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Inégalités d’accès à la culture : démocratiser les pratiques par l’éducation

Pour réduire les inégalités d’accès aux pratiques culturelles, il ne suffit pas d’apporter la culture au peuple. Il faut mettre en place des politiques de démocratisation dotées de moyens plus importants en direction des publics, en particulier les plus jeunes. Les propositions d’Olivier Donnat, extraites de notre ouvrage Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent.

Publié le 15 octobre 2018

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Modes de vie Culture et loisirs

La question des inégalités d’accès à la culture est, en France, aussi ancienne que la politique culturelle puisque la principale mission assignée au ministère des Affaires culturelles à sa création en 1959 était de « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». Plus d’un demi-siècle est passé, le nombre d’équipements culturels et d’artistes a augmenté de manière spectaculaire et pourtant, les résultats d’enquêtes montrent que les pratiques culturelles des Français sont toujours fortement liées à leurs niveaux de vie ou de diplôme [1].

Faut-il pour autant conclure à l’échec de la politique de démocratisation ? Ce serait oublier que les inégalités culturelles, pour une large part, reflètent l’état général de la société, et notamment qu’une grande partie d’entre elles trouvent leur origine dans le caractère sélectif du système scolaire français. N’oublions pas que la France est « le pays où la méritocratie républicaine est la plus fortement revendiquée mais aussi l’un de ceux où les destins scolaires sont le plus fortement liés aux origines sociales et au capital culturel des familles » [2].

Rappeler que les inégalités culturelles sont, dans une large mesure, le produit de logiques sociales sur lesquelles la politique culturelle a peu de prise, peut conduire à faire le deuil de l’ambition de démocratisation et à prôner un recentrage de l’effort des pouvoirs publics sur le soutien à la création artistique et la valorisation du patrimoine. Si l’on refuse de céder à cette tentation, l’alternative consiste à tenter d’identifier les principaux facteurs susceptibles d’améliorer les conditions d’accès à la culture. À cet égard, quatre points nous paraissent essentiels : rompre avec la rhétorique de la démocratisation, inscrire durablement l’éducation artistique et culturelle dans les politiques éducatives, doter les établissements culturels des moyens nécessaires à une politique ambitieuse de diversification des publics et, enfin, mettre en place un service public de « culture à domicile » qui tire pleinement profit des opportunités offertes par le numérique.

Ne plus céder aux facilités de la rhétorique de la « démocratisation », selon laquelle il suffirait d’apporter la Culture au « peuple », de confronter les catégories populaires aux trésors que constituent les œuvres, représente à nos yeux un préalable pour mener une politique plus efficace en matière d’accès à l’art et à la culture. Renoncer à ce terme qui a trop servi permettrait de déchirer l’épais écran de fumée qui, trop souvent, recouvre les objectifs réellement poursuivis et empêche une réelle évaluation des actions menées.

Cela est loin d’être simple car cela suppose d’en finir aussi avec les représentations dominantes dans les milieux culturels qui tendent à survaloriser le pouvoir des œuvres et des artistes. Une grande partie des professionnels de la culture demeurent en effet convaincus à la fois de la capacité « naturelle » d’attraction des œuvres ou des artistes et de la bonne volonté culturelle des personnes auxquelles ils s’adressent : à leurs yeux, le désir de culture est toujours là, tapi derrière les « mauvaises habitudes » (la télévision, les a priori...) ou contenu par des contraintes matérielles (le prix, l’éloignement de l’offre, etc.) qu’il suffirait de lever pour que la « révélation » opère. Or les cas de conversion à l’amour de l’art sont – on le sait – statistiquement peu fréquents car liés à des trajectoires personnelles particulières ou à des circonstances exceptionnelles. Le désir de culture, comme le plaisir éprouvé au contact des œuvres, loin d’être spontanés et universels, font souvent partie du legs hérité de son milieu familial : l’un comme l’autre renvoient, sauf exception, aux conditions de socialisation des personnes concernées et à leur environnement social immédiat.

