Entretien

« On ne réglera pas le problème des inégalités en s’en prenant uniquement aux 1 % les plus riches », Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités

Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, estime que les catégories aisées se focalisent sur les 1 % les plus riches pour éviter de participer à la solidarité nationale.

Publié le 7 novembre 2019

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Revenus Riches Niveaux de vie

Dans leurs promesses en faveur du pouvoir d’achat, La République en Marche comme Les Républicains affirment viser les classes moyennes. En quoi est-ce révélateur ?
C’est un enjeu classique du débat public. Traditionnellement, il y a deux facettes dans le discours politique sur ce sujet. D’une part, s’accaparer les classes moyennes permet de montrer du doigt, à l’inverse, les plus pauvres, les « assistés », les immigrés. C’est une tendance que l’on trouve à droite, mais aussi dans une partie de la gauche, avec l’opposition entre les Blancs pauvres de la France périphérique, « moyenne », qui seraient à l’abandon, et les Noirs ou les Arabes des cités qui profiteraint de la vie dans les métropoles.

D’autre part, lorsque les politiques parlent des « classes moyennes supérieures », neuf fois sur dix, cela désigne les catégories aisées que l’on veut inclure dans le bloc « moyen », afin de leur épargner d’avoir à faire preuve de solidarité. Comme en France, être riche est un gros mot, on ne veut pas se dire « aisé », on préfère se dire victime de la crise ou de la stagnation du pouvoir d’achat.

Peut-on donner une définition objective de la classe moyenne ?
C’est ce que nous avons essayé de faire dans une étude parue fin janvier et intitulé « Riches, pauvres et classes moyennes : comment se situer ? ». À partir de données de l’Insee, nous avons choisi de considérer comme appartenant aux classes moyennes les personnes situées entre les 30 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches. C’est en partie arbitraire : il nous paraissait aberrant de classer comme « moyens » les 10 % de Français les plus riches, même si l’écart de richesse est important entre le bas et le haut de ce dernier « décile », c’est-à-dire entre un cadre supérieur et les très grandes fortunes. De même, étendre les classes populaires jusqu’à la moitié de la population aurait été exagéré.

À cette aune, le niveau de vie mensuel – c’est-à-dire les revenus après impôts et prestations sociales – des classes moyennes est situé entre 1 265 et 2 275 euros par mois pour une personne seule, entre 2 468 et 4 423 euros pour un couple sans enfant et entre 3 302 et 5 743 euros pour un couple avec deux enfants.

Cet exercice a des limites…
Bien sûr. Il ne prend pas en compte le coût du logement, bien plus élevé à Paris par exemple, ou celui des transports, qui est au contraire relativement bon marché dans la capitale par rapport au reste du pays. Et pour un jeune cadre parisien, ces chiffres paraissent faibles. Il n’en reste pas moins que gagner 3 000 euros par mois, en France, c’est énorme [1]. Mais pour certaines personnes, y compris à gauche, dire cela, c’est violent.

Pourquoi est-il important de donner une définition ?
Le danger de l’absence de consensus, c’est le «  tous contre les 1 % les plus riches ». Or, on ne réglera pas le problème des inégalités en s’en prenant aux 1 % les plus riches ! Leurs revenus ont beau être indécents, c’est une forme de démagogie. Cela permet de se donner bonne conscience en ciblant des « méchants ». Selon moi, la taxe anti-riches de François Hollande [2] allait dans le mur, au même titre que la baisse de la fiscalité du capital [3] mise en place par Emmanuel Macron.

Vous ne pouvez pas dire à quelqu’un : vous devez payer pour tous les autres. Cela remet en cause le principe de justice et de légitimité de l’impôt. Tout l’enjeu de la politique fiscale repose sur son universalité : il faut que les règles soient les mêmes pour tous, en fonction de la capacité de chacun à payer.

Ce qui provoque des tensions sociales, ce ne sont pas tant les inégalités ou les disparités de pouvoir d’achat : c’est le sentiment de se faire avoir. Les retraités aisés ne peuvent pas comprendre qu’on rehausse leur CSG, si dans le même temps les très grandes fortunes bénéficient d’un cadeau à 5 milliards d’euros par an. Cela alimente le discours anti-impôts actuel.

On parle donc trop des classes moyennes ?
Attention, cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas de difficultés. À 1 600-1 700 euros pour une personne seule [4], vous êtes à la merci d’une séparation, du chômage, d’un gros souci de santé. Surtout, elles se sentent oubliées au profit des plus modestes sur certaines mesures, comme le dédoublement des classes en zones d’éducation prioritaire ou la réduction des allocations familiales. Et elles ont vécu, depuis une décennie, un coup d’arrêt à l’amélioration de leur niveau de vie. Mais on ne peut pas faire des classes moyennes les parias de la France contemporaine.

Propos recueillis par Audrey Tonnelier. Cet article est extrait du quotidien Le Monde, 15 mai 2019.

Photo / © Observatoire des inégalités


[1Pour une personne seule, 80 % des niveaux de vie sont inférieurs à 2 300 euros, NDLR.

[2Une taxation à 75 % des revenus d’activité supérieurs à un million d’euros.

[3Suppression de l’impôt sur la fortune remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, taxation forfaitaire des revenus financiers. Voir notre article « Taxation des revenus financiers : un cadeau de 100 000 euros pour les plus riches ».

[4Au milieu de la définition de la classe moyenne de l’Observatoire des inégalités, NDLR.

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Date de première rédaction le 7 novembre 2019.
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