Proposition

Favoriser l’autonomie des jeunes

Taux de chômage et de pauvreté élevés, précarité grandissante : les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas épargnés. Lutter contre la reproduction des inégalités sociales au sein de la jeunesse nécessite d’étendre les droits sociaux dès l’âge de 18 ans et de créer un dispositif universel d’accès à l’autonomie. Une proposition de Camille Peugny, sociologue, maître de conférences à l’université Paris VIII. Extrait de l’ouvrage « Que faire contre les inégalités ? ».

Publié le 3 novembre 2017

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Revenus Emploi Âges Pauvreté Chômage

Depuis le début des années 1980, le taux de chômage des jeunes actifs oscille entre 15 % et 25 %, s’élevant ainsi à un niveau au moins deux fois plus élevé que celui observé pour l’ensemble de la population active. En outre, parmi les jeunes en emploi, la part des emplois précaires (CDD, intérim, emplois aidés) a presque triplé au cours des trente dernières années pour atteindre près de 35 % au début des années 2010, selon l’Insee. Au-delà de l’emploi, les indicateurs ne manquent pas pour souligner les difficultés auxquelles font face de nombreuses franges de la jeunesse.

Un double objectif

Une véritable révolution des politiques publiques en faveur de la jeunesse est plus que jamais souhaitable. Si elle était engagée, elle devrait répondre à deux objectifs : contenir les inégalités entre les générations, certes, afin de veiller à ce que les jeunes générations ne soient pas, dans nos sociétés occidentales vieillissantes, les victimes expiatoires des longues années de crise, mais également réduire les inégalités sociales au sein des générations. En effet, parmi les jeunes, les lignes de clivage sont nombreuses, en fonction du diplôme, de l’origine sociale, de la couleur de la peau ou de leur adresse. Dans un contexte économique très dégradé, les ressources économiques et culturelles héritées des parents demeurent décisives, nourrissant une reproduction sociale persistante : au début des années 2010 et quelques années après la fin de leurs études, 70 % des enfants d’ouvriers exercent un emploi subalterne, d’employé ou d’ouvrier, tandis que 70 % des enfants de cadres exercent un emploi de cadre ou une profession intermédiaire [1].

Pour parvenir à ce double objectif, et au-delà des mesures d’urgence, les politiques publiques en faveur de la jeunesse devraient notamment s’appuyer sur deux piliers : la fin des barrières d’âge en matière de protection sociale, d’une part, et l’instauration d’une véritable politique d’accès à l’autonomie des jeunes pour accompagner la transition entre les études et l’emploi d’autre part.

Ouvrir les droits sociaux dès 18 ans

Mettre fin aux barrières d’âge en matière de protection sociale constitue une priorité croissante tant la pauvreté s’étend au sein des classes d’âge les plus jeunes. Si les taux de pauvreté les plus élevés étaient observés dans les années 1970 parmi les plus âgés, désormais ce sont chez les jeunes qu’ils culminent, puisque 20 % des jeunes de 18 à 25 ans ont des ressources qui les situent en-dessous du seuil de pauvreté au seuil de 60 % du niveau de vie médian, selon l’Insee. Malgré cette réalité alarmante, les moins de 25 ans ne peuvent toujours pas bénéficier du RSA dans les mêmes conditions que le reste de la population. Leurs droits sont même ouverts avec des critères tellement stricts (avoir travaillé deux ans à temps plein au cours des trois années précédant la demande) que seuls quelques milliers de jeunes en bénéficient. Au-delà de l’urgence sociale qui justifie à elle seule la fin de cette discrimination selon l’âge, il en va également de la synchronisation des différents âges de la majorité : à 18 ans, tout citoyen doit voir s’ouvrir l’ensemble des droits politiques et sociaux, ainsi que les devoirs afférents.

Des bons « autonomie »

L’instauration d’un véritable dispositif universel d’accès à l’autonomie des jeunes constitue le second pilier de cette révolution des politiques publiques. Concrètement, il s’agirait de s’inspirer des dispositifs mis en œuvre dans les pays scandinaves, et notamment au Danemark, où chaque jeune parvenu au seuil des études supérieures voit s’ouvrir le droit à soixante bons mensuels de formation, sans condition de ressources [2]. L’allocation est d’un niveau élevé, proche de 800 euros, et peut être cumulée avec une aide au logement. Point important : ces bons mensuels peuvent être « consommés » en plusieurs fois, ce qui favorise les allers-retours entre la formation et l’emploi et adoucit la transition entre la fin des études et l’entrée sur le marché du travail. Ce n’est toutefois pas le seul avantage de ce dispositif. Celui-ci favorise évidemment l’accès à l’autonomie des jeunes en permettant que leur trajectoire ne soit pas étroitement déterminée par le niveau de ressources de leurs parents. Il permet également aux jeunes de « se trouver » et de prendre leur temps en leur accordant le droit au doute et à l’erreur : ils peuvent bifurquer, se réorienter, aller travailler, revenir se former à l’université [3].

