Analyse

Visibles et invisibles des écrans de télévision : quelles conséquences ?

La télévision donne une image déformée de la société. Cette situation nourrit les stéréotypes et accroît les tensions sociales. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 7 novembre 2025

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La télévision est un miroir déformant de la société. Elle a pour mission d’informer, de divertir, d’éduquer, pas d’être un témoin représentatif de la population. Ce serait d’ailleurs impossible. Les chaines sont autant de fenêtres ouvertes par des antennes indépendantes qui ne se coordonnent pas. Comment pourraient-ils ensemble, de Gulli à la chaine L’Équipe, en passant par France 2, représenter la société ? Il est normal que certaines émissions rassemblent des experts – donc des cadres supérieurs. Tout le monde ne peut pas analyser l’évolution des relations internationales, les effets du déficit budgétaire ou l’impact d’un vaccin.

Ce miroir déforme tout de même beaucoup. Les femmes ne composent que 40 % des personnes vues à la télévision, selon l’Arcom (ex-CSA). Les personnes perçues comme non blanches seulement 15 %, alors qu’elles constituent une part près de deux fois supérieure de la population. L’écart en matière de milieux sociaux est encore plus grand : les cadres actifs regroupent 10 % de la population (comprenant les retraités) mais 65 % des personnes vues à la télévision.

Ces données sont à prendre avec des pincettes car elles sont réalisées à partir du visionnage d’émissions : on ne porte pas sur le visage sa profession, et même les notions de couleur de peau, voire de genre, ne sont pas toujours simples à déterminer à l’écran. Pour partie, cette situation reflète des inégalités qui traversent notre société : les femmes sont moins visibles dans les émissions politiques car elles sont moins nombreuses aux postes à responsabilités. Que doit faire la télé ? Refléter les différents groupes en fonction de leur poids dans la population, ou la société telle qu’elle est, inégalitaire ? L’équation n’est pas simple.

Deux choses posent tout de même problème. Premièrement, l’ampleur des écarts. Les cadres sont 30 fois plus présents que les ouvriers et 6,5 fois plus qu’ils ne le devraient si le temps d’antenne était réparti en fonction de leur part dans la population. Combien d’enseignants ou d’avocats doit-on entendre avant qu’une femme de ménage ou un maçon s’exprime ? Deuxièmement, la manière dont les groupes dominés sont présentés. La place des femmes évolue, mais la télévision entretient aussi trop souvent les stéréotypes de genre, les présentant dans des rôles typiquement féminins. Les personnes perçues comme non blanches représentent 20 % de celles ayant un rôle négatif, mais seulement 10 % de celles avec un rôle positif. À l’antenne, les journalistes sont bien plus critiques avec les représentants syndicaux du monde du travail qu’avec les patrons. Que dire des jeunes de milieux populaires d’origine immigrée, dont on entrevoit rarement autre chose que des dealers en train de trainer dans les cages d’escalier ?

Le décalage entre l’image télévisée de la société et la société réelle donne à beaucoup le sentiment d’être sous ou mal représentés, ce qui nourrit d’importantes tensions sociales. Ce n’est pas en réservant des places à la femme, l’arabe ou l’ouvrier de service à la télévision qu’on changera fondamentalement les choses. Un long travail est à faire de formation des journalistes, de remise en cause des stéréotypes et de droit à la parole des groupes qui s’expriment le moins. Cela devrait notamment être le rôle des chaines publiques qui se différencient peu du reste du paysage télévisuel.

Louis Maurin

Photo / Kelly Sikkema sur unsplash

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Date de première rédaction le 7 novembre 2025.
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