Analyse

Redistribution : comment les impôts et les prestations réduisent les inégalités

Impôts et prestations sociales réduisent les inégalités de niveau de vie entre les plus riches et les plus pauvres. La redistribution fonctionne en France, mais les écarts de revenus sont considérables à l’origine. L’analyse d’Anne Brunner et Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 22 décembre 2023

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Revenus Niveaux de vie

À la base, les 10 % les plus aisés ont en moyenne un revenu 20 fois plus élevé que les 10 % les plus modestes, 6 600 euros par mois contre 340 euros, pour une personne seule selon l’Insee en 2021 [1]. Une fois les impôts retirés et les prestations sociales versées, les premiers ne touchent plus que 5 000 euros tandis que le niveau de vie des seconds s’élève à 900 euros. Le rapport entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres se réduit de 19,6 à 5,5.

Effet de la redistribution sur les niveaux de vie
pour les 10 % les plus aisés et les 10 % les plus modestes
Revenu moyen des 10 % les plus modestes
en euros
Revenu moyen des 10 % les plus aisés
en euros
Rapport
Avant impôts et prestations sociales3366 58619,6
Après impôts et prestations sociales8974 9665,5
Revenus mensuels pour une personne seule.
Source : Insee – Données 2021 – © Observatoire des inégalités

Concrètement, comment s’opère cette redistribution ? Observons tout d’abord la situation du bas de l’échelle des revenus. Les 10 % les plus pauvres touchent donc 340 euros par mois en moyenne : il s’agit de salaires ou de revenus d’indépendants, de retraites et d’allocations chômage. On parle de revenu « primaire », c’est-à-dire celui perçu avant de payer des impôts ou de recevoir des prestations sociales. Le chiffre est faible parce que c’est une moyenne pour des personnes qui travaillent à temps plein, à temps partiel, par intermittence ou pas du tout.

Personne ne peut se loger, se vêtir, se nourrir avec à peine dix euros par jour. Pour éviter qu’une partie de la population vive dans la misère absolue, la solidarité fonctionne à travers des aides comme les minima sociaux pour les plus modestes (RSA, aides aux personnes handicapées), les allocations familiales, les aides au logement, la prime d’activité, etc. Au total, les prestations sociales procurent presque 600 euros mensuels aux 10 % les plus modestes, presque deux fois leurs revenus du travail. Leur revenu moyen s’établit ainsi à 900 euros après redistribution. Il s’agit de leur revenu dit « disponible ».

900 euros, c’est moins que le seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian, et loin de permettre de vivre selon les normes de notre société. Ces ressources sont parfois complétées par l’aide de la famille ou d’amis (par exemple en matière d’hébergement) et, éventuellement, par des activités non déclarées.

À l’autre bout de l’échelle des revenus, les 10 % les plus riches touchent en moyenne près de 6 600 euros par mois : des salaires, des revenus du patrimoine et, là aussi, des pensions de retraite ou des allocations chômage, par exemple. Il s’agit toujours du revenu « primaire ». En moyenne, les plus aisés versent 1 643 euros à la solidarité nationale, dont 700 euros de cotisations sociales et 942 euros d’impôts. Logiquement, ils touchent peu de prestations sociales (12 euros par mois), essentiellement des allocations familiales.

Après impôts et prestations sociales, leur niveau de vie diminue de 25 % et vaut donc un peu moins de 5 000 euros en moyenne par mois. Comme les plus modestes, ils peuvent avoir aussi des soutiens de la famille ou des revenus non déclarés (souvent de montants plus élevés que les plus modestes), qu’on ne compte pas ici. Il faut noter qu’en dépit des progrès réalisés, une partie des revenus du patrimoine demeure mal prise en compte dans les statistiques de l’Insee, ce qui sous-estime le niveau de vie des plus aisés.

En matière de revenus, le modèle social français redistribue les cartes, mais les écarts après redistribution restent importants : les 10 % les plus riches perçoivent en moyenne 4 069 euros de plus que les 10 % les plus pauvres chaque mois, soit 48 800 euros supplémentaires par an. Ce niveau d’inégalités après redistribution situe la France dans la moyenne européenne.

