Analyse

Le partage des tâches domestiques et familiales ne progresse pas

80 % des femmes font la cuisine ou le ménage au moins une heure chaque jour, contre 36 % des hommes. Depuis 2003, l’évolution du partage des tâches dans la sphère privée semble au point mort. Une analyse d’Anne Brunner, de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 5 mai 2020

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Modes de vie Âges Femmes et hommes

80 % des femmes indiquent consacrer au moins une heure par jour à la cuisine ou au ménage contre seulement 36 % des hommes, selon les données 2016 de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes [1]. L’enquête a été réalisée à intervalles réguliers depuis 2003. En treize ans, la situation n’a guère évolué.

Certes, il est possible que les hommes contribuent plus souvent qu’avant aux tâches ménagères, ponctuellement ou le week-end par exemple, ce qui n’apparaitrait pas dans ces données qui portent sur le travail domestique quotidien. Ces résultats indiquent tout de même que les femmes prennent massivement en charge les activités les plus astreignantes et régulières : préparer les repas ne peut pas attendre le week-end.

Source : Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Même s’il demeure très inégal, le partage entre femmes et hommes, lorsqu’il s’agit de soins aux proches, est un peu moins caricatural que pour les tâches quotidiennes de la maison. 46 % des femmes, contre 29 % des hommes consacrent au moins une heure chaque jour à leurs enfants ou à un proche dépendant [2]. Encore faudrait-il savoir de quels « soins » il s’agit : lire une histoire à ses enfants ou pratiquer une activité de loisir avec eux n’est pas la même chose que prendre en charge une personne âgée, par exemple.

Depuis 2007, la part de Français qui déclarent consacrer au moins une heure tous les jours au soin d’enfants ou d’une personne dépendante [3] augmente. 29 % des adultes étaient concernés en 2007. Neuf ans plus tard, cette proportion a progressé de près de dix points, essentiellement en raison du maintien à domicile prolongé des personnes âgées. Une part grandissante de la population doit répondre aux besoins des séniors dépendants. Mais, tandis que la part des hommes qui s’occupent tous les jours d’un enfant ou d’une personne dépendante a progressé de cinq points entre 2007 et 2016, elle a augmenté de onze points chez les femmes. Les inégalités se sont donc creusées.

Si l’on ne considère que les couples avec enfant(s), 88 % des femmes consacrent au moins une heure par jour à s’occuper de proches, contre 75 % des hommes. Elles sont aussi plus nombreuses dans les familles monoparentales et plus souvent en charge des jeunes enfants que les pères seuls. Quelques années seulement après s’être chargées de la majeure partie des soins aux enfants, de plus en plus de femmes enchaînent le soin à leurs parents âgés, alors qu’elles exercent toujours une activité professionnelle [4]. Au sein des couples retraités, les femmes sont également plus souvent sollicitées : elles sont les premières « aidantes » des parents s’ils sont toujours en vie, ou de leur mari s’il devient dépendant. Au total, 63 % des personnes qui s’occupent [5] de manière informelle de personnes âgées et/ou handicapées sont des femmes.

Au moins une heure tous les jours. Aidants de 18 ans et plus.

Source : Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

On savait que les femmes consacraient plus de temps que les hommes aux tâches domestiques et aux enfants : 1 h 26 de plus par jour en moyenne selon les données 2010 de l’Insee (en ne tenant compte que des femmes et des hommes ayant un emploi) [6]. Les données plus récentes de l’EIGE apportent deux informations : premièrement, les femmes continuent d’assumer plus souvent les tâches routinières et astreignantes de la maison. Deuxièmement, l’égalité dans ce domaine est au point mort, voire risque de régresser avec le vieillissement de la population. «  Les tendances démographiques actuelles en Europe font que le pourcentage de femmes s’occupant de personnes âgées va sans aucun doute augmenter dans le futur », prédit l’EIGE.

L’équilibre entre femmes et hommes dans la sphère privée reste un enjeu majeur de l’égalité des sexes. Au sein des couples, la répartition des tâches résulte à la fois d’habitudes solidement ancrées dans les mœurs et de choix économiques : celui (bien souvent celle) qui gagne le moins s’investira temporairement le plus dans l’éducation des enfants et demandera plus souvent un congé parental ou un temps partiel. Le cercle est doublement vicieux. D’une part, les enfants apprennent auprès de leurs parents des rôles différenciés qu’ils auront tendance à reproduire une fois adultes. C’est ainsi que les inégalités se perpétuent de génération en génération. D’autre part, le partage inégal des tâches a des conséquences sur l’emploi des femmes, et en particulier sur leurs salaires. De ce fait, les femmes courent plus souvent le risque que les hommes de voir leur niveau de vie baisser, en cas de séparation.

Les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées ont des besoins auxquels notre société doit répondre. En ce qui concerne les enfants, la disponibilité d’un service d’accueil de la petite enfance de qualité et à un coût supportable est essentielle, mais elle ne règle pas tout. Seule une infime partie des familles très aisées délèguent à une personne à domicile toutes les attentions que demande un jeune enfant le matin et le soir, en dehors des horaires de prise en charge par les professionnels de la petite enfance et de l’éducation. Seule une implication accrue des pères permettra d’atteindre l’égalité entre femmes et hommes dans ce domaine.

Pour la prise en charge des aînés, tout se passe comme si la société considérait que les femmes (le plus souvent des épouses et des filles) étaient naturellement [7] désignées pour assumer ce rôle, comme elles l’ont fait pour les enfants. Mais la dépendance du grand âge pose aussi des questions en partie différentes. Dans les couples âgés, les femmes sont souvent plus jeunes et en meilleure santé que leur conjoint [8]. Le problème n’est donc pas qu’une question d’égalité entre les sexes, mais aussi de démographie. Les inégalités sociales viennent aussi s’ajouter aux inégalités entre femmes et hommes. Les moyens financiers jouent lorsqu’il s’agit de recourir au privé pour obtenir une aide à domicile ou accéder à une maison de retraite. Si un plus grand effort n’est pas fait dans ce domaine par la collectivité, le risque est grand que seuls les milieux aisés puissent bénéficier de ces services, alors que les femmes des milieux populaires et des classes moyennes, filles ou conjointes de personnes âgées dépendantes, supporteront de plus en plus cette charge.

Photo / © CDC-Unsplash


[1L’EIGE, European Institute for Gender Equality, est une agence de l’Union européenne.

[2Ces données portent sur l’ensemble des adultes, même s’ils n’ont pas d’enfants.

[3Ces données ne permettent malheureusement pas de distinguer les personnes qui se consacrent à leurs enfants ou petits-enfants de celles qui s’occupent d’adultes handicapés ou âgés.

[465 % des femmes de 50 à 64 ans qui aident plusieurs fois par semaine des personnes âgées ou handicapées travaillent par ailleurs, une proportion similaire à celle des hommes dans ce cas (64 %).

[5Tous les jours ou plusieurs fois par semaine, selon l’EIGE en 2016.

[7Dans le milieu de la prise en charge on parle même parfois « d’aidant naturel », en réalité des aidantes.

[8On peut imaginer que la situation serait en partie inversée dans ces statistiques, si les hommes étaient en moyenne plus jeunes et en meilleure santé que leur femme.

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Date de première rédaction le 5 mai 2020.
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