Point de vue

Les quotas sont-ils une solution pour l’égalité femmes-hommes ?

Les quotas sont efficaces pour atteindre la parité numérique entre femmes et hommes. Mais ils n’ont d’effet miracle ni sur les comportements, ni sur la condition des femmes situées en bas des hiérarchies de pouvoir. Le point de vue d’Anne Revillard, sociologue à Sciences Po, extrait de la revue Cogito.

Publié le 25 juin 2020

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Emploi Modes de vie Femmes et hommes Lien social, vie politique et justice

Dans les dernières décennies, les politiques d’égalité des sexes ont eu de plus en plus recours aux quotas pour favoriser l’accès des femmes à des postes de pouvoir, notamment dans la sphère politique (quotas électoraux), mais aussi dans les sphères économique et sociale. En France, ce dispositif a été inauguré avec les lois sur la parité en politique de 1999-2000, puis il s’est diffusé dans les domaines économique et administratif : des conseils d’administration des grandes entreprises aux nominations aux emplois d’encadrement supérieur de la fonction publique, en passant par les comités qui sélectionnent les enseignants de l’université [1].

Le quota est un instrument ciblé qui peut être très efficace au regard de son objectif : la progression de la présence des femmes à des postes clés. Dans sa version la plus contraignante sur le plan juridique – par exemple l’interdiction des listes électorales ne respectant pas l’alternance homme-femme –, il peut atteindre immédiatement son objectif quantitatif. La proportion de femmes siégeant dans les conseils départementaux est ainsi passée de 14 % à 50 % suite à l’adoption d’un dispositif paritaire contraignant en 2013.

L’efficacité des différents types de quotas varie toutefois selon leurs caractéristiques juridiques et leurs modalités de mise en œuvre. Par exemple, la loi française sur la parité en politique a eu moins d’effet dans le cadre des élections législatives car elle laisse une possibilité aux partis politiques de se soustraire à cette obligation en s’acquittant de pénalités financières (réduction du financement public). Mais sous réserve d’être suffisamment contraignant et effectivement appliqué, le quota peut être un instrument d’action publique particulièrement efficace par sa simplicité.

Peut-on compter sur les « effets secondaires » des quotas ?

Au-delà de cet accroissement de la proportion de femmes, on attend souvent du quota d’autres effets. Il peut s’agir d’un effet positif sur les femmes qu’il ne cible pas directement. On peut penser, par exemple, à l’idée que les femmes élues adopteraient des politiques plus favorables aux femmes en général, ou que les femmes plus présentes dans les comités de sélection à l’université favoriseraient le recrutement de candidates femmes. Certain·e·s placent dans les quotas l’espoir d’effets vertueux plus généraux : une amélioration du fonctionnement démocratique, l’apport d’un management « au féminin », voire un meilleur rendement économique. De nombreuses enquêtes ont cherché à évaluer ce type d’effets, et débouchent sur des résultats ambivalents, qui conduisent parfois à remettre en cause les quotas.

Encore faut-il être prudent [2]. Par définition, le quota est une simple proportion numérique ; il n’est porteur d’aucune exigence particulière en termes de comportement des personnes qui en sont la cible. Si l’on prend l’exemple de l’instauration de quotas de femmes dans les comités de sélection à l’université, rien dans le dispositif n’indique que les femmes en question devraient favoriser le recrutement de femmes. Si tel est l’objectif, pourquoi ne pas appliquer des quotas d’embauche de femmes directement dans les recrutements ? Il est inefficace de miser pour cela sur un éventuel effet d’une politique dont l’objet est autre.

Penser les politiques d’égalité au-delà des quotas

Les responsables politiques peuvent être tenté·e·s de mobiliser le quota comme une forme de solution miracle à la question des inégalités de genre, ou a minima comme un signal politique permettant de manifester une préoccupation pour le sujet sans que des politiques plus structurelles soient mises en œuvre pour lutter contre des mécanismes de reproduction des inégalités plus profondément ancrés.

Le quota peut permettre plus ou moins mécaniquement d’augmenter la part des femmes. Mais il est porteur d’une vision arithmétique de l’inégalité qui peut donner l’impression que la question serait réglée dès lors que 50 % de femmes sont présentes dans le lieu considéré. Or, quand bien même cette parité numérique est réalisée, la question de l’inégalité n’est pas résolue, y compris pour les 50 % de femmes présentes.

Ainsi, dans le domaine professionnel, les femmes qui ont atteint des positions de pouvoir subissent une charge mentale liée à la conciliation travail/famille plus forte que leurs collègues masculins. Elles bénéficient moins souvent qu’eux d’un soutien conjugal à leur carrière. Elles peuvent être victimes de comportements sexistes et se heurter à un plafond de verre dans l’accès aux positions les plus prestigieuses. Par exemple, pour le premier tour des élections municipales de 2020, bien que les liste des communes de plus de 1 000 habitants soient paritaires, seules 21 % des têtes de listes sont des femmes. Il faut donc s’intéresser à d’autres aspects des inégalités : la manière dont le travail est organisé, comment on concilie la vie professionnelle et personnelle, les formes de harcèlement, la façon dont on détermine la progression dans la carrière, etc.

L’égalité oui, mais pour qui ?

À la différence de leur usage dans l’emploi des personnes handicapées par exemple, les politiques de quotas femmes/hommes ont tendance à cibler des postes au sommet des hiérarchies politiques et professionnelles. Le cas de la fonction publique est révélateur à cet égard : le quota affecte l’encadrement supérieur, laissant intouchées les inégalités aux autres niveaux hiérarchiques. Les métiers exercés majoritairement par des femmes, comme les aides-soignantes ou les infirmières, demeurent largement sous-rémunérés. Les femmes bénéficiaires des quotas sont plutôt issues de l’élite sociale. Il est essentiel, dans l’analyse des effets de cette politique, de garder à l’esprit l’articulation du genre avec les autres inégalités qui traversent la société comme les inégalités de classe ou ethno-raciales.

Les quotas au sommet de la hiérarchie ont le grand mérite de soulever la question essentielle de l’accès au pouvoir. Comme d’autres politiques, telles que les politiques de lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes, ils mettent en lumière la dimension conflictuelle des inégalités de genre.

Les quotas ne sont pas la solution pour l’égalité, mais ils en sont un outil : un outil dont il ne faut pas nécessairement attendre plus que ce qu’il permet plus ou moins mécaniquement (augmentation de la proportion des femmes), mais dont les effets symboliques sont potentiellement forts.

Anne Revillard

Sociologue, chercheuse à Sciences Po

Cet article est extrait de la revue numérique Cogito n° 10, dossier « Égalité des sexes », Sciences Po, mai 2020

Photo / © Prostock-Studio


[1Loi Copé-Zimmermann de 2011, loi Sauvadet de 2012 et loi de 2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche.

[2Pour aller plus loin sur le sujet, voir notamment La bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Laure Bereni, Économica/Études politiques, 2015 et Le plafond de verre et l’État. La construction des inégalités de genre dans la fonction publique, Catherine Marry, Laure Bereni, Alban Jacquemart, Sophie Pochic, Anne Revillard, Armand Colin, 2017.

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Date de première rédaction le 25 juin 2020.
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