La redistribution est importante dans notre pays pour deux raisons. Premièrement, parce que nous sommes solidaires des plus pauvres : nous n’acceptons pas, par exemple, que des enfants vivent à la rue ou qu’on laisse mourir des personnes faute de soins. Nous pensons qu’il est important d’instruire tout le monde (voir l’encadré sur la redistribution opérée par les services publics). Cela profite à l’ensemble de la société, en particulier aux employeurs qui disposent ainsi d’une main d’œuvre qualifiée. Deuxièmement, parce que les inégalités de revenus avant redistribution sont grandes en France, et même parmi les plus élevées en Europe. Au bout du compte, en dépit des effets de la redistribution, les riches demeurent très riches en France par rapport aux autres pays.

Le débat porte très souvent sur le niveau des impôts et des prestations sociales. Faut-il ou non baisser ou augmenter les impôts ? Lesquels ? On devrait s’interroger aussi sur la répartition de la richesse avant impôts. Ce qui, par exemple, justifie (ou non) les écarts de salaires. Est-ce une question de pénibilité, la maitrise de certaines techniques, de responsabilités ? De même, on pourrait questionner ce qui justifie le niveau des rendements des revenus du patrimoine (actions, immobilier, autres placements, etc.) qui profitent aux plus fortunés. Est-ce que le risque pris par celui qui détient le capital est élevé ? À quoi servent ces investissements ? Autant de questions sur les inégalités de revenus primaires assez peu débattues et qui pourtant mériteraient de l’être.

Effets des mécanismes de redistribution sur les niveaux de vie mensuels
pour les 10 % les plus aisés et les 10 % les plus modestes
Montant moyen pour les 10 % les plus pauvres
en euros
Montant moyen pour les 10 % les plus riches
en euros
Niveau de vie avant redistribution3366 586
Effet des impôts et prélèvements dus
Cotisations patronales famille + CSG-CRDS- 22- 701
Impôts sur le revenu+ 1- 874
Taxe d’habitation0- 49
Impôt sur la fortune immobilière0- 19
Effet des prestations sociales reçues
Allocations familiales+ 67+ 6
Autres prestations familiales+ 82+ 3
Aides au logement+ 152+ 1
Primes d'activité et minima sociaux+ 280+ 1
Prime inflation21
Niveau de vie après redistribution8974 966
Montants mensuels pour une personne seule.
Source : Insee – Données 2021 – © Observatoire des inégalités
Les services publics réduisent aussi les inégalités
Pour dresser un panorama complet de la redistribution opérée par l’État, il faudrait aller plus loin. Compter aussi les impôts dits « indirects » comme la TVA ou les taxes sur l’essence, par exemple. Il faudrait également chiffrer la valeur des services publics, comme l’école gratuite ou les remboursements de soins de santé. Ce calcul est toutefois complexe et théorique : il n’est pas facile de mesurer comment on utilise les services publics selon que l’on est riche ou pauvre. En ce qui concerne la police ou l’armée, par exemple, c’est impossible.

Malgré ces difficultés, l’Insee calcule la « redistribution élargie » qui tient compte de l’effet des services publics. Selon l’organisme, l’écart entre les ménages pauvres (qui gagnent moins de 60 % du niveau de vie médian) et les ménages aisés (qui gagnent 1,8 fois le niveau de vie médian) est de 1 à 18 avant redistribution. Après redistribution, tout mis bout à bout (impôts et prélèvements, prestations sociales et services publics), pauvres et riches se situent dans un rapport de 1 à 3 [2].

Anne Brunner et Louis Maurin

Photo / © Eisenhans Fotolia


[1Voir France portrait social édition 2022, Insee Références, Insee, novembre 2022.

[2« La redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des personnes », Insee Analyses n° 88, septembre 2023.

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Date de première rédaction le 22 octobre 2017.
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