Analyse

Que pensent les Français des inégalités ?

Les trois quarts des Français estiment que la société est « plutôt injuste ». Cette part a augmenté de dix points depuis le début des années 2000. Revue de détail de l’opinion face aux inégalités. Par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

25 juin 2019

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Revenus Modes de vie Femmes et hommes Valeurs

76 % des Français estiment que la société française est « plutôt injuste », selon l’édition 2018 du baromètre annuel du ministère des Solidarités. 21 % la trouvent « plutôt juste » et 3 % ne se prononcent pas. Cette enquête, réalisée tous les ans, confirme le résultat de nombreux sondages qui vont dans le même sens. Ainsi, une enquête réalisée par les Pupilles de l’enseignement public en décembre 2018 [1] indiquait que 50 % de la population estimait notre société « plutôt inégalitaire » et 28 % « très inégalitaire », chiffre quasiment constant depuis 2014.Ce chiffre doit être utilisé avec précaution. À moins de vivre dans un monde absolument égalitaire, on peut toujours trouver qu’il persiste de l’injustice et trouver le monde « plutôt injuste », l’expression est très floue.

Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités et de la Santé – © Observatoire des inégalités

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Les évolutions dans le temps long de l’opinion sont bien plus intéressantes à analyser. Depuis les années 2000, date du début de l’enquête, la part de personnes trouvant la société « plutôt injuste » a augmenté de près de dix points, notamment entre 2000 et 2010. On atteint alors déjà 78 % de personnes jugeant la société « injuste ». Cette tendance peut résulter du fait que les Français, mieux formés et informés, sont plus sensibles aux injustices au fil du temps [2]. Elle peut aussi être la conséquence de de la montée du chômage et de la valorisation permanente des « gagnants ». Depuis le début des années 2000, le niveau de vie des plus défavorisés stagne. Le sentiment que notre société exclut une partie de sa population du progrès ne repose pas sur du vent.

Même unanimité quand il s’agit de faire un bilan de l’évolution des inégalités. Plus de huit Français sur dix estiment que les inégalités « ont plutôt augmenté » au cours des cinq dernières années et 13 % qu’elles ont diminué. La question est bien vague : on ne précise pas de quel domaine on parle. Il est probable que beaucoup de personnes interrogées répondent en pensant aux inégalités de revenus. La part de ceux qui estiment que les inégalités ont augmenté dans le passé s’est élevée de 69 % à 89 % entre 2000 et 2011 même si, depuis, on enregistre plutôt une diminution. Cette tendance correspond assez bien à celle de l’évolution des inégalités de revenus. Les Français fondent leurs jugements sur ce qu’ils vivent. Leur appréciation de l’avenir va exactement dans le même sens que leur bilan du passé. Ils sont pessimistes : 82 % pensent que les inégalités vont augmenter. Mais cette part a surtout progressé de 65 % à 84 % entre 2000 et 2010.

Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités et de la Santé – © Observatoire des inégalités

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Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités et de la Santé – © Observatoire des inégalités

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Dans le domaine des valeurs, il faut avancer avec prudence tant les facteurs qui interviennent sont nombreux. Comme l’avait noté il y a bien longtemps le philosophe et historien Alexis de Tocqueville, on peut être très sensible aux inégalités parce que l’on est proche et que l’on peut se comparer. « Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande » écrivait-il [3]. Dans un système de castes par exemple, la question des inégalités ne se pose pas. Le débat public joue aussi sur l’opinion, surtout à court terme : à force de voir le problème repris dans les médias, on s’en préoccupe plus. Enfin, la situation sociale compte, notamment l’écart entre ce que l’on vit au quotidien, ce à quoi on aspire, et l’évolution générale de la société.

Les Français jugent très majoritairement la société injuste. Ce sentiment ne signifie malheureusement pas qu’une politique qui vise à plus de justice soit populaire. D’abord parce qu’une déclaration à un enquêteur n’a pas la même valeur que voter pour un programme qui peut aller à l’encontre de ses intérêts personnels. Ensuite, parce que sauf à appartenir à une minorité très aisée, on peut toujours trouver mieux loti que soi et souhaiter une redistribution des richesses dont on pourrait profiter. Le débat dans ce domaine se focalise souvent sur les 1 % les plus riches. Les Français aisés ont une grande capacité à déclarer appartenir aux classes moyennes pour se défausser de la solidarité. Ainsi, 70 % des personnes qui appartiennent au tiers supérieur des revenus se situent dans le tiers intermédiaire, selon une enquête de l’Insee réalisée en 2011 [4]. Une politique de réduction des inégalités doit convaincre une majorité et c’est toujours une tâche difficile. Or, les catégories favorisées disposent d’un poids bien supérieur dans le débat public et l’orientent en leur faveur.

L’opinion et les inégalités entre les femmes et les hommes
Les deux tiers de la population estiment que les inégalités entre les femmes et les hommes sont importantes, selon le baromètre annuel du ministère des Solidarités (données 2018). 11 % pensent qu’elles sont « très importantes » et 54 % «  assez importantes ». 4 % trouvent qu’elles sont « très faibles » et 28 % « assez faibles ». Les proportions évoluent peu dans le temps : l’opinion semble notamment insensible au débat sur le harcèlement lancé à partir d’octobre 2017 aux États-Unis et qui s’est ensuite largement répandu.

La formulation est très (trop) large. La stabilité de ces opinions dans la durée peut cacher des évolutions qui s’annulent. Des évolutions positives sur la place des femmes dans la société, notamment dans l’emploi et, en même temps, une sensibilité plus grande aux écarts. Près de la moitié des Français estiment que les inégalités entre femmes et hommes ont « plutôt diminué  » au cours des dix dernières années, un tiers qu’elles « n’ont pas évolué » et 19 % qu’elles ont « plutôt augmenté ». On ne dispose pas du même historique pour ces données mais, en 2014, la part de ceux qui estimaient que les inégalités femmes-hommes avaient plutôt diminué était plus importante (57 %) qu’en 2018.

Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités et de la Santé – © Observatoire des inégalités

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Photo / © Maksym Yemelyanov - Fotolia.com


[1« Baromètre de la société inclusive, vague 5 », Rapport d’étude des Pupilles de l’enseignement public, 18 janvier 2019.

[2La fondation en 2003 de l’Observatoire des inégalités est un élément dans un ensemble plus général de prise de conscience.

[3Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1840, tome II.

[4Voir « Niveaux de vie : la plupart des Français ne savent pas se situer », Centre d’observation de la société, 11 octobre 2014.

Agenda | Formation « Décrypter et réduire les inégalités en 2023 »

L’Observatoire des inégalités propose le mercredi 14 juin une journée de formation professionnelle unique en France sur les inégalités. Objectif : maîtriser les outils et les concepts du débat public, appréhender un état des lieux d’ensemble.


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Date de première rédaction le 28 septembre 2012.
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