Sans qu’il soit question de dupliquer ce dispositif exactement à l’identique en France, son intérêt apparaît toutefois assez clairement car il permettrait de desserrer un double étau dans lequel sont emprisonnés les jeunes Français : la rigidité du système éducatif et la familialisation [4] de l’accès à l’autonomie. Les défauts du système éducatif français sont connus : alors qu’il est impuissant à enrayer les inégalités sociales, les diplômes qu’il délivre exercent une très forte emprise sur l’ensemble de la carrière professionnelle. Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, un tel dispositif favoriserait la poursuite d’études des enfants des classes populaires et diminuerait l’extrême tension qui règne autour des diplômes puisque les secondes, voire les troisièmes chances, seraient autorisées. Évidemment, ce dispositif ne peut à lui seul assurer une réelle démocratisation scolaire, et il devrait s’accompagner d’une politique vigoureuse et résolue de lutte contre les inégalités sociales de réussite et de cursus scolaires dès l’école primaire.

Un droit universel

En outre, au-delà de ce qui se joue dans le champ scolaire, un dispositif de cette nature viendrait porter un coup d’arrêt à la familialisation de l’accès à l’autonomie des jeunes en France. Si l’État n’est pas totalement absent, via les bourses ou les aides au logement pour les étudiants, force est de constater que l’essentiel des coûts de l’accès à l’autonomie des jeunes repose sur les familles, ce qui favorise par définition la reproduction des inégalités. On voit bien, dès lors, comment ce dispositif d’accès à l’autonomie des jeunes contribuerait à réduire les inégalités sociales au sein des générations. Mais il constituerait également une arme essentielle pour réduire la fracture qui grandit entre les âges en matière de dépense publique, et ainsi résorber les inégalités qui se creusent entre les générations.

Comme la vieillesse et la dépendance, l’accès à l’âge adulte est un moment fragile de la vie. La prise d’autonomie qui s’y joue ne doit donc pas être laissée au seul marché ou à la seule famille. C’est pourquoi il est important que ce droit soit universel : il en va du message que nos sociétés vieillissantes envoient à leurs jeunesses. Il s’agit de reconnaître des citoyens qui n’existent pas seulement par les conditions de leur naissance, mais par le regard que la société porte sur eux : des individus libres qu’il faut accompagner sur le chemin d’une vraie autonomie, tant financière que sociale. Le financement d’un tel dispositif ne constitue pas un obstacle insurmontable à moyen terme [5]. Il se substituerait notamment à un certain nombre de micro-dispositifs qui constituent le millefeuille des politiques en faveur de la jeunesse en France [6].

Camille Peugny, auteur notamment de Le Destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale. Le Seuil, 2013.

Ce texte est un extrait de l’ouvrage Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent, sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.

Photo / DR


[1Selon nos propres calculs dans Le Destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Le Seuil, 2013.

[2Sur ce sujet, voir aussi la contribution de Guillaume Allègre : « Pour un capital formation », in Que faire contre les inégalités ? (dir. Louis Maurin et Nina Schmidt), Observatoire des inégalités, juin 2016. Ce dispositif s’adressant de fait aux jeunes qui entreprennent des études, il est important qu’il aille de pair avec l’extension du RSA aux moins de 25 ans, mesure à destination des plus fragiles de la classe d’âge.

[3Voir Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, PUF, 2008.

[4NDLR : l’autonomie des jeunes repose presque exclusivement sur l’aide que peut (ou non) leur apporter leur famille.

[5A titre d’exemple, pour 36 bons mensuels d’un montant de 500 euros, le coût annuel pour le budget de l’État a été estimé à 4 milliards nets. Voir L’autonomie des jeunes au service de l’égalité, Rapport de la fondation Terra Nova, coordonné par Guillaume Allègre, Alain Marceau et Maud Arnov, novembre 2010.

[6Par exemple, la demi-part fiscale maintenue après 18 ans pour les enfants poursuivant des études et les bourses n’auraient plus lieu d’être : il serait inutile d’aider les familles à aider les jeunes, puisque ces derniers le seraient directement.

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Date de première rédaction le 3 novembre 2017.
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