Le rôle déterminant de l’éducation

Admettre cette vision des choses conduit évidemment à voir dans l’éducation artistique et culturelle le seul véritable levier de transformation des conditions de production du désir de culture et à déplorer la place trop modeste qui lui est accordée dans notre système scolaire. Il faut bien reconnaître en effet que, si cette question figure en bonne place dans l’agenda politique depuis plusieurs décennies, les moyens mis en œuvre ont été rarement à la hauteur des objectifs affichés, en partie pour des raisons liées aux relations difficiles entre le ministère de la Culture et celui de l’Éducation nationale, mais aussi en raison de l’absence de consensus autour des objectifs poursuivis : faut-il privilégier l’enseignement de l’histoire des arts (dans ce cas, convient-il de prendre en compte la BD ou le rock ?), l’éducation à l’image et aux nouvelles technologies ou la sensibilisation aux pratiques artistiques ? Mettre en place une politique ambitieuse en matière d’éducation artistique et culturelle réclame des moyens financiers conséquents mais aussi une volonté politique sans faille pour maintenir le cap après avoir défini des priorités.

Diversifier les chemins d’accès à la culture

Mettre ainsi l’accent sur le rôle fondamental de l’éducation artistique et culturelle à l’école ne doit pas toutefois être une habile tactique pour décharger les établissements culturels de toute responsabilité en matière de diversification des publics : les actions de sensibilisation et de médiation qu’ils mènent à l’égard de l’ensemble des populations qui ne sont pas leur cible « naturelle » doivent bien entendu être renforcées. Certaines actions menées par de grandes institutions comme Le Louvre ou l’Opéra de Paris en direction des « publics éloignés de la culture » bénéficient d’une médiatisation certaine. Pour combien de lieux de spectacle vivant ou de musées qui ne disposent d’aucune structure en charge du développement des publics ou, quand ils en ont une, considèrent leur mission comme un simple volet de l’activité de communication, confondant « relations publiques » avec « relations avec le public » ? Quelle est la proportion d’établissements culturels qui se donnent réellement les moyens de connaître le profil et les attentes de leurs publics mais aussi des personnes qui habitent à proximité ? Nous ne nous prêterons pas au jeu facile qui consisterait à recenser tout ce qui, trop souvent, fait apparaître les établissements culturels comme des lieux intimidants ou peu accueillants pour des non-initiés ; disons simplement que le combat contre les tendances à l’entre-soi n’est pas toujours mené avec l’ardeur et surtout les moyens humains et financiers qu’il réclame.

Dernier point : l’arrivée du numérique et d’Internet a ouvert un nouveau champ d’intervention considérable pour la politique culturelle. Côté offre, il s’agit de numériser les fonds patrimoniaux détenus par les services d’archives, les bibliothèques, les musées, etc. pour offrir un service public de « culture à distance ». Côté demande, le défi consiste, comme toujours, à veiller à ce que ces richesses culturelles numérisées soient mises à la disposition du plus grand nombre, notamment chez les jeunes générations dont les accès à la culture passent de plus en plus par les écrans connectés.

Grâce au numérique et aux moyens de communication d’aujourd’hui (et plus encore de demain), la plupart des établissements culturels peuvent désormais offrir une palette diversifiée de services « à distance » (archives, livres, films, concerts enregistrés, etc.) et toucher de nouveaux publics au-delà des cercles de leurs habitués, tout en engageant avec eux un dialogue permanent et interactif : les bibliothèques, les musées ou les théâtres, s’ils restent bien entendu les lieux privilégiés de la confrontation directe aux œuvres et aux artistes, doivent aussi devenir de plus en plus des centres de ressources et des prestataires de services culturels à distance, surtout bien entendu quand ils disposent de richesses susceptibles d’être numérisées.

Olivier Donnat, sociologue au DEPS-Ministère de la Culture [3]. Auteur notamment de Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, La Découverte, 2009.

Photo / Droits réservés

Ce texte est un extrait de l’ouvrage Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent, sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.

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[1Voir « Pratiques culturelles, 1973-2008. Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales », Cultures-études n° 7, ministère de la Culture et de la Communication, 2011.

[2L’Élitisme républicain, Christian Baudelot et Roger Establet, Le Seuil, 2009.

[3Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la position du ministère de la Culture.

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Date de première rédaction le 15 octobre 2018.
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