Analyse

Les inégalités d’emploi dans la fonction publique territoriale

La précarité n’est pas l’apanage du secteur privé : l’insécurité et l’instabilité de l’emploi existent aussi dans la fonction publique. Par Valérie Schneider, de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 16 juin 2011

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Emploi Précarité

29 % des salariés de la fonction publique territoriale (soit environ 500 000 emplois) ne sont pas titulaires selon le rapport du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) « La précarité dans la fonction publique territoriale » (mars 2011). Les 29 % de non titulaires sont employés sous des statuts différents : 11,5 % remplacent un emploi permanent, 11,7 % un emploi non permanent, 3,3 % d’emplois aidés et 2,9 % d’assistants maternels et familiaux. Pour le Conseil, ces salariés sont davantage exposés à la précarité, sous plusieurs formes : conditions d’emploi, difficultés financières qui en découlent, moindre accès aux droits (santé, chômage, retraites, etc.),...

Derrière l’image de stabilité et de sécurité de l’emploi au sein de la fonction publique territoriale - comme pour la fonction publique tout court - se cache un univers professionnel inégalitaire. La grande majorité des agents entre dans le cadre du statut propre à la fonction publique [1]. Ils sont assurés pour une grande part de l’avancement de leur carrière (changement d’échelon et augmentation du salaire). Surtout, la pérennité de leur emploi est quasiment garantie, sauf cas très exceptionnels. Ce qui en période de plein emploi était secondaire est devenu un atout considérable. Il n’en demeure pas moins qu’une partie des personnes employées dans les mêmes établissements sont loin de disposer de toutes ces garanties, qu’il s’agisse d’avancement, de droits sociaux et surtout de stabilité de l’emploi. Leur situation n’a rien à envier à de nombreux emplois du secteur privé.

Qui sont les précaires dans la fonction publique territoriale ?

 les agents non titulaires

Les agents touchés au premier chef par la précarité sont les non titulaires. Il s’agit d’agents non fonctionnaires recrutés pour des postes non permanents (vacance de poste ou remplacement) à durée déterminée par contrat de droit public. Ils ont les mêmes obligations que les fonctionnaires, mais ne disposent pas des mêmes droits. Ils n’ont pas la garantie de l’emploi ; ils ne bénéficient pas d’avancement d’échelon ou de grade, ni de promotion interne ; ils ne peuvent pas participer aux élections des membres des commissions administratives paritaires. Au terme de leur contrat à durée déterminé, ils n’ont pas droit à une prime de fin de contrat comme les salariés du privé...

Les non titulaires représentent trois agents sur dix dans la fonction publique territoriale. C’est le cas pour « seulement » 14 % des salariés de la fonction publique d’Etat et hospitalière. 73,4 % de ces non titulaires appartiennent à la catégorie C (agents d’exécution), personnels les moins qualifiés. En moyenne, du fait de leur niveau de qualification, les non titulaires gagnent 1 576 euros de salaire mensuel contre 1 779 euros pour un titulaire (données 2007).

3 % de l’ensemble des agents de la fonction publique territoriale sont employés sous forme de contrats aidés. Les métiers les plus concernés sont ceux des secteurs de la médiation sociale et de la prévention, les agents de déchetterie, les jardiniers, etc... Six contrats aidés sur dix sont occupés par des femmes. Ces emplois sont limités dans le temps, à temps partiel et les conditions d’accès à la formation sont restreintes.

21 % des agents sont employés comme « contractuels », donc non titulaires, avec un contrat à durée déterminée de un à trois ans. Le recours aux contractuels est important dans la filière médico-sociale (notamment les services d’aide à domicile, dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes). Les secteurs relatifs aux nouvelles compétences des collectivités locales ont souvent recours à ce type de contrat pour recruter des chargés de mission : dans le domaine du développement local, de l’animation du territoire, des secteurs des politiques publiques d’aménagement. Les contractuels peuvent aussi être recrutés par les élus locaux pour constituer leur entourage proche. Ces agents peuvent voir leur contrat transformé en CDI, mais ils ne peuvent être titularisés que s’ils réussissent un concours de la fonction publique. Ces contractuels appartiennent le plus souvent aux catégories A (fonctionnaires chargés des fonctions de conception et de direction) et B (chargés des fonctions d’application et de rédaction). La précarité réside ici plutôt dans l’incertitude du renouvellement du contrat de travail que dans la faiblesse des revenus. Mais l’univers des contractuels est dual : il est constitué de postes d’encadrement qui auront peu de difficultés de reclassement en fin de contrat, mais aussi d’une part de main d’œuvre peu qualifiée pour qui le départ de la fonction publique aura des conséquences beaucoup plus graves.

