Questions clés

Quels mots utiliser pour parler de la pauvreté ?

Pauvreté, exclusion, précarité, vulnérabilité... : notre vocabulaire est riche pour décrire la situation des plus démunis. Le plus souvent, on emploie ces termes comme des synonymes, mais leur signification comporte des nuances.

Publié le 26 octobre 2021

https://www.inegalites.fr/Un-riche-vocabulaire-pour-parler-des-pauvres - Reproduction interdite

Revenus Pauvreté

Le mot « pauvreté » nous vient du latin paucus, qui signifie « peu ». À l’origine, celui qui avait peu était celui qui avait peu de récoltes, dont la terre donnait peu. La notion d’exclusion sociale » est développée au milieu des années 1970 par René Lenoir [1]. À l’époque, on est encore dans l’euphorie des Trente Glorieuses et on observe qu’une frange de la population ne profite pas du progrès : on parle aussi de « marginaux ». Aujourd’hui, le mot « exclusion » est très largement employé, au-delà des exclus du progrès, parfois comme synonyme de pauvreté : ceux qui ne bénéficient pas de l’ensemble des bienfaits de la société de consommation. Les politiques de lutte contre la pauvreté sont souvent présentées comme des politiques de lutte contre l’exclusion sociale.

Dans les années 1990, le sociologue Robert Castel [2] développe le concept de « désaffiliation » pour montrer l’importance du processus de dégradation des liens sociaux, notamment à travers deux axes : un axe d’intégration dans la sphère professionnelle, et un axe d’insertion par la sociabilité (les amis et la famille notamment). La désaffiliation comprend la pauvreté monétaire mais aussi la pauvreté des liens sociaux de façon plus large. Avec le concept de « disqualification sociale [3] », le sociologue Serge Paugam montre comment les plus pauvres sont stigmatisés, désignés comme « assistés ».

De son côté, le mot « précarité » a une double signification. Au sens strict, il décrit le statut au travail : le précaire est celui qui ne dispose que de contrats de travail à courte durée (contrats à durée déterminée, intérim, stages, etc.). Dans un sens plus large, il peut décrire tous ceux qui semblent vivre « au jour le jour », sans savoir de quoi sera fait demain, dans un univers de relations instables.

Les concepts de « vulnérabilité » ou de « fragilité » ont l’intérêt de mettre l’accent sur l’instabilité des situations causées par un ensemble de critères (diplôme, statut d’emploi, revenus, santé, etc.). Ils révèlent des situations qui risquent de conduire à un basculement vers la pauvreté. Ce n’est plus la société qui met de côté une partie de la population, ce sont les individus qui, par leurs caractéristiques propres, sont fragiles, ne sont pas à même de se sortir de la pauvreté. Un glissement potentiellement dangereux : comme le note l’historienne Axelle Brodiez-Dolino, « il convient de ne pas se tromper de combat : c’est d’abord la société qui vulnérabilise les individus, et non l’inverse » [4].

Les termes qui qualifient la pauvreté ne sont pas anodins. On voit bien, par exemple, le glissement qui s’est produit sur le terme de « l’assistance ». Son origine, très ancienne, est religieuse : l’Église portait secours en particulier aux enfants. Il était par exemple difficilement concevable de laisser mourir un bébé privé de ses parents, de le laisser sans assistance. Désormais, être « assisté » est devenu péjoratif. Les pauvres vivraient de l’« assistanat », situation durable de dépendance vis-à-vis de la collectivité, dont ils profiteraient des largesses.

Photo / © Pixarno - Fotolia


[1Les Exclus, René Lenoir, Seuil, 1974.

[2La Montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, Robert Castel, Paris, Seuil, 2009.

[3La Disqualification sociale, Serge Paugam, PUF, 1991.

[4« Le concept de vulnérabilité », Axelle Brodiez-Dolino, www.laviedesidees.fr, 11 février 2016

Date de première rédaction le 26 octobre 2021.
© Tous droits réservés - Observatoire des inégalités - (voir les modalités des droits de reproduction)

Sur ce thème