Point de vue

Fonctionnaires : le mépris salarial continue

Depuis 2010, les fonctionnaires n’auront eu aucune augmentation générale. Le statut protecteur de la fonction publique justifie-t-il un tel mépris salarial ? Le point de vue de Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 13 février 2013

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Revenus Salaires

Pour les 5,2 millions de fonctionnaires que compte la France, la dernière augmentation générale de 0,5 % remonte au 1er juillet 2010. Dans son budget pour 2013 et ses perspectives financières jusqu’en 2015, le nouveau gouvernement n’a pas prévu un seul euro d’augmentation. En tout et pour tout, la masse salariale progressera de 1 % entre 2012 et 2015, ce qui correspond uniquement à des mesures catégorielles accordées par les ministères à certains corps de fonctionnaires, telle que l’indemnité de 400 euros pour les instituteurs annoncée par le ministre de l’Éducation nationale.

Pour la majorité des fonctionnaires, qu’ils soient territoriaux, hospitaliers ou de l’État, c’est la promesse d’une cinquième année sans augmentation de salaire, un record historique ! Jusqu’ici les plus longs gels avaient duré 16 mois sous deux gouvernements de droite, celui d’Alain Juppé entre 1995 et 1997 et de Jacques Chirac en 1986-1987. Sans compter que les précédentes hausses avaient été minimes, environ 0,8 % par an. Au total depuis 10 ans, la perte de pouvoir d’achat du traitement de base des fonctionnaires atteint 13,5 %. Et la carence va s’accroître de 5,3 % d’ici 2015 d’après les prévisions d’inflation du gouvernement.

A chaque fois que les traitements des fonctionnaires ont été gelés, la raison invoquée est le redressement des finances publiques. En effet, une hausse de 1 % de la valeur du « point d’indice de la fonction publique » - commun à tous les fonctionnaires - coûte aujourd’hui près d’un milliard d’euros à l’État et un autre milliard d’euros aux hôpitaux et aux collectivités locales. L’impact massif et immédiat d’une telle économie explique que le gouvernement y recoure par facilité. Mais la perte de pouvoir d’achat que subit un cinquième des salariés français entraine avec elle des effets dépressifs sur la consommation, donc sur la croissance et, par conséquent, sur les recettes de l’État qui doit encore plus se serrer la ceinture.

Pour faire passer la pilule aux fonctionnaires, un dispositif de « garantie individuelle du pouvoir d’achat » (GIPA), créé en 2008, vise à maintenir le pouvoir d’achat du traitement de base sur quatre ans. Concrètement, un fonctionnaire qui n’aurait pas bénéficié d’avancement individuel ni d’augmentation générale au moins égale à l’inflation perçoit une prime compensatrice du différentiel de salaire entre celui d’aujourd’hui et celui d’il y a quatre ans. Cependant, seul le traitement de base est pris en compte et il ne s’agit pas d’une augmentation permanente. Le traitement reste le même et c’est lui qui sera pris en compte pour le calcul des droits à la retraite. De plus, ce dispositif pénalise les jeunes qui ont plus d’avancement individuel en début de carrière mais aucune augmentation générale contrairement à leurs ainés qui se voient garantir un pouvoir d’achat qui a progressé plus vite par le passé. En définitive, tout le monde stagne alors que dans le privé, les augmentations ont été de l’ordre de 1,3 % en moyenne en 2012 et devraient se situer autour de 1,4 % en 2013 selon une enquête du cabinet Aon Hewitt pendant que l’inflation doit progresser de 1,8 %.

Des privilégiés qui peuvent tout supporter ?

Il est de bon ton aujourd’hui de traiter les fonctionnaires de « privilégiés » parce qu’ils ne craignent pas que leur employeur mette la clé sous la porte ou les licencie. Pourtant, la situation des fonctionnaires peu qualifiés, notamment dans les hôpitaux ou les petites communes n’est pas plus favorable que celle de leurs homologues de grands groupes qui savent qu’ils seront reclassés en cas de difficultés économiques. Certes, quelques milliers de hauts fonctionnaires sont des super-privilégiés : ils gagnent beaucoup et conservent une garantie d’emploi, même lorsqu’ils vont « pantoufler » [1] dans le privé. Sans doute, les salariés du public disposent d’un avantage considérable sur les autres dans une période de chômage de masse, et tous sont loin de s’en rendre compte. Mais la garantie de l’emploi autorise-t-elle un tel mépris, notamment salarial ?

La fiche de paie ne fait pas tout, mais voir son niveau de vie stagner n’est pas réellement un facteur de motivation. Ainsi par exemple, les professeurs des écoles (anciennement instituteurs), qui sont à eux-seuls plus de 300 000, apparaissent parmi les plus mal payés de tous les pays riches selon l’OCDE (2 700 euros bruts avec 15 ans d’ancienneté contre 4 600 euros en Allemagne ou 3 100 en Finlande [2]. Peut-on vraiment attirer les salariés les plus compétents avec ces niveaux de salaire et peu d’espoir de progresser ? Si l’on veut offrir des services publics de haute qualité, il faut aussi s’en donner les moyens.

Les mesures catégorielles ou le clientélisme assumé

Les mesures catégorielles constituent le second levier de politique salariale à la discrétion du gouvernement avec les augmentations générales. Elles représentent en moyenne 500 millions d’euros par an sur le budget de l’État et servent à financer les changements de grilles salariales ou les régimes de primes. Le président Nicolas Sarkozy voulait que ces mesures bénéficient aux services touchés par les suppressions d’emploi dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et du non remplacement d’un départ à la retraite sur deux. Il n’en a rien été d’après un rapport parlementaire d’octobre 2012. Par exemple, au ministère de l’Intérieur les suppressions d’emploi ont touché les préfectures, mais ce sont les policiers qui ont bénéficié de compléments de rémunération…

L’actuelle négociation salariale avec les syndicats de fonctionnaires fait écho à ce traitement inéquitable. Le ministère de la Fonction publique a proposé de généraliser l’accès au plus haut grade pour le niveau d’employé (catégorie C, la catégorie la plus basse), qui concerne 126 000 personnes. La ministre a estimé que le coût de cette mesure pour les bas salaires (16 millions d’euros, dont 4,5 pour le seul budget de l’État) était « acceptable pour le budget ». En parallèle, son collègue de l’Éducation nationale a annoncé une prime de 400 euros aux 325 000 professeurs des écoles. Une simple multiplication aboutit à une dépense de 130 millions d’euros, avant cotisations patronales... Les professeurs des écoles sont nettement sous-payés (voir ci-dessus), mais peut-on légitimement leur consacrer une dépense huit fois plus importante qu’aux agents de catégorie C ? Et quid de l’ensemble des autres fonctionnaires ?

Le candidat Hollande voulait être le président de l’égalité et de la justice. Quoi de plus juste qu’une augmentation générale plutôt que de mesures spécifiques à certains corps et le maintien d’un régime de primes très inégalitaire ? Malgré la disette budgétaire, la mesure qu’on est en droit d’attendre d’un gouvernement fer de lance de l’égalité, serait de réhabiliter une pratique tombée en désuétude depuis Mitterrand : l’attribution uniforme de points d’indice à tous, dont la dernière remonte à août 1991. Avec un budget restreint, cette pratique profite autant aux bas salaires qu’aux hauts fonctionnaires.

Photo / © VILevi - Fotolia.com


[1Passer du secteur public au secteur privé.

[2Voir Salaire des enseignants - Salaire statutaire annuel dans les établissements publics

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Date de première rédaction le 13 février 2013.
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