Point de vue

Définissons les pauvres comme les 10 % les moins riches

Plutôt que de fixer un seuil de pauvreté, on pourrait considérer comme « pauvres » les 10 % les moins riches. Cette nouvelle convention statistique aurait le mérite de la simplicité et de la disponibilité des données. Tel est le point de vue de Julien Damon, sociologue.

Publié le 3 novembre 2020

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Revenus Pauvreté

Les analyses autour de la pauvreté se sophistiquent toujours davantage, au point qu’on peut s’y perdre. Les définitions des uns ne correspondent pas forcément à celles des autres. Apprécier la pauvreté revient, globalement, à évaluer des niveaux de vie et des conditions de vie. Des méthodes toujours plus élaborées produisent des données qui alimentent le débat public. De l’Insee à la Banque mondiale en passant par Eurostat, l’inventivité retentit dans les bases de données. Les multiples dimensions de la pauvreté (revenus, logement, santé, emploi, etc.) appellent chacune leur détermination, spécifiquement ou bien dans des tableaux de bord, voire dans des indicateurs composites. On invente donc sans cesse, ou presque, de nouvelles délimitations.

Des controverses se nourrissent d’importants débats philosophiques et méthodologiques sur les vertus respectives des approches relatives (on fixe un seuil de pauvreté relativement à un niveau de vie donné) ou absolues (on fixe un ensemble de biens ou de services minimaux). Les premières abordent plutôt les inégalités. Les secondes traitent d’un dénuement qui n’est pas relié directement au niveau de revenus de la société.

Classiquement, en France, la pauvreté se mesure à l’aune d’une caractérisation relative qui s’est peu à peu imposée. Sont pauvres les individus qui se trouvent sous un seuil fixé à 60 % du niveau de vie médian. De même, ces mêmes personnes sont dites « à risque de pauvreté et d’exclusion » par l’institut européen de statistique. Ces conventions statistiques ont bien des qualités. Elles autorisent maintenant un suivi de l’évolution dans le temps des phénomènes qu’elles couvrent. Elles présentent toutefois un défaut : leur complexité. Telle qu’envisagée depuis des années, la donnée, française et européenne, sur la pauvreté s’explique difficilement. L’aptitude moyenne en mathématiques étant ce qu’elle est, il n’est pas du tout évident qu’une majorité de nos concitoyens saisissent bien de quoi il s’agit. Ceci ne serait pas grave si le thème n’avait pas tant de conséquences démocratiques. Le cas du PIB par exemple est très différent : le calcul peut tout à fait dépasser l’entendement commun, personne ne craint immédiatement pour son PIB.

Alors que faire ? Faire simple s’impose. Une orientation tout à fait compréhensible consiste à dire que les pauvres, ce sont les 10 % les moins riches. Bien entendu, choisir 5 % ou 15 % reste possible. Le principal défaut d’une telle option réside dans l’impossibilité arithmétique de réduire la pauvreté, à taux donné. Il y aura toujours 10 % de moins riches. En proportion de la population, logiquement, la pauvreté n’augmenterait ni ne diminuerait jamais. En termes de volume, dans un pays à croissance démographique, le nombre de pauvres, lui, augmenterait, au rythme de la population.

Les avantages d’une telle définition gagnent à être cités. Outre la bonne compréhension par tout un chacun, la méthode ouvre sur toutes les dimensions de la pauvreté. Chaque année, en fonction de la disponibilité des données, la situation des 10 % les plus modestes se décrit pour le niveau de vie, le logement, l’endettement, le travail, la situation familiale, la santé, etc. Bref, estimer que les pauvres se situent dans le premier décile de la distribution des revenus, ou, plus précisément, des niveaux de vie, autorise le portrait de l’ensemble de leurs difficultés. Avec, chaque année, les évolutions favorables et défavorables. Politiquement, la perspective a probablement moins d’attrait que la bagarre annuelle autour du chiffre de la pauvreté (a-t-elle augmenté ?). Elle a cependant les mérites de la rigueur et de la clarté.

Il ne s’agit pas, avec une telle proposition, de remplacer ce qui se déploie déjà. Il s’agit de compléter l’information du public par des données aisément intelligibles. Quand il s’agit des riches, se pencher sur le 1 % ou les 10 % les plus fortunés, en termes de patrimoine ou de revenus, semble aller de soi. Il pourrait en aller de même à l’autre extrémité des positions sociales.

Julien Damon
Professeur associé à Sciences Po

Photo / © Tim Arbaev

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Date de première rédaction le 3 novembre 2020.
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