Proposition

Comment réduire la pauvreté ? Les solutions de Pascale Novelli, du Secours catholique

Associer les personnes concernées permettrait de lutter contre toutes les dimensions de la pauvreté. Il faut agir dans les domaines du logement, de l’alimentation ou de l’emploi par exemple. Mais on doit commencer par garantir un revenu minimum décent. Les propositions de Pascale Novelli, économiste statisticienne au Secours catholique.

Publié le 17 novembre 2022

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Revenus Pauvreté

L’année 2020 a été marquée par des événements totalement inédits (confinements successifs, mesures sanitaires), mettant à l’épreuve l’ensemble de la population, mais de façon différente selon la place dans l’échelle des revenus et des conditions de vie. Comme souligné dans de nombreux travaux, la période de confinement du printemps 2020 a été un révélateur décuplé des inégalités qui préexistaient dans de très nombreux domaines.

Par exemple, entre ceux qui bénéficiaient d’un logement confortable et ceux qui ne disposaient que de petites surfaces, voire d’aucun logement. En matière d’emploi, entre les personnes qui télétravaillaient et celles qui devaient rejoindre leur lieu de travail dans des conditions sanitaires précaires. Au niveau des revenus, avec des écarts entre les personnes dont le salaire a été maintenu, totalement ou en partie – grâce aux mesures mises en place –, et celles dont l’emploi précaire n’a pas permis ce filet de sécurité. Entre les personnes qui ont épargné faute de sorties sociales, culturelles et de vacances, et celles qui ont dû puiser dans de maigres économies quand elles en avaient ou s’endetter pour faire face à l’augmentation des dépenses du quotidien, comme les repas ou les factures d’électricité plus élevées. Enfin, les risques d’exposition au coronavirus n’ont pas été les mêmes selon les conditions de vie. Depuis, ces inégalités perdurent. L’accès à la vaccination et les implications du passe sanitaire ne sont pas les mêmes selon les conditions de vie et de ressources.

Ces inégalités reflètent également différentes facettes de la pauvreté, des personnes les plus pauvres, ne disposant d’aucunes ressources financières, comme les étrangers sans statut légal stable à celles qui sont dans des situations précaires que des chocs financiers tels que cette crise sanitaire peuvent faire basculer durablement dans des situations encore plus précaires. Il n’y a pas un visage de la pauvreté, elle est multiple.

Pour combattre la pauvreté, nous avons donc d’abord besoin de compléter les instruments de mesure existants. À travers le premier objectif de développement durable des Nations unies, il est reconnu mondialement que les manifestations de la pauvreté « comprennent la faim et la malnutrition, l’accès limité à l’éducation et aux autres services de base, la discrimination et l’exclusion sociale ainsi que le manque de participation à la prise de décisions ». Une partie du phénomène est déjà mesurée depuis de nombreuses années grâce aux taux de pauvreté (avec un seuil de pauvreté fixé à 60 %, 50 % ou 40 % du niveau de vie médian) et à la mesure de la pauvreté en conditions de vie [1]. Depuis 2021, l’Insee [2] a mis en place un nouvel indicateur de grande pauvreté pour les personnes vivant en logement ordinaire (hors logement collectif, habitat mobile, etc.). La grande pauvreté est définie comme la combinaison de faibles revenus (inférieurs à 50 % du niveau de vie médian) et d’au moins sept privations matérielles et sociales sévères. Mais il faut aller plus loin aujourd’hui.

Mieux mesurer la pauvreté, dans toutes ses dimensions, aidera à mieux la combattre. Un des moyens est de constituer cette connaissance avec les personnes ayant l’expérience de la pauvreté, comme l’a montré une récente recherche. Entre 2016 et 2019, le Secours Catholique a participé à une recherche internationale sur les dimensions de la pauvreté entreprise par le mouvement international ATD Quart Monde et l’université d’Oxford [3]. L’objectif était de mieux comprendre la pauvreté au-delà de sa dimension monétaire, afin d’ouvrir des pistes de mesures complémentaires pour participer à la combattre, à partir de l’expérience des personnes concernées. Durant le travail de recherche, la méthodologie s’est basée sur « le croisement des savoirs et des pratiques » avec des personnes en situation de pauvreté [4], démarche visant à créer les conditions pour que le savoir issu de l’expérience des personnes pauvres puisse se bâtir et entrer en relation avec les savoirs académiques et professionnels afin de produire une connaissance de la pauvreté et des méthodes d’action plus complètes et inclusives.

La recherche souligne la nécessité d’adopter une approche globale de la pauvreté. Ses différentes dimensions partagent des aspects communs. Deux expériences se retrouvent dans presque toutes les dimensions et les relient : il s’agit de l’expérience du combat pour vivre dignement et de celle de la dépendance aux autres et aux institutions. Pour comprendre la pauvreté, c’est l’ensemble des composantes de chaque dimension et leurs liens qui devraient être pris en compte. En France, les dimensions de la pauvreté identifiées pendant la recherche sont : les privations matérielles et de droits, la maltraitance sociale [5], la maltraitance institutionnelle [6], l’isolement, la dégradation de la santé physique et mentale, les contraintes de temps et d’espace, les peurs et souffrances, ainsi que les compétences acquises et non reconnues.

