Analyse

La fiscalité française est-elle juste ?

Les impôts et cotisations sont-ils justes en France ? Il faut d’abord s’intéresser à ce qui est taxé. Puis répondre à la question : les impôts pèsent-ils équitablement sur la population selon les niveaux de revenu ?

Publié le 12 décembre 2018

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Revenus Niveaux de vie

Pour mesurer le caractère plus ou moins juste du système fiscal français, nous sommes entrés dans le détail des impôts, ce qui n’est pas une mince affaire. Nous avons construit un tableau qui classe les principaux impôts selon leur mode de taxation et leur part dans l’ensemble des prélèvements.

Pour juger du caractère juste ou injuste de la fiscalité française, il faut d’abord s’intéresser à ce qui sert de base à la taxation, ce que l’on appelle « l’assiette » dans le jargon fiscal. Dans notre tableau, on remarque par exemple que les impôts sur la consommation – la TVA et la taxe sur les produits énergétiques (sur les carburants notamment) – représentent près d’un cinquième des recettes, soit trois fois plus que l’impôt sur le revenu. Et encore, une foule de petites taxes ne sont pas comptabilisées dans notre total. Or, plus le niveau de vie augmente, plus la part de la consommation diminue dans le revenu au profit de l’épargne. En conséquence, ce type d’impôts, rapportés au revenu, représentent une part proportionnellement plus faible pour les plus aisés. Il existe d’ailleurs un débat sur ce sujet complexe [1]. Les taxes ciblées sur certains produits (comme les carburants) pénalisent que ceux qui les consomment, sans tenir compte du niveau de revenu.

Le fonctionnement des principaux prélèvements obligatoires
Assiette
Montant en milliards
Part dans l'ensemble des prélèvements
Prélèvements proportionnels
Cotisations socialesSalaires38537,0 %
Contribution sociale généralisée (CSG)Revenus10710,3 %
Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)Consommation16315,7 %
Taxe sur les produits énergétiquesConsommation373,6 %
Taxe foncière (propriétaires)Valeur locative*343,3 %
Taxe d'habitation (locataires et propriétaires)Valeur locative*191,9 %
Droits de mutation**Valeur du bien121,2 %
Ensemble des prélèvements proportionnels75772,9 %
Prélèvements progressifs
Impôt sur le revenuRevenus737,0 %
Impôt de solidarité sur la fortune (ISF)Patrimoine40,4 %
SuccessionsHéritage131,2 %
Ensemble des prélèvements progressifs 908,7 %
Les inclassables
Autres impôts sur les ménages et impôts sur les entreprises19118,4 %
Ensemble des prélèvements obligatoires1 038100 %
*Estimation de la valeur du bien sur le marché immobilier. **Droits collectés par les notaires pour l'État au moment d’une vente immobilière ou de terrain, improprement appelés « frais de notaires ».
Source : calculs Observatoire des inégalités, d'après Assemblée nationale. Données 2017 – © Observatoire des inégalités

Il existe de très nombreux débats autour de l’assiette fiscale (la base sur laquelle repose le prélèvement). Doit-on plus ou moins taxer le patrimoine (débat sur l’impôt sur la fortune) ? Si oui, quel type de patrimoine (par exemple, faut-il taxer les œuvres d’art ?) ? Doit-on taxer plutôt les revenus de ce patrimoine (loyers, dividendes d’actions, intérêts, etc.) ? En matière de revenus issus du travail, doit-on taxer de la même manière les salaires, les revenus des indépendants, les retraites, etc. ?

Enfin, il faut bien comprendre de quelle assiette on parle. En France, nous avons beaucoup de mécanismes qui permettent de réduire l’impôt (notamment sur le revenu) : des « niches » fiscales qui constituent autant de trous dans l’assiette. Ces dernières créent un décalage entre les taux affichés et les taux réels (après utilisation des niches). Enfin, la fiscalité locale (la taxe foncière et la taxe d’habitation, en voie de suppression) repose sur une assiette dont l’évaluation date… des années 1970. Il est urgent de la réévaluer.

Proportionnel ou progressif ?

Une fois l’assiette définie, il faut évaluer le mode de prélèvement, qui peut être proportionnel ou progressif. On remarque dans notre tableau que le système fiscal français est presque exclusivement proportionnel aux revenus (cotisations sociales [2] et CSG) ou à la dépense (TVA et taxe sur les produits énergétiques notamment) : les trois quarts des prélèvements – et même 90 % de ceux que l’on peut classer – fonctionnent de la sorte.

« Proportionnel », cela veut dire qu’on prélève un pourcentage fixe de l’assiette, quel que soit le niveau de l’assiette. Un impôt proportionnel réduit les inégalités dites « absolues », c’est-à-dire exprimées en euros. Comment ça marche ? Un taux de 10 % donne par exemple un impôt de 100 euros pour un revenu de 1 000 euros et un impôt de 1 000 euros pour un revenu de 10 000 euros. Avant impôt, l’écart de revenu est de 9 000 euros (10 000 - 1 000). Après, il est de 8 100 euros (9 000 - 900). Un tel impôt proportionnel ne change rien en revanche aux inégalités dites « relatives » (mesurées par un rapport) : le rapport entre ces deux revenus est toujours de 1 à 10 (10 000 divisé par 1 000 avant impôt et 9 000 divisé par 900 après). Pour en savoir plus lisez notre article « Les impôts et les inégalités : comment ça marche ? ».

En France, il existe trois types d’impôts dits « progressifs » : dans ce cas, le pourcentage du prélèvement augmente avec l’assiette taxée. Il s’agit de l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune (devenu impôt sur la fortune immobilière) et les droits de succession (sur l’héritage). L’impôt progressif est le seul à réduire les inégalités absolues et relatives de revenus [3]. Dans ce domaine, il y a deux grands débats différents.

Le premier porte sur la part de cet impôt dans l’ensemble des recettes fiscales, qui est actuellement limitée : un peu moins d’un dixième de l’ensemble des prélèvements. L’impôt sur le revenu cristallise les oppositions, mais ses 70 milliards d’euros ne représentent qu’une petite partie des ressources de la collectivité (7 %). Doit-on en rester là ? Le second porte sur le degré de progressivité : comment sont étagés les différents taux appliqués pour le calcul des impôts, et quel doit être le taux le plus élevé ? Les plus aisés mettent en avant que des impôts trop élevés découragent la création de richesses, et donc d’emplois. Pourtant, les pays les plus riches du Nord de l’Europe disposent de taux élevés. Ces taux ont été également très hauts aux États-Unis, comme en France, durant les Trente glorieuses. On constate que les fortes baisses des taux supérieurs de l’impôt sur le revenu, décidées depuis 2000, n’ont eu aucun effet sur la croissance ou l’emploi. Bref, une forte progressivité ne semble pas nuire à l’activité.

Photo / © Lozz


[1Voir notre article « La TVA est-elle juste ? »

[2À une nuance prêt pour les cotisations sociales, dont une partie (retraite et chômage notamment) sont plafonnées pour les hauts revenus.

[3Si l’on est d’accord avec l’idée que dix euros d’impôts supplémentaires comptent plus pour quelqu’un qui vit avec 500 euros par mois (parce qu’il s’agit de besoins de base) que pour quelqu’un qui touche 10 000 euros (il s’agit surtout d’épargne), alors il est légitime de penser que le second peut mettre proportionnellement plus au pot commun et être taxé davantage.

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Date de première rédaction le 12 décembre 2018.
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