Proposition

Comment favoriser le partage du travail domestique entre femmes et hommes ?

Le partage des tâches entre femmes et hommes au sein des couples est un enjeu de politique publique. L’État doit encourager la présence des jeunes pères auprès de leur nouveau-né. Il peut aussi sensibiliser massivement les adultes et éduquer les adolescents au travail domestique partagé. Les propositions de la démographe Ariane Pailhé.

Publié le 7 mars 2023

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Modes de vie Femmes et hommes

Malgré la progression de l’emploi féminin, la diffusion de l’équipement ménager, les changements des structures familiales, la division sexuée du travail domestique et parental résiste. En France, les femmes d’âge actif passent en moyenne chaque jour trois heures aux tâches domestiques quand les hommes y consacrent 1 h 45, les mères 1 h 35 aux tâches parentales, les pères 41 minutes. Dans ce domaine, les choses n’évoluent que très lentement. En 2011, les femmes effectuent la majorité des tâches domestiques : 64 %, contre 69 % au milieu des années 1980, et cette « convergence » relève uniquement d’une baisse du temps domestique des femmes. Cette division du travail reste fortement inégalitaire, même quand les deux conjoints travaillent. Elle est à peine atténuée lorsque la femme gagne plus que son conjoint.

En plus des écarts de temps passé au travail domestique, la grande différence entre hommes et femmes réside dans la nature et la temporalité des tâches effectuées. Les hommes réalisent plutôt des tâches à la frontière du loisir, occasionnelles, qui peuvent être organisées en fonction de leurs disponibilités, comme le bricolage, les courses ou les jeux avec les enfants. Les femmes, elles, continuent à prendre davantage en charge les tâches les moins plaisantes, durables, répétitives et routinières, comme la préparation des repas quotidiens, les lessives, les soins aux enfants, le suivi des devoirs et le ménage. Elles s’occupent plus souvent des enfants le mercredi et s’arrangent pour les garder en cas d’imprévu (maladies, grèves, etc.). À ce besoin de disponibilité permanente s’ajoute tout leur travail d’organisation de la vie familiale, d’anticipation et de préoccupation des besoins des autres, ce qu’on appelle la charge mentale.

Un travail invisible qui crée de la valeur

Le travail domestique, souvent dévalorisé car invisible, est loin d’être une question purement privée. Les tâches qui en découlent font en effet pleinement partie de l’activité économique. C’est un travail qui participe à produire des biens et services qui contribuent au bien-être des membres du ménage, et au-delà. Ces activités domestiques ne sont pas comptabilisées dans les statistiques économiques, car elles ne sont pas rémunérées, mais on estime la valeur ainsi créée à un tiers du produit intérieur brut, la richesse monétaire créée chaque année.

La contribution différente des hommes et des femmes aux tâches domestiques révèle leurs positions inégales au sein du couple et dans la société. Elle reflète l’infériorisation des femmes, les relations de pouvoir entre les membres de la famille, et plus précisément entre les hommes et les femmes.

Cette disparité est une affaire publique car elle affecte d’autres aspects de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le temps supplémentaire que les femmes consacrent aux tâches domestiques, et surtout aux tâches parentales, est un frein à l’accès à l’emploi, au déroulement de la carrière professionnelle et une cause majeure des écarts de rémunération entre les sexes. Cela rend les femmes plus dépendantes financièrement de leur conjoint et plus vulnérables à la pauvreté en cas de dissolution du couple. Les femmes ont aussi moins de temps disponible pour se former, participer à la vie politique ou associative. Pour les hommes, la division du travail parental les prive de proximité avec le bébé et par la suite, peut nuire à la relation père-enfant en cas de rupture conjugale.

Une politique des temps qui tienne compte du genre

L’inégale répartition du travail domestique et parental est donc un enjeu politique qui demande d’agir de façon cohérente sur plusieurs fronts. Il est souvent avancé que le temps domestique des hommes et des femmes dépend de leur temps respectif passé au travail rémunéré et de leurs horaires de travail. Ce serait parce que les femmes passent moins d’heures aux activités rémunérées qu’elles prendraient en charge l’essentiel du travail domestique. Mais, comme l’expérience récente de la pandémie de Covid-19 l’a montré, la division du travail domestique reste inégale, même dans le cas où les deux conjoints n’ont pas d’activité rémunérée ou y consacrent autant de temps. De même, la mise en place des 35 heures a contribué à faire participer un peu plus les hommes au travail domestique, mais ces derniers ont surtout augmenté leur temps de loisir et la division du travail n’a été que peu modifiée. Plus généralement, les politiques publiques ont peu d’effet en termes d’égalité entre femmes et hommes lorsqu’elles n’intègrent pas le genre dans leur conception.

