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Comment améliorer la mixité dans les formations initiales ?

Réaliser l’égalité entre femmes et hommes, c’est permettre à chacune et chacun de choisir son métier, en s’affranchissant des stéréotypes. Une politique de mixité commence à l’école primaire et passe par une attention aux conditions de scolarité dans l’enseignement professionnel. Les propositions de Clotilde Lemarchant, sociologue.

Publié le 4 mars 2024

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Éducation Emploi Femmes et hommes Système scolaire

Peut-on choisir librement son métier aujourd’hui, que l’on soit fille ou garçon ? Si la ségrégation dans l’univers professionnel reste aussi forte entre les sexes, c’est d’abord parce que les formations initiales ne sont pas vraiment mixtes. La mixité [1], malgré les limites constatées à ses modalités d’application, est un moyen essentiel pour réaliser l’égalité entre hommes et femmes, mais elle doit être soutenue, étayée, organisée. Les formations gagneraient à porter plus d’attention à l’ouverture aux deux sexes de leurs établissements et à veiller à leur bon accueil.

Les écoles publiques et lieux de formations sont mixtes juridiquement depuis 1975 en France (et à des dates semblables dans les pays occidentaux). Mais en pratique, le processus de mixité demeure largement inachevé dans nos sociétés : filles et garçons restent cloisonnés dans de nombreuses filières. Particulièrement spécialisées, les formations techniques et professionnelles sont un bon promontoire pour l’observer. Dans les filières de secrétariat-bureautique de l’enseignement secondaire [2] par exemple, les filles représentaient 98 % des élèves en 1984. Elles constituaient seulement 2 % des effectifs en électricité-électronique. L’évolution en 18 ans est très faible : en 2002, la part des filles est passée à 95 % en secrétariat-bureautique et à 3 % en électricité-électronique [3].

Cette grande stabilité des chiffres caractérise la dernière décennie également. En 2015, les filles représentaient 43,8 % des candidats et candidates au bac professionnel. Elles étaient 14,4 % dans les spécialités de production et 69,4 % dans les services, selon les données du ministère de l’Éducation nationale. Le constat de ces cloisonnements montre que sont toujours réactivés des stéréotypes anciens : aux femmes, le soin et les services aux personnes ; aux hommes, la maîtrise de la matière et la décision.

Certes, il faut tenir compte des trajectoires d’exception, toujours possibles. Mais l’observation et l’analyse des expériences scolaires atypiques dans les formations techniques amènent au constat d’inégalités d’accueil des jeunes selon le sexe : les jeunes hommes en secrétariat ou coiffure sont bien mieux accueillis et intégrés que les jeunes femmes en mécanique ou électronique. Celles-ci se disent « testées », remises en cause dans leur choix et leur place, quand ceux-là se décrivent comme entourés et « chouchoutés », avec les conséquences que cela implique sur l’assurance de soi, la recherche d’un lieu de stage, la persévérance et l’insertion à la sortie. Marcher sur les territoires habituellement réservés à l’autre sexe est plus couteux pour les jeunes femmes que les jeunes hommes et les clichés vont bon train.

Si l’on considère que cette réalité n’est pas seulement une question de nature, ni d’essence – manière de présenter les choses de façon figée, immuable et binaire – ; si l’on considère qu’elle n’est pas seulement une question de caractère liée à la singularité des individus, étant donné la régularité des chiffres, alors ces réalités sont bien pour une large part le résultat d’une construction sociale, d’un processus appelé « effet de genre [4] ».

La mixité en débat

La loi « mixité » de 1975 a constitué un pas décisif et novateur. Après une longue histoire de ségrégation, presque deux générations ont expérimenté le cadre de la mixité. Mais parfois ce contexte a déçu et la mixité vient à être contestée – tandis que la parité [5] a fait son chemin.

D’une part, la non-mixité est revendiquée par des groupes antiféministes ou masculinistes [6] pour « sauver » les garçons d’un « environnement féminin » qui leur serait néfaste. De récentes expériences de scolarité non mixte ont d’ailleurs été réalisées. Mais les travaux de Gaël Pasquier [7] montrent que se rejouent alors d’autres rapports de force, une catégorie de garçons se positionnant contre une autre, davantage dominée. D’autre part, la non-mixité des classes est parfois présentée comme bénéfique pour les filles, en se basant sur les résultats d’études de psychologie sociale qui ont affirmé qu’en présence de l’autre sexe se développent des stéréotypes de genre [8]. Des traits spécifiques et des rôles dits masculins ou féminins se renforceraient en contexte non mixte. Mais il est difficile de dire que c’est seulement le contexte de mixité qui aurait renforcé les inégalités de sexes [9].

Si la mixité ne suffit pas à résoudre les inégalités chroniques entre les sexes, elle doit être consolidée pour plusieurs raisons. Elle favorise la connaissance de l’autre – au lieu de développer la peur. Dans les années 1950, on craignait que la mixité à l’école attise « les curiosités malsaines ». Au contraire, elle a permis de dédramatiser en partie le corps différent. Elle rend possible la camaraderie et le compagnonnage construit au fil des tâches effectuées ensemble. Elle estompe les catégories binaires et permet d’expérimenter diverses façons d’être garçon ou fille. Au contraire, la non-mixité risque de renforcer l’idée que les rôles différenciés des femmes et des hommes seraient inscrits dans la nature, ainsi que l’aspect binaire des catégories humaines, puisqu’elle exclut d’emblée une moitié de la population sur un critère biologique. Comment vont se situer les personnes LGBT [10] dans un lycée non mixte ? Sans compter que la non-mixité n’efface pas non plus les rapports sociaux de classes qui se jouent à l’intérieur d’un groupe de garçons ou de filles.

