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Analyse

30 années d’évolution de la pauvreté en France

Les trente dernières années sont marquées par une baisse, puis une remontée, de la pauvreté. La dynamique antérieure de rapprochement des niveaux de vie est stoppée. Mais la pauvreté a aussi changé de visage, avec plus de jeunes, de femmes seules avec enfants et d’immigrés. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 26 décembre 2025

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Revenus Pauvreté

En trente ans, le nombre de pauvres en France a peu évolué : il est passé de 5,2 à 5,4 millions, et le taux de pauvreté, de 8,2 % à 8,4 %, au seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian. Cette stabilité apparente est trompeuse car cette période est marquée par une nette diminution de la pauvreté, suivie d’une remontée encore plus importante.

Dans une première phase, du milieu des années 1990 au début des années 2000, le taux de pauvreté diminue nettement, de 8,2 % à 6,6 % entre 1996 et 2002, son point le plus bas. Le nombre de pauvres baisse de son côté de 4,6 à 4,2 millions [1]. De 1997 à 2001, la croissance française a été particulièrement vigoureuse et le chômage a nettement diminué. Une part importante de personnes ont alors vu leurs revenus augmenter.

La pauvreté augmente nettement dans une deuxième phase, entre le début des années 2000 et celui des années 2010. Le contraste est saisissant avec la période précédente. Le chômage remonte notamment après la crise financière de 2008. Le taux de pauvreté s’établit à 8,4 % en 2012, et le nombre de pauvres atteint les cinq millions.

La fin des années 2010 et le début des années 2020 constituent une troisième phase, plus incertaine. L’année 2013 est marquée par une diminution du taux de pauvreté, qui redescend sous les 8 %. Le chiffre se stabilise mais il s’accroît nettement à partir de 2018, pour revenir à 8,4 % en 2023, dernière année pour laquelle nous disposons de données. Le taux est le même qu’en 2012, mais la population française a augmenté. Le nombre de pauvres monte à 5,4 millions, soit 1,2 million de plus qu’au début des années 2000.

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Cette dernière période marque un changement d’importance car le chômage diminue depuis le milieu des années 2010, ce qui devrait avoir un impact positif sur la pauvreté. Pourtant, entre 2016 et 2023, le nombre de pauvres a augmenté de 500 000 personnes. Plusieurs phénomènes peuvent avoir joué. D’abord, la France accueille davantage de personnes immigrées mais ne leur donne pas accès au travail, ce qui conduit une partie de cette population à vivre dans la misère. Ensuite et surtout, le travail continue à se précariser : les emplois très peu qualifiés se développent.

Cette série historique mérite deux remarques. Premièrement, le contraste est saisissant avec la période antérieure. On ne s’attendait pas, après les Trente Glorieuses – 1945-1975 –, au retour de la pauvreté. C’est autant le changement de dynamique sociale qui marque les esprits que l’évolution générale du phénomène. Deuxièmement, cette évolution indique que la fracture sociale n’est pas seulement le fait de l’enrichissement considérable des plus aisés de notre société : les inégalités se creusent aussi par le bas. Une partie des couches les plus modestes voient le reste de la société continuer à s’enrichir alors que ce n’est pas son cas, ce qui engendre de fortes tensions sociales.

Lecture : en 2023, 8,4 % de la population vit sous le seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian.

Source : Insee – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Lecture : en 2023, 5,4 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian.

Source : Insee – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Nouveaux visages

En trente années, le nombre de pauvres a augmenté, mais la pauvreté a pour partie changé de visage. La première raison est liée à la progression du nombre de familles monoparentales, dont les difficultés se sont accrues entre le début des années 2000 et 2010 : leur taux de pauvreté a augmenté de 15 % à 23 %. Il a diminué ensuite, mais se situe toujours autour de 20 %. Il s’agit dans l’immense majorité de femmes ayant en charge un ou plusieurs enfants, dont le niveau de vie diminue fortement après une séparation.

La pauvreté s’est aussi « rajeunie » : le taux de pauvreté des 18-29 ans a augmenté de 6 points au début des années 2000 à 10 % en 2023. Les jeunes adultes sont notamment victimes des difficultés d’insertion sur le marché du travail et de la progression des contrats précaires.

L’essor du solde migratoire a aussi joué. Malheureusement, l’Insee ne diffuse pas de données sur l’évolution du taux de pauvreté selon l’origine migratoire, il est donc difficile d’en mesurer l’évolution. Les immigrés représentent environ 20 % des personnes pauvres, ce n’est donc la composante essentielle, mais leur taux de pauvreté est de 19 %, soit plus de deux fois supérieur à la moyenne de la population.

Ces données sont des moyennes. La pauvreté frappe bien entendu aussi des couples, des familles, des personnes âgées, des non-immigrés. La transformation des visages de la pauvreté ne doit pas masquer le principal facteur : c’est d’abord la difficulté d’accéder à un travail dignement rémunéré qui rend pauvre. Accès qui dépend largement du diplôme. Alors que le taux de pauvreté atteint 3,8 % chez les diplômés de l’enseignement supérieur, il est de 12,4 %, soit trois fois plus, chez ceux qui n’ont aucun titre scolaire. L’essor du travail peu qualifié et de la précarité (intérim et CDD en particulier) frappent bien davantage les catégories populaires, notamment celles qui ne vivent pas en couple.

Comment la grande pauvreté a-t-elle évolué en trente ans ?
Selon l’Insee, environ deux millions de personnes sont en situation de grande pauvreté : elles disposent de faibles revenus et déclarent subir de graves privations. Mais l’institut ne nous donne pas de quoi chiffrer l’évolution de cette population au cours des trente dernières années. Bien sûr, il faut demeurer prudent. Ne pas confondre, par exemple, l’évolution du nombre de places d’hébergement d’urgence et l’évolution du nombre de personnes à la rue, laissées sans aucun abri.

Pour autant, plusieurs phénomènes inquiètent : ces trente dernières années sont aussi marquées par le retour de formes d’hébergement ultra-précaires (qu’on peut qualifier de « bidonvilles »), souvent en périphérie des villes, notamment dans les grandes métropoles. Dans les villes, les sans-abris ne sont plus seulement des hommes adultes, mais de plus en plus des familles, une forme de pauvreté extrême qui avait quasiment disparu. Pour une grande partie, il s’agit de migrants qui ne disposent d’aucune solution, faute d’avoir accès au travail. Le fait que des enfants dorment à la rue constitue un retour en arrière énorme, il heurte profondément nos valeurs.
Et depuis 2023 ?
Que s’est-il passé depuis 2023 ? La baisse du chômage entamée en 2015 est désormais à l’arrêt, ce qui aggrave la situation en bas de l’échelle des revenus. L’inflation semble jugulée, un signe positif pour les plus modestes. Beaucoup va dépendre de la revalorisation des prestations sociales. Si les plus modestes sont les cibles des économies budgétaires, alors il faudra s’attendre à une poursuite de l’augmentation de la pauvreté. Enfin, il est beaucoup plus complexe de déterminer quels mécanismes vont affecter le niveau de vie médian (et donc le seuil de pauvreté), qui dépend pour beaucoup des variations des salaires : dans ce domaine, l’Insee table sur une hausse modérée.

Photo / DarioGaona


[1Selon les données de l’Insee, au seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian.

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Date de première rédaction le 26 décembre 2025.
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