Les mesures ciblées explicitement sur les hommes sont plus efficaces

Les mesures ciblées explicitement sur les hommes sont plus efficaces. L’allongement du congé de paternité, à 28 jours maximum contre quatorze jours auparavant, est une première étape. On peut aller plus loin. C’est en effet au moment des naissances que se creusent les inégalités de partage des tâches domestiques. Des expériences à l’étranger ont montré que le congé paternité plus long contribue à une parentalité [1] mieux partagée ; un investissement précoce des pères participe aussi à renouveler les cadres de la socialisation des jeunes enfants et à réduire l’asymétrie des rôles parentaux. Mais une mesure plus efficace consiste à désynchroniser une partie du congé entre les parents. Ainsi en Allemagne, où les couples bénéficient de semaines supplémentaires de congé payé si les deux parents prennent un congé après une naissance, il a été montré que les pères s’impliquent davantage et durablement dans la sphère domestique lorsqu’ils ont pris leur congé à un autre moment que leur conjointe. Prendre le congé paternité alors que la mère a repris le travail rémunéré permet aux pères d’être responsables de l’organisation domestique, de ne pas se reposer sur la mère et de faire à leur façon. De telles politiques vont dans la bonne direction, mais elles ne sont pas suffisantes. Pour que ce type de congé modifie les comportements et les attitudes, il faut que les pères prennent réellement le congé auquel ils ont droit. Leur rémunération doit pour cela être suffisante et leurs perspectives professionnelles non affectées. Ils doivent ne pas se sentir stigmatisés sur leur lieu de travail. Toutes ces mesures doivent bien entendu également bénéficier aux mères. Il faut aussi une politique d’articulation emploi-famille plus large, qui développerait les modes de garde, favoriserait des organisations des temps de travail plus souples mais aussi moins longs, et lutterait contre la précarité de l’emploi pour garantir le maintien dans l’emploi.

Ces mesures ne seront pas effectives sans un travail sérieux et cohérent de lutte contre les stéréotypes de sexe. Ces stéréotypes, profondément ancrés, assignent aux femmes la responsabilité du domestique et des soins aux enfants, et aux hommes l’extérieur et le travail rémunéré.

Pour jouer sur les normes de masculinité et de féminité, des campagnes de sensibilisation antisexiste doivent être diffusées sur les médias traditionnels et en ligne, à l’image de ce qui a été mis en place en Autriche, en République tchèque, au Portugal ou en Slovénie. Mais, c’est surtout un travail de fond de formation à ces stéréotypes qui est à mener auprès des différents acteurs. L’école et les activités extrascolaires étant des lieux majeurs de socialisation, d’apprentissage des normes et des comportements sociaux, la formation des professionnels de l’enfance (professionnels de la petite enfance, enseignants, éducateurs, animateurs, etc.) est capitale. Des recrutements plus mixtes dans ces métiers contribueraient aussi à modifier les représentations.

Enfin, c’est aussi à travers des actions concrètes que l’on peut agir, et ce dès l’enfance. L’apprentissage non sexué des différentes tâches domestiques permet une socialisation précoce au travail domestique. Si cuisiner, nettoyer, ranger est encouragé à la crèche ou l’école maternelle, il faut poursuivre à l’adolescence. On peut penser à une version modernisée des cours d’éducation manuelle et technique au collège, où garçons et filles apprendraient la cuisine quotidienne ou le maniement de la perceuse. Des expériences étrangères sont aussi intéressantes, comme en Suisse où collégiens et collégiennes partent une semaine en autonomie et réalisent tous et toutes les tâches de la vie quotidienne. L’égalité de genre doit être un élément central des projets pédagogiques.

Pour atteindre une égalité réelle entre femmes et hommes, c’est donc un plan d’action complet, qui englobe les politiques éducatives, familiales, d’emploi et culturelles, qui doit être mené.

Ariane Pailhé
Directrice de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined)

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[1Parentalité : la manière dont on vit le fait d’être parent et la fonction de parent.

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Date de première rédaction le 7 mars 2023.
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