Point de vue

Rapport sur les riches en France : une première en France

Le premier Rapport sur les riches en France décrit la situation des couches aisées de notre pays. En voici l’avant-propos, par Noam Leandri et Louis Maurin, président et directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 9 juin 2020

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Revenus Riches

Le premier Rapport sur les riches en France de l’Observatoire des inégalités a été réalisé dans un contexte très particulier de la crise du Covid-19, qui a déjà tué des dizaines de milliers de personnes en France. La pandémie révèle les fractures de nos sociétés, celles-là mêmes que nous observons à l’Observatoire des inégalités depuis notre création en 2003. Les personnes les plus démunies, à la santé déjà fragile, sont celles qui offrent un terreau de choix au virus. Les salariés les moins rémunérés (aides-soignantes, caissières, livreurs, etc.) sont en première ligne. À l’autre bout, une partie de la France aisée, les « premiers de cordée », est partie se mettre à l’abri dans sa résidence secondaire.

L’Observatoire des inégalités ne cherche pas à faire du marketing des inégalités, à dramatiser la situation sociale pour alimenter le « buzz », à compter sur la pandémie pour vendre. Notre Rapport sur les riches en France était en gestation depuis près d’un an. Il arrive à un moment charnière de notre histoire. On aurait tort de s’en servir pour montrer du doigt telle ou telle catégorie de la population : une partie des plus aisés, les médecins par exemple, montent aussi au front en prenant des risques énormes. Le Covid- 19 frappe tous les milieux sociaux. Les plus âgés, quelle que soit leur classe sociale, en sont les principales victimes.

Ceux qui pensent trouver avec cet ouvrage un brûlot anti-élite auront quelques surprises. Ce rapport a un seul objectif : décrire la situation des couches aisées de notre pays dont on connaît peu de choses, à l’inverse des pauvres qui font couler beaucoup d’encre et sont l’objet de tonnes de livres et de dizaines d’enquêtes chaque année. L’Observatoire des inégalités a d’ailleurs lui-même consacré à l’automne 2018 un rapport sur leur situation [1]. Au sujet des riches, en revanche, la littérature est beaucoup moins développée. Combien gagnent-ils ? Comment évoluent leurs revenus ? On n’en sait rien ou presque. Il n’existe même pas de seuil de richesse officiel, à l’instar du seuil de pauvreté, largement utilisé.

Vous tenez entre les mains un document unique : un rapport détaillé qui esquisse un portrait des riches en France, leurs conditions de vie, leurs revenus, etc. Une première : aucun organisme ne s’était encore donné la peine de constituer un ensemble aussi complet et accessible sur ces classes favorisées.

Les riches ne sont pourtant pas inconnus des chercheurs. Parmi eux, les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont enquêté dès les années 1980 sur la haute bourgeoisie [2]. Le travail de l’économiste Thomas Piketty a fait énormément avancer la connaissance sur le haut de la distribution des revenus depuis les années 1990 [3]. Nous reprenons d’ailleurs certaines de ses données dans ce document. Régulièrement, la presse publie aussi ses classements des plus riches (les magazines Challenges et Capital pour la France ou Forbes pour le monde, par exemple). Reste que pour l’heure, aucun document d’ensemble n’avait été consacré au sujet.

« Pour vivre heureux, vivons cachés ». Il faut bien dire que les riches ont avantage à ce qu’un brouillard soit maintenu pour éclipser leurs privilèges. Ils ont beaucoup plus de poids dans la diffusion des données et le débat public que les plus pauvres. Favorables à la concurrence et à la liberté économique en paroles, ils libèrent très difficilement l’information sur leur situation. Le Conseil national de l’information statistique, censé orienter la production de la statistique au nom de l’intérêt général, s’inquiète aussi beaucoup moins de la richesse que de la pauvreté. Pourtant, une grande partie des données qui concernent cette partie de la population sont disponibles au ministère des Finances, à partir des déclarations d’impôts ou des fichiers bancaires. Comment établir alors un partage équitable de la richesse du pays sans que l’on connaisse sérieusement qui récupère combien ? Cette question prend un nouveau relief alors que la crise du coronavirus appelle à un effort de solidarité, actuel et à venir, sans précédent.

L’économiste Thomas Piketty a montré comment, à force d’acharnement, on pouvait accéder à davantage de données sur les hauts revenus. La maîtrise de l’information par les catégories supérieures n’empêche pas que le savoir progresse. Si on en sait si peu sur les riches, c’est aussi parce que l’appareil statistique se consacre d’abord à décrire la situation de ceux qui vivent le plus mal. Logique. La question n’est pas tant, au fond, qu’on en sache plus sur les riches, mais bien de décrire la société dans son ensemble et de pouvoir discuter sérieusement de la répartition des ressources.

On ne va pas se mentir. L’objet « riche » est difficile à saisir. Qui sont les riches ? Bien malin qui peut y répondre. L’Observatoire des inégalités est le seul organisme en France à publier chaque année un seuil de richesse, seuil que nous estimons au double du niveau de vie médian, soit aux alentours de 3 500 euros net mensuels après impôts pour un adulte. Même si elle recouvre des réalités différentes, la richesse, c’est d’abord de l’argent. Et plus on s’élève dans la hiérarchie des revenus, plus les inégalités sont marquées. L’univers des riches est hétéroclite : il y a bien plus d’écart de revenus chez les riches que chez les pauvres. Il y a un monde entre notre seuil de richesse et celui des grandes fortunes. Où faire démarrer la richesse ? Au nom de cette disparité, faut-il laisser tomber de tels travaux ou se concentrer sur l’ultra-richesse ? Nous n’optons ni pour l’un, ni pour l’autre.

