Analyse

Pauvreté : qui arrive à s’en sortir (ou pas) ?

Pour comprendre la pauvreté, il faut s’intéresser aux parcours des personnes concernées. Quels sont les facteurs qui font que l’on s’en sort ou pas ? Le diplôme, l’âge et les évolutions familiales sont des éléments clés. L’analyse de Louis Maurin.

Publié le 21 décembre 2018

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Revenus Pauvreté

Pour connaître l’évolution de la pauvreté, on se contente trop souvent de comparer le nombre de pauvres entre deux dates. On oublie les parcours des personnes, ce qui fait que l’on devient pauvre ou que l’on s’en sort. Un taux de pauvreté peut correspondre à des formes très différentes de pauvreté, selon qu’elle est plus ou moins durable. Les associations qui soutiennent les plus démunis comme les travailleurs sociaux connaissent bien ces histoires de vie, faites d’avenirs meilleurs ou d’enfermements. On ne dispose que de très peu de données générales sur le sujet. Quelques études permettent cependant de comprendre un peu mieux le phénomène.

L’évolution du taux de pauvreté [1] est souvent mal interprétée car on oublie que d’une année sur l’autre les pauvres ne sont pas les mêmes. Prenons l’exemple de ce qui s’est passé entre 2009 et 2010, objet d’une étude de l’Insee [2]. Le taux de pauvreté est passé de 12,7 % en 2009 à 13,6 % en 2010, une augmentation de 0,9 point. Mais le nombre de pauvres de 2010 n’est pas l’équivalent de celui de 2009 auquel on aurait ajouté un surcroît de personnes dont les revenus sont tombés sous le seuil de la pauvreté en 2010. La hausse résulte de deux flux de sens inverse : 4,4 % de la population française est sortie de la pauvreté et 5,3 % y est entrée. Un tiers des pauvres de 2009 ne l’étaient donc plus en 2010.

Prenons maintenant, non pas tous les pauvres, mais ceux qui le deviennent une année donnée. Selon l’Insee, la moitié d’entre aux restera pauvre l’année suivante, 30 % le seront encore au bout de trois ans et 20 % au bout de quatre (voir graphique ci-dessous). Une histoire de verre à moitié vide ou à moitié plein. Quatre années après être devenues pauvres, 80 % des personnes ne le sont plus : la pauvreté n’est pas une trappe dans laquelle on tombe et dont on ne s’échappe pas. En même temps, cela signifie qu’une partie de la population (20 %) reste durablement marquée.

Quels facteurs rendent la pauvreté plus durable ? Les plus âgés sont moins touchés, mais, une fois qu’ils sont pauvres, la probabilité pour eux de s’en sortir est plus faible. Au bout de deux ans, les deux tiers des plus de 65 ans sont toujours pauvres, contre 43 % des moins de 65 ans. Les cadres supérieurs qui s’appauvrissent s’en sortent plus vite en général : les trois quarts de ceux d’entre eux qui sont devenus pauvres ne le sont plus l’année suivante, contre 45 % des ouvriers.

Note de lecture : parmi les personnes qui deviennent pauvres une année, 30 % le seront encore trois ans plus tard.

Source : Insee – Données 2004-2010 – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Pour bien analyser ces parcours, il faut aussi considérer la durée. Dans une seconde étude, l’Insee a suivi durant cinq années les personnes pauvres de 2004 [3]. Au cours de ces cinq années, 3,7 % de la population est restée en quasi-permanence sous le seuil de pauvreté : c’est le cœur de la pauvreté en France. Les auteurs mettent en avant l’effet du diplôme : «  Si faire des études n’est pas un bouclier contre toutes les situations de pauvreté, cela n’en constitue pas moins un moyen efficace pour éviter la pauvreté durable », écrivent-ils. Au total, 40 % de la population est sortie du système scolaire avant 17 ans. 48 % des pauvres sont dans ce cas et 58 % de ceux qui sont restés pauvres au moins quatre années. Les auteurs insistent par ailleurs sur l’impact des séparations au sein des couples.

Une troisième étude analyse les montées et les descentes dans l’échelle des revenus de la population de 2007, pour les années 2008 à 2010 [4]. Pour observer les évolutions, elle distingue trois catégories : ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, ceux qui sont entre ce seuil et les 40 % des plus bas revenus (qualifiés de « modestes ») et les 60 % supérieurs restants. Parmi les pauvres de 2007, la moitié s’est trouvée sous le seuil de pauvreté au moins deux fois entre 2008 et 2010, un tiers a accédé aux catégories modestes et 9 % ont grimpé jusqu’aux catégories supérieures. Parmi les modestes, 12 % sont devenus pauvres et 24 % sont passés dans la tranche supérieure. Enfin, 89 % des « supérieurs » le sont restés, 8 % sont descendus parmi les modestes et 2 % seulement sous le seuil de pauvreté. L’échelle de temps est relativement courte, mais l’on voit bien que les parcours entre les extrêmes sont rares, les flux les plus conséquents se situant entre les plus pauvres et les catégories modestes.

