Analyse

Super-riches : quand va-t-on inverser la courbe ?

Après une envolée des revenus et des patrimoines des riches, la situation des riches semble stabilisée depuis 2008. Mais du côté du 1 % des plus hauts salaires et des grandes fortunes, plusieurs indicateurs montrent que les super-riches poursuivent leur enrichissement malgré les crises. Une analyse d’Anne Brunner, extraite du Rapport sur les riches en France.

Publié le 1er juin 2022

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Revenus Riches Niveaux de vie Patrimoine

Pour les riches, la période la plus faste semble révolue. Leur niveau de vie avait augmenté quasiment sans interruption entre 1998 et 2008. En moyenne, les 10 % du haut de l’échelle des revenus ont gagné 13 000 euros annuels supplémentaires sur la période, inflation et impôts déduits. Une progression de 27 %, bien supérieure à celle que les classes moyennes et populaires ont connue. La dernière décennie est moins flamboyante pour les plus riches. La crise financière de 2008 est passée par là et l’envolée des prix de l’immobilier s’est calmée. En 2019 (dernière année disponible), le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches est au même niveau qu’en 2009.

Tout de même, un flash-back sur les cinq dernières années (2014-2019) montre que les riches tirent bien leur épingle du jeu. En cinq ans, les 10 % les plus riches ont gagné 2 200 euros de revenu annuel supplémentaire en moyenne, c’est deux fois plus que les classes moyennes. Les hauts salaires sont repartis à la hausse après le contrecoup de 2008. Leur part dans l’ensemble des rémunérations a gagné un demi-point en cinq ans, entre 2013 et 2018, portée par le 1 % le mieux payé du privé. Un retour des inégalités de salaires, en réalité en germe depuis la fin des années 1990. Le monde du travail profite de plus en plus aux riches.

Les entreprises ont aussi versé des dividendes généreux à leurs actionnaires dans les années qui ont précédé la crise sanitaire. La crise financière de 2008 et les mesures fiscales de 2011 et 2012, défavorables aux plus aisés, ne resteront-elles que des accidents de parcours dans un inexorable processus d’enrichissement des plus riches ?

Moins d’impôts : des super-riches encore plus riches

Les réformes fiscales d’Emmanuel Macron ont été très favorables aux plus riches. L’Institut des politiques publiques (IPP) [1] évalue que les réformes des impôts et des prestations sociales décidées au cours du quinquennat 2017-2022 ont augmenté les inégalités entre les deux extrémités de l’échelle des revenus. Les 5 % les plus pauvres n’ont tiré aucun bénéfice de ces mesures, le niveau de vie a même diminué pour certains. Pour l’immense majorité de la population, située entre les 5 % les plus pauvres et le 1 % le plus riche, l’amélioration des revenus est de l’ordre de 1 % à 2 % annuels. Les membres du 1 % le plus riche sont les grands gagnants de ces mesures, qui font progresser de près de 3 % leurs revenus après impôts.

En euros, plus on est aisé, plus on a bénéficié des réformes, toujours selon cette étude. Pour les personnes situées parmi les 5 % les plus pauvres, l’effet des mesures gouvernementales est d’un montant proche de zéro. Entre les 6 % les plus pauvres et le milieu de l’échelle des revenus (environ 1 800 euros par mois après impôts pour une personne seule), l’amélioration est un peu plus sensible, aux alentours de 200 euros annuels. Dans le tiers supérieur, le gain est d’environ 500 euros annuels. Pour le 1 % du haut, c’est 3 500 euros de plus.

Rappelons-le : la transformation de l’impôt sur la fortune en un impôt sur la seule fortune immobilière, et la réduction de l’imposition des revenus financiers  [2], ne concernent que les très très riches (le 1 %, et même principalement le millième le plus riche de la population, selon l’IPP). La suppression de la taxe d’habitation, étendue aux plus riches, bénéficie davantage à ceux qui disposent de logements dont la valeur est la plus élevée.