Il y a d’autres raisons à la rareté de l’information sur les riches. En pratique, il est bien plus simple, pour le chercheur ou le journaliste, de se pencher sur la situation des pauvres que sur celle des plus aisés. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot [4] ont bien raconté leur expérience en la matière, et comment les classes aisées leur ont, avec tact, rappelé leur condition inférieure. Le sociologue, généralement dans une position sociale supérieure, devient le dominé. S’approcher des riches demande de posséder des clés d’accès (des contacts, des recommandations) et de maîtriser des codes (vêtements, vocabulaire, etc.) plus complexes que ceux qui permettent de travailler sur le terrain des pauvres. Comme l’ont aussi montré les deux sociologues, travailler sur les riches peut aussi rapidement susciter de la méfiance de la part des autres chercheurs : n’y a-t-il pas là un risque d’arrangements entre les experts et les plus fortunés ?

Même si l’objet est difficile à définir, à mesurer et à comprendre, il nous a semblé important de porter à la connaissance du plus grand nombre les éléments que nous détenons sur le sujet après 17 années d’observation des inégalités. Si l’on veut comprendre les écarts à l’œuvre, il faut aussi bien observer le haut que le bas de la société. On ne pourra pas mieux répartir la richesse de notre pays sans mesurer plus précisément les moyens des couches favorisées, même si le travail est ardu.

Avec ce premier document, nous n’avons pas épuisé le sujet. Nous avons, autant que possible, voulu en faire le tour. Mais de nombreuses zones d’ombre persistent. Le manque de données nous fait souvent trébucher. En particulier, l’absence de seuil officiel de richesse débouche sur un vide statistique qui ne permet pas de mesurer l’évolution de la part et du nombre de riches en France.

Pour réaliser ce rapport, nous avons dû faire des choix. Nous revendiquons une définition large de la richesse : elle démarre pour nous autour des 10 % les plus aisés quand certains ne considèrent comme « riche » qu’une fraction très réduite de la population. Bien entendu, nous décrivons aussi les sommets de la hiérarchie. L’enrichissement d’une poignée de « premiers de cordée » est indécent et nous préoccupe. Leur gourmandise semble sans fin et résonne comme une insulte pour tous ceux qui sont dans la difficulté. Une vision restrictive de la richesse, par exemple du seul 1 % du sommet ou de la haute bourgeoisie, permet de mettre beaucoup de monde d’accord. Contre les ultra-riches, nous pouvons être tous unis : nous sommes à 99 % contre un. Il y a là une dose de démagogie. Le risque est grand de rendre invisible une catégorie de la population un peu moins aisée, qui disparaît du radar et peut ainsi se dédouaner de la solidarité. Pas vu, pas pris. Riche ou pas riche ? Tout est question de sémantique. Mais en se faisant appeler « classes moyennes supérieures », une partie des classes favorisées cherche à échapper à l’effort collectif.

Notre rapport est centré sur la richesse en France. Il pose, pour commencer, la question de la définition des seuils de richesse. À partir du moment où l’on ne se contente pas de prendre en compte les ultra-riches, où doit-on commencer ? Si le seuil de pauvreté équivaut à la moitié du niveau de vie médian, le seuil de richesse ne pourrait-il pas se situer au double ? La barre des 10 % les plus riches est-elle un bon seuil ? Ensuite, nous présentons les principaux éléments dont nous disposons en matière de revenus à travers de nombreux tableaux. Nous consacrons une partie complète à la question du patrimoine, formé de l’accumulation des revenus dans le temps ou simplement hérité sans effort. Nous envisageons aussi la question des formes non monétaires de la richesse. Est-ce que le fait, par exemple, d’avoir des perspectives de vie, du temps à soi, un niveau de diplôme élevé ne sont pas également des formes de richesse ?

L’Observatoire des inégalités ne prétend pas détenir la vérité. Toute catégorie statistique est une construction, qu’il s’agisse des riches ou des pauvres. Notre projet a surtout vocation à ouvrir un débat. Nous n’avons pas à « aimer » ou « détester » les riches. Les pauvres non plus, d’ailleurs. Nous constatons, en revanche, une distribution des richesses souvent trop inégale pour être juste. La pauvreté est le résultat de cette situation. On ne peut pas à la fois déplorer le dénuement des uns sans mettre en cause les privilèges dont jouissent les autres. Et, en matière de privilèges, chacun doit balayer devant sa porte plutôt que de pointer du doigt ceux qui sont encore plus riches que lui.

Les temps difficiles que connaît notre pays vont amener à moderniser les services publics, mais aussi à refonder la solidarité sur une base très large. Espérons que notre Rapport sur les riches en France, édité grâce au soutien de plus de 1000 contributeurs, apportera sa pierre à l’édifice.

Noam Leandri et Louis Maurin


Rapport sur les riches en France, première édition – 2020. Sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2020.

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[1Rapport sur la pauvreté en France, sous la direction de Louis Maurin, Observatoire des inégalités, octobre 2018.

[2Dans les beaux quartiers, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Seuil, 1989.

[3Les hauts revenus en France au XXe siècle, Thomas Piketty, Grasset, 2001.

[4Voyage en grande bourgeoisie, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, PUF, 2005.

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Date de première rédaction le 9 juin 2020.
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