Notons que le principe de la mixité est validé par les filles et les garçons qui en sont quasiment privés : les élèves atypiques des formations techniques du secondaire (les filles dans les formations où les garçons sont majoritaires et inversement), à plus de 90 %, rejettent la perspective de formations non mixtes dans leur spécialité. Même quand l’accueil est rugueux, chez des jeunes femmes minoritaires, la mixité est plébiscitée. Cela n’empêche pas ponctuellement la mise en place d’expériences et de plages de non-mixité : quelques réunions ou quelques heures de piscine ou de sport réservées aux femmes si certaines se sentent gênées par des regards masculins. Récente, la mixité met du temps à s’installer et elle reste à penser et à construire. Il s’agit de trouver les mots et les outils pédagogiques pour la mettre en œuvre et lutter contre les stéréotypes. Voici quelques mesures concrètes.

Bien avant l’orientation en fin de troisième

La première consiste à éduquer à l’égalité entre les sexes et au respect mutuel entre filles et garçons. Les choix d’orientation se jouent bien avant l’orientation en fin de troisième. Il faudrait mettre ces questions aux programmes à l’école : au collège, en français et en instruction civique ; en primaire, des séances de philosophie pour les petits. Poursuivre les concours d’affiches sur l’égalité femmes-hommes. Remettre à disposition du corps enseignant les nombreux outils (comme les « ABC de l’égalité ») dont nous disposons pour lutter contre les stéréotypes de genre dès les plus petites classes, en prenant soin de l’expliquer aux parents.

Les personnels de l’enseignement primaire et secondaire, mais aussi de l’orientation scolaire et professionnelle, devraient être informés et formés aux études de genre, dès leur formation initiale, par des chercheurs et chercheuses qualifiés. Il faudrait proposer des séances pour les enseignantes et enseignants des classes qui constituent des paliers d’orientation, comme la 3e. Il faudrait nommer un ou une référente « égalité filles-garçons » au sein de chaque établissement scolaire.

Il faut également porter une attention particulière aux formations marquées par des ségrégations sexuées, qui préfigurent celles des métiers auxquelles mènent ces formations : tutorat, marrainage ou parrainage. Il faut aussi accorder une attention aux toilettes et aux vestiaires non mixtes, les rendre propres et tranquilles. Et aussi, remettre en place le « Prix de la vocation scientifique et technique des filles » décerné par l’État à des jeunes femmes qui s’orientent vers des études où elles seront minoritaires.

De façon générale, il faut accorder une attention à la dissymétrie entre situation des hommes et situation des femmes. Les actions envers les hommes et envers les femmes ne doivent pas forcément être les mêmes, sous couvert d’égalité.

Clotilde Lemarchant
Sociologue, professeure à l’Université de Lille, chercheuse au Centre lillois d’études et de recherche sociologiques et économiques (Clersé) et directrice adjointe de la revue Travail, genre et sociétés. Autrice de Unique en son genre. Filles et garçons atypiques dans les formations techniques, PUF, 2017.

Texte extrait de Réduire les inégalités, c’est possible ! 30 experts présentent leurs solutions, sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, novembre 2021.

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Réduire les inégalités, c’est possible ! 30 experts présentent leurs solutions, sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, novembre 2021.
128 pages.
ISBN 978-2-9579986-0-9
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[1La mixité est la coexistence des deux sexes en un même lieu.

[2C’est-à-dire en CAP, BEP, bac professionnel et technologique.

[3Selon « Filles et garçons dans le système éducatif depuis vingt ans », Fabienne Rosenwald, Données sociales : la société française, Insee, 2006.

[4L’effet de genre désigne le processus social qui divise l’humanité entre deux sexes et construit une hiérarchie entre hommes et femmes jusque dans nos pensées.

[5La parité est la présence des hommes et des femmes en nombre égal.

[6L’antiféminisme désigne un vaste ensemble de réactions, individuelles ou collectives, contre le progrès social que représente l’émancipation des femmes. Le masculinisme est un mouvement présentant les hommes comme des victimes, dans la société et à l’école.

[7« Les expériences scolaires de non-mixité : un recours paradoxal », Gaël Pasquier, Revue française de Pédagogie, n° 171, p. 97-101, 2010.

[8« Can Single-sex Classes in Co-educational schools Enhance the Learning Experiences of Girls and/or Boys ? », Carolyn Jackson, British Educational Research Journal, vol. 28, n° 1, 2002.

[9Voir « Ce que la mixité fait aux élèves », Marie Duru-Bellat, Revue de l’OFCE, 2010.

[10LGBT : lesbiennes, gays, bisexuels, transexuels.

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Date de première rédaction le 3 mars 2022.
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