Analyse

Que pensent les Français des inégalités ?

Les trois quarts des Français estiment que la société est « plutôt injuste », soit dix points de plus qu’au début des années 2000. Que nous disent les enquêtes d’opinion en matière d’inégalités ? Par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 5 décembre 2023

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Revenus Modes de vie Femmes et hommes Valeurs

75 % des Français estiment que la société française est « plutôt injuste », selon l’édition 2022 du baromètre d’opinion annuel du ministère des Solidarités [1]. 23 % la trouvent « plutôt juste » et 2 % ne se prononcent pas. Cette enquête, réalisée tous les ans depuis plus de 20 ans confirme le résultat de nombreux sondages qui indiquent que les Français rejettent massivement les inégalités.

Depuis les années 2000, date du début de l’enquête, la part de personnes qui trouvent la société « plutôt injuste » a augmenté de près de dix points, notamment entre 2000 et 2010 : elle atteint alors 78 %. Cette tendance à la hausse peut résulter du fait que les Français, mieux formés et informés, sont plus sensibles aux injustices au fil du temps [2]. Elle peut aussi être la conséquence du contraste entre la stagnation des niveaux de vie des catégories populaires d’un côté et la valorisation des « gagnants » de l’autre. Depuis 2010, hormis un pic en 2016, le chiffre évolue très peu.

Lecture : en 2022, 75 % des Français estiment que la société française aujourd'hui est plutôt injuste.

Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités – © Observatoire des inégalités

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Le consensus est tout aussi grand quand on pose la question du bilan des années précédentes. Plus de huit Français sur dix estiment que les inégalités ont plutôt augmenté au cours des cinq dernières années et 9 % qu’elles ont plutôt diminué. De quelles inégalités parle-t-on au juste ? Il est probable que beaucoup de personnes interrogées répondent en pensant surtout aux inégalités de revenus. C’est surtout dans les années 2000 que la part de la population qui estime que les inégalités ont augmenté s’est accrue. Cette tendance concorde assez bien avec celle de l’évolution des inégalités de revenus qui ont augmenté au cours de cette période. L’opinion des Français est bien fondée sur du vécu.

L’appréciation portée sur l’avenir va dans le même sens. Les Français sont pessimistes : 84 % pensent que les inégalités vont plutôt augmenter. Cette part a surtout progressé de 65 % à 84 % entre 2000 et 2010. Ce jugement reflète le faible espoir suscité par les majorités qui se sont succédées au gouvernement : les Français ont été échaudés en partie par les promesses non tenues par le passé.

Lecture : en 2022, 84 % des Français estiment que depuis cinq ans, les inégalités en France ont plutôt augmenté.

Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités – © Observatoire des inégalités

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Lecture : en 2022, 84 % des Français pensent qu'à l'avenir, les inégalités vont plutôt augmenter.

Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités – © Observatoire des inégalités

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Dans le domaine des valeurs, la plus grande prudence s’impose. Comme l’avait noté le philosophe et historien Alexis de Tocqueville, on peut être très sensible aux inégalités parce que l’on est proche les uns des autres et que l’on peut se comparer. « Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir de l’égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande » écrivait-il [3]. Dans un système de castes par exemple, la question des inégalités ne se pose pas. Le débat public joue aussi sur l’opinion, surtout à court terme : à force de voir le problème médiatisé, on s’en préoccupe davantage. Ce qui joue au fond, c’est moins le niveau des inégalités que l’écart entre ce que l’on vit au quotidien et ce à quoi on aspire.

Le sentiment d’injustice, largement partagé, ne signifie pas qu’une politique qui vise à plus de justice serait populaire. Répondre à un sondage qui n’engage à rien et voter sont deux choses différentes. Sauf à appartenir à une minorité très aisée, on peut toujours trouver mieux loti que soi, et souhaiter une redistribution des richesses dont on pourrait profiter. C’est pour cela, par exemple, que le débat public se concentre sur le 1 % le plus riche. Il est plus difficile de se mettre d’accord sur un partage des richesses qui redistribuerait les revenus de manière beaucoup plus large. Une politique de réduction des inégalités doit convaincre une majorité, et c’est toujours une tâche difficile. Or, les catégories favorisées disposent d’un poids bien supérieur dans le débat public et l’orientent en leur faveur.

L’opinion et les inégalités entre les femmes et les hommes
Les deux tiers de la population estiment que les inégalités entre les femmes et les hommes sont importantes, selon le ministère des Solidarités (donnée 2022). 14 % pensent qu’elles sont « très importantes » et 53 % « assez importantes ». 4 % trouvent qu’elles sont « très faibles » et 28 % « assez faibles ».

Les proportions évoluent peu dans le temps. Cette stabilité pourrait cacher des variations qui se compensent : une amélioration de la place des femmes dans certains domaines, notamment dans l’emploi ; mais aussi une sensibilité plus grande aux écarts. Malheureusement, on ne dispose pas de données détaillées.

Près de la moitié des Français estiment que les inégalités entre femmes et hommes ont « plutôt diminué » au cours des dix dernières années, un tiers qu’elles « n’ont pas évolué » et 18 % qu’elles ont « plutôt augmenté » (données 2020). En 2014, la part de ceux qui estimaient que les inégalités femmes-hommes avaient plutôt diminué était plus importante (57 %).

Lecture : en 2022, 52 % des Français ont le sentiment que les inégalités entre les hommes et les femmes sont assez importantes.

Source : baromètre d'opinion de la Drees, ministère des Solidarités – © Observatoire des inégalités

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Photo / © Maksym Yemelyanov - Fotolia.com


[1Baromètre d’opinion de la Drees, module « inégalités », ministère des Solidarités.

[2La fondation en 2003 de l’Observatoire des inégalités est un élément dans un ensemble plus général de prise de conscience.

[3Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1840, tome II.

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Date de première rédaction le 28 septembre 2012.
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