L’idée qu’à un moment donné tout le monde puisse devenir pauvre est une vue de l’esprit. « Parmi la tranche des niveaux de vie modestes, les chômeurs, les immigrés, les familles monoparentales et les familles nombreuses suivent plus souvent des trajectoires descendantes, conduisant à des situations de pauvreté monétaire », analysent les auteurs. Quatre événements majeurs peuvent faire basculer des catégories modestes vers la pauvreté : travailler un nombre de mois inférieur dans l’année (précarité de l’emploi), se retrouver au chômage, avoir un enfant (ou voir un enfant revenir au foyer) ou se séparer.

Toutes ces études portent sur un temps qui reste assez court, quelques années tout au plus, et ne donnent qu’une idée rudimentaire de parcours qui peuvent être faits d’allers-retours entre des niveaux de vie modestes et la pauvreté, au gré notamment des aléas de l’emploi. Si on allongeait la durée d’observation, la probabilité de connaître au moins une fois la pauvreté augmenterait et la part de personnes enfermées dans la pauvreté baisserait.

On peut tout de même en tirer plusieurs enseignements. Premièrement, d’une année sur l’autre, un tiers des pauvres ne le sont plus : cela peut sembler modeste, mais cela montre que la pauvreté reste très largement transitoire. Deuxièmement, l’événement majeur qui fait basculer vers la pauvreté ou en sortir, c’est la perte ou l’accès à l’emploi. Et là, la catégorie sociale et le diplôme sont des éléments clés. Agir contre la pauvreté à la racine c’est créer des emplois durables et correctement rémunérés d’un côté, réduire les inégalités d’éducation de l’autre. Troisièmement, les événements familiaux restent relativement rares, mais une séparation fragilise, notamment les femmes avec des enfants. Il y a là aussi matière à engager des politiques publiques d’une autre dimension.

Faute de données, on ne sait pas dire comment évolue dans le temps le caractère plus ou moins durable de la pauvreté. On doit se contenter d’hypothèses. Les niveaux de vie des personnes âgées se sont élevés et ces dernières représentent une part décroissance des plus pauvres. Il est fort probable que la pauvreté d’aujourd’hui est moins durable que celle d’hier. En revanche, le chômage et la progression de la monoparentalité ont joué en sens inverse, sans que l’on puisse mesurer dans quelle proportion. Il faudrait aussi mieux étudier le parcours de personnes sorties de la pauvreté qui redeviennent pauvres après quelques années, expérience de vie particulièrement douloureuse.

En France, la pauvreté est moins durable qu’ailleurs
Comparée au reste de l’Europe, la France est l’un des pays où l’on sort le moins difficilement de la pauvreté. Au seuil de pauvreté à 50 %, en 2015 en France, 2,4 % de la population était pauvre et l’avait été au moins deux années au cours des trois années précédentes. Seuls trois pays, la Norvège (1,9 %), la Finlande (1,9 %) et le Danemark (0,6 %), font mieux. Le Royaume-Uni se situe à 3,9 %, ce qui est bien meilleur que l’Allemagne (5,5 %). Le taux est supérieur à 8 % en Espagne comme en Italie.

Seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian. Lecture : en France, 2,4 % de la population était pauvre en 2015 et l'avait été au moins deux années entre 2012 et 2014. *La donnée danoise est étonnamment basse. Le taux était de 1,8 % en 2014.

Source : Eurostat – Données 2015 – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Photo / © JackF


[1Dans cet article, nous utilisons le seuil à 60 % du revenu médian faute de disposer des informations pour le seuil à 50 %.

[2« Les facteurs qui protègent de la pauvreté n’aident pas forcément à s’en sortir », Simon Beck, Nathalie Missègue et Juliette Ponceau, in Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2014, Insee Références, Insee, 2014

[3« Pauvreté monétaire en termes de conditions de vie : sur cinq années, un tiers de la population a été confrontée à la pauvreté. », Pascal Godefroy et Nathalie Missègue, in Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2012, Insee Références, Insee, 2012.

[4« Les conditions de vie des personnes aux revenus modestes et leurs trajectoires de niveau de vie », Julie Labarthe et Michèle Lelièvre, in Minima sociaux et prestations sociales, Drees, ministère des Affaires sociales, 2014.

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Date de première rédaction le 21 décembre 2018.
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