Point de vue

Covid-19 : pourquoi nous devons tous payer l’addition

Pour payer le coût de la crise, faire payer les ultra-riches ne suffira pas. La justice sociale commande un effort fiscal partagé par une majorité de la population, de manière progressive. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, extrait de Libération.

Publié le 21 mai 2021

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Revenus Riches Niveaux de vie

« Quoi qu’il en coûte », a dit le président de la République. Face à l’impact de la crise sanitaire, pour éviter une implosion économique, le gouvernement n’a pas regardé à la dépense. Le surcoût pour la collectivité sera d’au moins 200 milliards d’euros pour la période 2020-2022. Chaque année, la dépense totale de l’État est de l’ordre de 340 milliards d’euros : le choc est énorme, il faudra bien un jour payer la note.

Pour la droite, il suffirait d’attendre des jours meilleurs. De fait, une partie de ces dépenses supplémentaires sera récupérée quand l’économie ira mieux. La croissance retrouvée fera rentrer de l’argent dans les caisses de l’État. À l’évidence, cela ne sera pas suffisant pour restaurer les comptes publics et répondre aux nouveaux besoins reconnus par tous, ne serait-ce que dans le secteur de la santé, de l’éducation ou de la transition écologique.

Pour la gauche, il suffit de s’endetter encore plus, voire d’annuler la dette. C’est possible. La dette, utilisée pour anticiper des dépenses d’investissement, est une bonne chose. Surtout quand l’argent ne coûte plus rien. Mais cela ne répond pas au problème structurel. La dette se rembourse toujours. L’annulation est un fusil à un coup que l’on ne doit utiliser qu’au bord de la faillite, ce qui n’est pas le cas.

Les impôts, levier indispensable

Face à un surcroît de dépenses, nous n’avons que deux solutions à long terme. La première est de réduire d’autres dépenses, ce que prépare déjà le ministère du Budget. Il existe des économies à faire, mais personne ne dit jamais où sont cachés les milliards publics inutiles. Cela promet des discussions intéressantes, quand il s’agira de réduire les dépenses militaires, de police, d’éducation, de logement ou de santé. La seconde est de trouver de l’argent. Il sera bien un jour indispensable d’élever les impôts, à la fois pour régler l’addition de la crise sanitaire mais aussi pour moderniser nos services publics. C’est tout à fait à notre portée.

Pour cela, il ne suffit pas de « faire payer les ultra-riches », le 1 % du haut de l’échelle, comme le répète la gauche. Certaines fortunes sont indécentes et elles peuvent contribuer bien davantage. La proposition est insuffisante : économiquement, mais aussi parce qu’elle laisse entière la question de la répartition de l’effort de la nation. La justice sociale commande de mettre en place un impôt qui frappe tous les revenus à partir d’un seuil faible et qui augmente progressivement.

L’idéal serait de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, comme on en débat depuis longtemps. En attendant, soyons pragmatiques. Créons trois taux de CSG-Covid additionnels, par exemple de 2 %, 4 % et 6 %. Une CSG a plusieurs taux existe déjà sur les pensions de retraites, étendons-en le principe. Selon nos estimations, en exonérant le tiers le plus pauvre (des revenus déclarés équivalents au smic), on dégagerait environ 50 milliards d’euros par an. Concrètement, cela représente 26 euros pour un revenu de 1 300 euros mensuel et 240 euros pour 4 000 euros de revenus mensuels. Est-ce vraiment trop demander au vu de l’ampleur de la crise ?

Si on y ajoute le produit d’un impôt sur le patrimoine modernisé, une lutte plus vigoureuse contre la fraude et l’évasion fiscale et un toilettage des niches fiscales (qui nous coûtent 100 milliards par an), on peut trouver au moins 70 milliards d’euros par an, l’équivalent des dépenses de l’hôpital public. Ceci sans compter l’effort que l’on doit demander aux entreprises. Cela ne ferait que rattraper partiellement les baisses d’impôts diverses décidées depuis 2014. Et effacerait en trois ans la dette Covid.

Et si l’impôt n’était pas aussi impopulaire que cela ?

Les partisans du moindre effort fiscal ont deux arguments. Premièrement, la France serait la « championne du monde des impôts ». C’est simplement un non-sens économique. Les prélèvements sont élevés parce que nous n’avons quasiment pas à payer de fonds de pensions pour nos retraites, de frais de santé ou l’école maternelle de nos enfants. À service équivalent, le contribuable paie autant ou parfois moins en France qu’ailleurs. Secondement, « l’opinion publique » serait allergique à l’impôt. Nos élites sont ivres des sondages qui ne signifient rien d’autre que ce qu’ils sont : une réponse fugitive à une question qui n’engage à rien. Qui répondrait « non » à la question : « Voulez-vous que l’on baisse les impôts ? ». Personne (ou presque), parce que cela signifie : « Voulez-vous plus d’argent ? ». Cela ne dit rien de l’acceptabilité réelle des mesures fiscales. Des décennies de baisses d’impôts n’ont jamais rendu un gouvernement populaire, le Parti socialiste y a même perdu son âme et son électorat. La suppression de la taxe d’habitation est un vaste gaspillage qui nous coûtera 20 milliards d’euros par an : un tiers du budget de l’Éducation nationale !

Osons penser autrement. Si, dans une période de crise comme celle que nous vivons aujourd’hui, les contribuables étaient honorés de participer à un effort collectif de la nation pour un objectif déterminé ? Si aider collectivement les entreprises et les ménages les plus en difficulté redonnait un sens à ce que nous vivons ensemble en ce moment ? Contrairement à de nombreux discours, le sentiment de solidarité – à condition que l’effort soit justement partagé – demeure au cœur de nos valeurs.

Louis Maurin
Directeur de l’Observatoire des inégalités et auteur de Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont jamais assez, éd. Plon, mars 2021.

Extrait de « Covid-19 : pourquoi nous devons tous payer l’addition », Libération du 6 mai 2021.

Photo / © Fotolia

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Date de première rédaction le 21 mai 2021.
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