indicateurs, n’explosent pas en France. Mais la tendance historique à la baisse s’est retournée. Tout au long des années 1970 à 1990, les revenus des pauvres et des riches avaient tendance à se rapprocher. Depuis la fin des années 1990, les écarts entament une remontée, avec des pics marqués en 2011-2012 et en 2018. Les deux dernières années pour lesquelles nous disposons de données, 2021 et 2022, se situent parmi les plus inégalitaires des dernières décennies, notamment pour les indicateurs qui tiennent compte des revenus des très riches.
La crise sanitaire, puis deux années d’inflation, n’ont pas bouleversé les hiérarchies ni l’ampleur des écarts. Les chocs économiques récents ont été en grande partie amortis par des mesures globales – telles que le bouclier tarifaire sur l’énergie et l’essence – et par des aides ponctuelles aux plus pauvres – comme les chèques énergie par exemple. Surtout, la baisse du chômage a permis à une partie des plus modestes d’améliorer leurs revenus du travail.
Mais les inégalités de revenus se maintiennent à un niveau élevé. Les plus riches prospèrent grâce à des revenus financiers en hausse et à la suppression de la taxe d’habitation, tandis que la pauvreté continue de s’accroitre. Entre 2022 et la mi-2024, l’inflation est demeurée sur un rythme élevé. Or, les personnes aux revenus les plus faibles subissent plus fortement les hausses de prix des biens essentiels, et voient leurs marges de manœuvre de plus en plus réduites.
Photo / CC Hyejin Kang
[1] Ce rapport est calculé une fois les impôts directs retirés et les prestations sociales ajoutées, pour une personne seule.
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