Mettre en place des indicateurs qui touchent ces dimensions permettra de mieux cerner et de mieux combattre la pauvreté. Il est possible de travailler sur le degré d’isolement en questionnant la fréquence et la qualité des interactions sociales. Les contraintes de temps et d’espace pourraient être intégrées à l’étude de la pauvreté en conditions de vie en étudiant les pratiques et les possibilités d’organisation et de déplacement, par exemple.

Minimum garanti, sans contreparties

Nous avons besoin de politiques structurelles qui permettront de lutter contre la pauvreté par le biais de l’école, de la formation professionnelle, de la santé, de la lutte contre l’isolement, etc. Ce sont des investissements qu’il faut mettre en place sur le temps long, dans une approche globale. De manière immédiate, il est possible d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres. Agir déjà sur la dimension monétaire, c’est, par ricochet, agir en partie contre les autres dimensions. Cela est possible au travers de l’instauration d’un revenu minimum garanti, sans contreparties, sous conditions de ressources [7]. En France, plus de 14 % de la population vit sous le seuil de pauvreté fixé à 60 % du niveau de vie médian. Les privations matérielles amènent à des choix impossibles et à une dépendance, comme le montre l’étude des budgets des ménages rencontrés par le Secours Catholique en 2019 [8]. Elle met en lumière que les dépenses pré-engagées (loyer, assurances, énergie) pèsent beaucoup plus lourd dans le budget des ménages en situation de pauvreté et que leur reste pour vivre [9] médian est estimé à neuf euros par jour pour une personne seule, pour se nourrir, se vêtir ou avoir accès à des loisirs.

Ce manque d’argent est relié à la dimension « isolement » : les personnes pauvres peuvent être amenées à s’isoler elles-mêmes ou à être isolées par la famille ou les amis. La dimension « maltraitance sociale » – le jugement de la société sur les personnes qui vivent avec les minima sociaux – peut les pousser à ne pas faire valoir leurs droits. Toutes ces privations rendent difficiles les projets et enferment dans la nécessité de survie (dimension « contraintes de temps et d’espace »).

Afin de pallier ces privations, les personnes développent des compétences et des stratégies qui ne sont pas reconnues, ni valorisées : les personnes pauvres seraient responsables de leur situation, ne sauraient pas gérer un budget par exemple. Cette dernière idée reçue ne tient pas face à l’étude des budgets que le Secours Catholique a menée. Elle montre, au contraire, les arbitrages impossibles quotidiens que réalisent les ménages en situation de pauvreté.

Un revenu minimum garanti, d’un montant plus élevé que le RSA – aujourd’hui de 500 euros seulement –, sans atteindre dans un premier temps le seuil de pauvreté (1 100 euros), permettrait à ces ménages en situation de pauvreté de voir leurs conditions de vie s’améliorer, même si ça ne réglerait pas l’ensemble du problème. La lutte efficace contre la pauvreté est possible, c’est un choix de société à effectuer : mieux comprendre ce qui se joue pour trouver collectivement les moyens d’y répondre.

Pascale Novelli
Économiste statisticienne, elle réalise le rapport statistique annuel du Secours Catholique-Caritas France sur l’état de la pauvreté en France, dontl’édition 2021 vient de paraitre.

Texte extrait de Réduire les inégalités, c’est possible ! 30 experts présentent leurs solutions, sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, novembre 2021.

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Réduire les inégalités, c’est possible ! 30 experts présentent leurs solutions, sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, novembre 2021.
128 pages.
ISBN 978-2-9579986-0-9
10 € hors frais d’envoi.
Également disponible en version numérique à télécharger.
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Photo / © Anaïs Pachabézian Secours Catholique-Caritas France


[1Sont considérées comme pauvres les personnes qui déclarent subir huit privations matérielles sur les 27 restrictions possibles listées par l’Insee.

[2« Environ 2 millions de personnes en situation de grande pauvreté en France en 2018 », in Revenus et patrimoines des ménages, Insee Références, Insee, mai 2021.

[3Voir Comprendre les dimensions de la pauvreté en croisant les savoirs, rapport sur la recherche internationale participative menée par le Mouvement ATD et l’Université d’Oxford, 2019.

[4Voir la page « Le croisement des savoirs et des pratiques : une démarche » sur le site d’ATD Quart Monde

[5Le fait de subir des préjugés, d’être exclu, ignoré ou stigmatisé.

[6Le fait d’être dépendant de dispositifs sociaux, d’avoir des difficultés à faire valoir ses droits, de vivre un accompagnement social comme un contrôle ou d’être exploité au travail, par exemple.

[7« Sans contreparties. Pour un revenu minimum garanti », rapport de l’association Aequitaz et du Secours Catholique, octobre 2020.

[8« L’état de la pauvreté en France 2020. Budgets des ménages, des choix impossibles », Secours Catholique, novembre 2020.

[9Budget disponible une fois déduites les dépenses pré-engagées et contraintes (logement et assurance par exemple).

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Date de première rédaction le 17 novembre 2022.
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