 les agents en temps partiel subi

Pour les agents titulaires ou non, les revenus tirés d’emplois à temps partiel non choisis sont plus faibles et placent ces salariés, pour certains d’entre eux, en situation de grande fragilité financière. Quand ils ne travaillent pas à temps complet, et en particulier pour des temps de travail inférieurs à 60 % d’un équivalent temps plein, les non titulaires peuvent avoir des revenus proches du « seuil de bas salaire », selon le CSFPT, équivalent à 903 euros par mois en 2008, voire du « seuil de très bas salaire » soit 677 euros mensuels [2]. Parmi les titulaires (environ 165 000 agents) et les non titulaires (soit 70 000 agents et 50 000
assistantes familiales et maternelles), 13 % occupent des emplois à temps partiel non choisi, ce qui ne les met pas à l’abri d’une précarité financière malgré la sécurité de leur emploi.

Qui est concerné ?

 Les femmes représentent deux tiers des non titulaires

68 % des non titulaires sont des femmes dans la fonction publique territoriale. Elles occupent pour la grande majorité des emplois à temps partiel subi, et cumulent insécurité au travail et bas salaires. La maternité les expose à des interruptions de carrière qui les pénalisent.

 les secteurs professionnels les plus touchés par la précarité

Les secteurs les plus marqués par la précarité sont les métiers du scolaire et du périscolaire, les assistants maternels et familiaux, car ils emploient de nombreux non titulaires, en majorité des femmes. Les agents non titulaires représentent 16,8 % des effectifs de la filière technique, 30,4 % dans les métiers du sport, 24,4 % dans le social, 30,7 % dans la culture, 60,9 % dans l’animation (données 2008 hors assistantes maternelles).

Les non titulaires de la fonction publique territoriale par filière d'emploi
Unité : %
Poids de la filière dans les effectifs totaux
Part de non titulaires dans la filière
Administrative21,812,8
Animation6,160,9
Culturelle4,230,7
Incendie et secours2,80,3
Médico-sociale4,623,4
Médico-technique0,123,9
Sécurité1,23,2
Sociale9,524,4
Sportive1,130,4
Technique46,716,8
Hors filières1,391,4
Non déterminée0,597,5
Total10021,1

Source : Insee - 2008, tous statuts. Hors emplois aidés et hors assistantes maternelles

L’univers de la fonction publique territoriale est donc constitué - comme pour l’ensemble du secteur public - de fonctionnaires à vie et de non-titulaires mal rémunérés dont l’emploi est renouvelé d’année en année. Pour ces derniers, la situation est parfois pire que dans le secteur privé. Se retrouvent à travailler côte-à-côte des salariés qui n’ont plus de questions à se poser sur leur carrière et d’autres qui n’ont aucune visibilité. Cette situation est particulièrement délicate en période de chômage de masse. Au fond, les inégalités de salaires sont moindres dans le public que dans le privé, mais les inégalités face à l’avenir professionnel y sont bien plus grandes.

Pour en savoir plus :

 La précarité dans la fonction publique territoriale, Ministère de l’intérieur - mars 2011.

Photo / © PhotoAR - Fotolia.com


[1Il leur confère des obligations (discrétion professionnelle d’information au public, obéissance hiérarchique et réserve, etc.), et des droits comme la liberté d’opinion, le droit de grève, syndical, à la formation, à une rémunération fixe et à une protection en cas de mise en cause de leur responsabilité pénale dans le cadre de leur mission.

[2Voir notre article Les salaires dans la fonction publique.

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Date de première rédaction le 16 juin 2011.
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