Analyse

2017-2022 : les mesures fiscales et sociales ont surtout bénéficié aux très riches

Les réformes de la fiscalité et de la protection sociale du quinquennat qui s’achève ont modifié le paysage des inégalités de revenus. Principalement en faveur des plus riches et au détriment de ceux qui ne sont pas en emploi. Une analyse d’Anne Brunner de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 2 février 2022

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Revenus Niveaux de vie Pauvreté Riches

Les réformes de la fiscalité et des prestations sociales décidées au cours du quinquennat 2017-2022 ont augmenté les inégalités entre les deux extrémités de l’échelle des revenus, selon une évaluation de l’Institut des politiques publiques (IPP) [1]. Les 5 % les plus pauvres n’ont tiré aucun bénéfice des mesures prises, leur niveau de vie a même diminué pour certains. Pour l’immense majorité de la population, située entre les 5 % les plus pauvres et le 1 % le plus riche, l’amélioration des revenus sous l’effet des politiques menées est de l’ordre de 1 % à 2 % annuels. Les membres du 1 % le plus riche sont les grands gagnants de ces mesures, qui font progresser de près de 3 % leurs revenus après impôts. Au total, si on raisonne en pourcentage, les mesures de ces cinq dernières années ont eu un effet relativement égal sur la quasi-totalité des ménages, avec deux exceptions : les très riches, qui se sont beaucoup plus enrichis, et les très pauvres, qui en ont été exclus.

En euros, plus on est aisé, plus on a bénéficié des réformes, toujours selon cette étude. Pour les personnes situées parmi les 5 % les plus pauvres, l’effet des mesures gouvernementales serait compris entre - 35 et + 39 euros annuels, c’est-à-dire quasiment rien. Entre les 6 % les plus pauvres et le milieu de l’échelle des revenus (environ 1 800 euros par mois après impôts pour une personne seule), l’amélioration est un peu plus sensible, aux alentours de 200 euros annuels. À partir des 50 % les plus aisés, le gain s’élève. Dans le tiers supérieur, il est de 500 euros annuels. Pour les 5 % du haut, c’est 600 euros ou plus, jusqu’à 3 500 euros pour le 1 % supérieur.

L’effet taxe d’habitation

Un grand nombre de mesures ont été prises en cinq ans, dont les conséquences en matière de revenus se cumulent. La suppression de la taxe d’habitation est, de très loin, la plus coûteuse. Elle représente 18,5 milliards d’euros de perte annuelle pour les finances publiques, sur un total de 28 milliards de baisses d’impôts et de cotisations sociales. Les plus pauvres, déjà exonérés de cet impôt, n’y ont logiquement rien gagné. Pour les autres, le gain est proportionnel à la valeur de leur logement, qui, en gros, progresse avec le niveau de vie.

Les autres réformes fiscales, plus modestes pour le budget de l’État, ont toutes eu des effets inégalitaires. La réforme du barème de l’impôt sur le revenu [2] a diminué l’imposition des classes moyennes (situées entre les 50 % et les 80 % les plus riches). La transformation de l’impôt sur la fortune en un impôt sur la seule fortune immobilière et la réduction de l’imposition des revenus financiers ne concernent que les très très riches (le 1 %, et même principalement le millième le plus riche de la population, selon les auteurs de l’étude). Quant aux taxes qui ont été augmentées (sur le tabac et l’énergie), elles pèsent davantage sur le budget des ménages les plus pauvres.

Ces cinq années se soldent aussi par quatre milliards de baisse des prestations sociales. Certaines mesures ont été favorables aux plus pauvres. D’abord, les moins favorisés qui travaillent ont bénéficié de la hausse de la prime d’activité (2,7 milliards d’euros par an) suite à la mobilisation des « gilets jaunes ». Le minimum vieillesse et de l’allocation adulte handicapé ont aussi été revalorisés (+ 1,3 milliard d’euros au total). Ces dépenses ont été largement récupérées sur les pensions de retraite (- 3,4 milliards), les indemnités chômage (- 2,3 milliards) et les allocations logement (- 1,1 milliard). Attention tout de même : l’étude de l’IPP ne prend pas en compte les mesures de soutien transitoires de 2020, lors du confinement, ni les mesures récentes (prime de 100 euros) liées à la montée du prix de l’énergie.

Au bout du compte, si l’on raisonne en pourcentage, les catégories qui ont bénéficié des mesures prises durant ces cinq dernières années sont donc les très aisés et, dans une moindre mesure, ceux qui ont un emploi au bas de l’échelle des salaires grâce à la prime d’activité. Les retraités, les chômeurs, ceux qui n’arrivent pas à remettre le pied à l’étrier du travail apparaissent comme les grands perdants. Si l’on raisonne en euros, le soutien aux revenus est tout simplement croissant en fonction du niveau de vie : plus vos revenus sont élevés, plus vous avez gagné, avec une prime considérable aux très riches.

Estimation de l'effet des mesures prises pendant les années 2017-2022 sur le niveau de vie. Lecture : pour le centième le plus riche, l'ensemble des mesures sociales et fiscales du quinquennat a augmenté le niveau de vie de près de 3 %.

Source : Institut des politiques publiques – © Observatoire des inégalités

Graphique Données
Estimation de l'effet des mesures prises pendant les années 2017-2022 sur le niveau de vie. Lecture : pour le centième le plus riche, l'ensemble des mesures sociales et fiscales du quinquennat a augmenté le niveau de vie de 3 519 euros annuels.

Source : Institut des politiques publiques – © Observatoire des inégalités

Graphique Données
Faut-il mesurer l’évolution des revenus en pourcentage ou en euros ?
Le raisonnement en pourcentage est relatif : il mesure ce que l’on gagne en plus ou en moins, en proportion de ses revenus. Le raisonnement en euros est « absolu » : il mesure combien on gagne tout court. Chacun choisit de raisonner en pourcentage ou en euros, souvent en fonction de ses options politiques. En simplifiant, ceux qui raisonnent en pourcentage estiment qu’un gain de dix euros est plus utile (il répond à des besoins plus essentiels) à une personne qui gagne peu qu’à une personne qui gagne beaucoup.

Photo / Crédit © Orbon Alija


[1« Les impacts redistributifs du budget 2022 sur les ménages, et rétrospective des cinq dernières années », Paul Dutronc-Postel et al., Institut des politiques publiques, novembre 2021.

[2En 2020, la décote de l’impôt a été étendue à davantage de foyers aux revenus qui les situent dans les classes moyennes supérieures et aisées, ce qui a eu pour effet de réduire leur imposition.

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Date de première rédaction le 2 février 2022.
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