Un certain nombre de mesures ont néanmoins été favorables aux plus modestes. D’abord, les moins favorisés qui travaillent ont bénéficié de la hausse de la prime d’activité (qui représente pour l’État un budget de 2,7 milliards d’euros par an) grâce à la mobilisation des « gilets jaunes ». Le minimum vieillesse et l’allocation adulte handicapé ont aussi été revalorisés (+ 1,3 milliard au total). Mais ces dépenses de protection sociale ont été largement récupérées sur les pensions de retraite (- 3,4 milliards), les indemnités chômage (- 2,3 milliards) et les allocations logement (- 1,1 milliard). La réforme du barème de l’impôt sur le revenu a diminué l’imposition des classes moyennes (situées entre les 50 % et les 80 % les plus riches).

Au bout du compte, si l’on raisonne en euros pour l’équivalent d’une personne, le soutien aux revenus est tout simplement croissant en fonction du niveau de vie : plus vos revenus sont élevés, plus les politiques menées entre 2017 et 2022 les ont augmentés. Avec une prime considérable aux très riches, comme le note l’IPP.

Cette étude ne prend pas en compte les mesures de soutien transitoires, ni le plan de relance de l’économie, décidés par le gouvernement en réponse à la crise sanitaire. Ces mesures ont compensé la baisse d’activité de 2020 à l’échelle de l’ensemble des ménages. Les premières estimations concernant les revenus de l’Insee ne font pas apparaître d’augmentation en 2020. Comment les revenus et le patrimoine des riches ont ils évolué dans ce contexte inédit ? Comment le regain de croissance de 2021-2022 se traduira-t-il aux différents niveaux de l’échelle des revenus ? Nous ne disposons pas encore de données définitives, encore moins d’éclairage sur le 1 % le plus riche. La prudence est donc de mise.

À la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, le CAC 40, l’indice de la valorisation boursière des plus grandes entreprises françaises, atteignait un sommet jamais enregistré depuis 30 ans et, peu après ce choc, il recommence déjà à progresser. Après une baisse en 2020, la masse des dividendes versés en 2021 a pratiquement recouvré son niveau d’avant-crise, stimulé par la baisse de l’imposition des revenus financiers. Certaines grandes entreprises (L’Oréal, Total Energies ou Sanofi par exemple [3]) s’apprêtent à verser d’énormes dividendes qui iront dans leur immense majorité enrichir les ménages déjà les plus fortunés.

Qu’attendons-nous dans ce contexte pour que se mettent en place de nouvelles solidarités ? La pandémie mondiale a laissé s’accroître encore plus les immenses fortunes financières de l’Hexagone et de la planète. Faudra-t-il un troisième conflit mondial pour infléchir la courbe de l’enrichissement des super-riches comme cela a été le cas après les guerres mondiales du XXe siècle ? On aimerait croire que le personnel politique est conscient des besoins d’investissements publics, que ce soit en matière de lutte contre la pauvreté, de services publics de santé, de justice, d’éducation ou de transition écologique. On aimerait croire aussi qu’il est soucieux de ne pas laisser les jeunes générations seules aux prises avec la « dette Covid ».

C’est bien d’une réforme globale de l’imposition des revenus, de l’héritage et du patrimoine que nous avons besoin. Il ne s’agit pas de se focaliser sur le 1 % le plus riche, mais de refonder la solidarité et de faire contribuer davantage l’ensemble des ménages, en fonction de leurs revenus.

Estimation de l'effet des mesures prises pendant les années 2017-2022 sur le niveau de vie. Lecture : pour le centième le plus riche, l'ensemble des mesures sociales et fiscales du quinquennat a augmenté le niveau de vie de 3 519 euros annuels.

Source : Institut des politiques publiques – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Anne Brunner, directrice d’études à l’Observatoire des inégalités

Illustrations / © domaine public


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Rapport sur les riches en France, seconde édition – 2022. Sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2022.

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[1« Les impacts redistributifs du budget 2022 sur les ménages, et rétrospective des cinq dernières années », Paul Dutronc-Postel et al., Institut des politiques publiques, novembre 2021.

[2« Taxation des revenus financiers : un cadeau de 100 000 euros pour les plus riches », Noam Leandri et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, inegalites.fr, 24 septembre 2018.

[3Voir La Lettre Vernimmen n° 194, janvier 2022.

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Date de première rédaction le 1er juin 2022.
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