Entretien

« Moins de chômeurs et davantage de pauvres », entretien avec Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités

Le modèle social français doit être réformé. Mais le rendre encore plus inégalitaire, en copiant l’exemple britannique, ne peut qu’accroître les tensions sociales.

Publié le 14 septembre 2005

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Revenus Emploi Pauvreté

Nicolas Sarkozy entend mettre en place « un nouveau modèle français ». Comment définir ce modèle et en quoi est-il défectueux ?

Définir ce qu’est un modèle social est très difficile. Il n’y a pas réellement de critère et il s’agit souvent de mélanges, même si on peut parfois parler de modèles libéraux ou parfois de modèle scandinaves. On peut également définir un modèle comme l’état d’un système social à un moment donné. Concernant la France, les caractéristiques seraient la grande faiblesse des syndicats et un forte intervention de l’Etat.
Notre travail, ici à l’Observatoire des inégalités, consiste justement à critiquer ce modèle qui, effectivement, produit de nombreuses inégalités et un fort mécontentement social. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si depuis 1978 aucune majorité législative n’a réussi à se maintenir en France.

Mais concernant le discours de Nicolas Sarkozy, je trouve totalement absurde de vouloir remplacer quelque chose qui ne marche pas par quelque chose d’encore plus inégalitaire. Sa critique est fondée, mais ses propositions ne feront que renforcer les inégalités. On nous parle constamment du modèle britannique, mais il faut bien savoir de quoi on parle :

 Au Royaume-Uni, l’écart entre les 20% les mieux pays et les 20% les moins bien payés est de 1 à 5 ; en France, il est de 1 à 4.
 Au Royaume-Uni, les hommes gagnent en moyenne 56% de plus que les femmes ; en France, c’est 24%.
 Au Royaume-Uni, le taux de temps partiel est de 25% ; en France, il est de 16,7%.
 Au Royaume-Uni, le taux de pauvreté est de 19% ; en France, il est de 15%...

Si ce que l’on veut, c’est 5% de chômage, en supprimant les allocations, c’est sûr que l’on y arrivera : on n’aura plus de chômeurs, mais on aura des pauvres. Et c’est effectivement ce qu’à fait la Grande-Bretagne sous John Major.

Attention, je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de bonnes idées dans ce modèle qui par exemple investit énormément dans l’éducation pour rattraper une situation qui était catastrophique. Mais je ne pense pas que c’est ce que Nicolas Sarkozy a en tête. Ce qu’il cherche à faire, c’est culpabiliser les Français. Après les étrangers, les jeunes, les prostituées, c’est sur les chômeurs qu’il tape.

Nicolas Sarkozy parle de « nouveau modèle français ». En quoi son plan innove-t-il ?

Nicolas Sarkozy innove surtout dans le style, car sur le fond, il n’y a pas grand chose de nouveau. Son mérite est d’affirmer clairement sa politique, mais celle-ci n’est qu’une politique libérale classique, malheureusement très réalisable. C’est une politique de tension sociale et d’accroissement des inégalités. Par rapport à ce qu’à pu faire Margaret Tchatcher, il n’y a pas grand chose de neuf. On peut estimer qu’il s’agit d’une politique injuste, dire qu’elle n’est pas morale, mais s’il le veut il aura les moyens de la réaliser.

Il s’agit toutefois d’une nouveauté pour la France qui jusqu’à présent était un pays relativement modéré. A l’Observatoire des inégalités, nous soulignons souvent les défauts du système français, par exemple sur la question des logements, mais il faut souligner qu’il reste très performant avec par exemple un excellent système de santé.

Pourquoi ce gouvernement insiste-t-il tant sur la « valeur » du travail ?

Je trouve ces rappels constants à la « valeur travail » scandaleux. L’immense majorité des chômeurs ne demandent qu’à travailler. Beaucoup d’ailleurs, et notamment chez les femmes, acceptent un travail pour un revenu à peine supérieur aux allocations. Il y a en France quatre millions de demandeurs d’emploi. Tous, nous en avons parmi nos proches, dans nos familles, quelqu’un sans emploi et nous pouvons constater leur situation.

Bien sûr, il y aura toujours des profiteurs, mais ils sont ultra-minoritaires. On ne fait pas une généralité de quelques cas. C’est comme si, parce qu’un ministre avait honteusement abusé de son logement de fonction, on se mettait à remettre en cause la probité de l’ensemble de la classe politique ainsi que les fondements de notre démocratie...

De même pour le plafonnement de l’impôt à 50% ou 60% des revenus. On a pris le cas de quelques personnes désargentées mais imposées pour proposer un système dans lequel les seuls qui seront soulagés seront les très très riches. Avec des exceptions, on fait des généralités. Mais avec ce type de raisonnement, on va encore alimenter le décalage entre les plus riches et les plus pauvres et le ressentiment social sera encore exacerbé. Peut-être que Nicolas Sarkozy arrivera à appliquer son plan, mais il rencontrera des résistances.

Propos recueillis par Jérôme Hourdeaux le 8 septembre 2005 pour www.nouvelobs.com.

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Date de première rédaction le 14 septembre 2005.
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