Analyse

Que valent les notes à l’école ?

Croire que les notes évaluent en toute neutralité les compétences des élèves est une illusion. Mais elles sont indispensables pour décerner les diplômes et justifier les positions professionnelles. Comment faire au mieux avec ces contradictions ? Une analyse de la sociologue Marie Duru-Bellat, initialement parue dans le magazine Alternatives Économiques.

Publié le 6 octobre 2022

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Éducation

La question des notes à l’école fait l’objet de débats virulents. En France, l’emprise du diplôme est grande, et les notes sont décisives pour l’avenir des élèves, et pour leur avenir professionnel en particulier. Du coup, le fait de savoir si les notes reflètent vraiment le niveau des élèves est central. Mais personne n’est dupe.

Quel enseignant soutiendrait que ses notes reflètent précisément les acquis de tel ou tel élève ? Dans le quotidien des classes, les notes sanctionnent tout autant, ou parfois plus, des attitudes, des progressions, des efforts, qui peuvent d’ailleurs être aussi bien individuels que collectifs. Car le jugement sur un élève est toujours relatif : c’est une place dans un groupe, un groupe qui, par ailleurs, comporte toujours des forts (même dans une classe faible) et des faibles (même dans une bonne classe).

Dans un paquet de copies, il y a aussi, c’est une règle plus ou moins explicite, un classement des forts, des faibles, et une moyenne qui ne doit, elle-même, être ni trop faible ni trop forte. L’institution y veille : elle redresse les notes d’un correcteur trop en dessous de la moyenne et juge suspecte une moyenne trop élevée. L’enjeu est qu’« en moyenne », les élèves apparaissent bien comme ayant le niveau requis. Il n’y a nul cynisme ou injustice dans cette pratique qu’on appelle « harmonisation » : le système scolaire est censé offrir à des élèves considérés comme égaux les mêmes possibilités d’acquérir ce qui, dans les programmes, est jugé comme devant être acquis.

Les notes doivent donc à la fois tendre vers une moyenne « moyenne », et être assez dispersées [1] pour illustrer la capacité du système à classer de manière juste les élèves sur la base de leurs seuls acquis. Méritocratie et concurrence non faussée obligent ! Dès lors que les notes ont une fonction de classement et de sélection, ce qui est particulièrement vrai pour les notes au bac, elles doivent être discriminantes : les écarts entre élèves sont ainsi « logiquement » creusés.

Biais en tous genres

Les barèmes [2] sont là pour assurer que l’évaluation des acquis est fine et, bien sûr, juste. Ils facilitent certes la vie. Pour autant, dans les situations d’évaluation, de nombreux travaux de psychologie sociale montrent que des stéréotypes de tous ordres (sociaux, de genre, etc.) jouent sur les performances [3]. Par exemple, il suffit, avant un exercice donné, de dire aux élèves que l’exercice ne fait en général pas de différence entre filles et garçons pour que les écarts sexués observés en l’absence de cette précision s’atténuent comme par magie. C’est dire que les exercices les plus standardisés et les barèmes les plus pointilleux ne mesurent pas les acquis comme le thermomètre mesure la température, et n’éliminent pas le jeu du social et les injustices. Peut-être est-ce « pire » avec les épreuves orales. En tout cas, la notion de note « juste », bien des enseignants en conviennent, reste un horizon.

N’allons pas trop loin pour autant : relativiser la valeur des notes – ce qu’elles mesurent et avec quelle précision – est une pente glissante. C’est bien pour cela que les pratiques d’harmonisation font peur : ne risquent-elles pas de miner la confiance dans les notes ? Car si l’on ne croit plus aux notes, comment classer et sélectionner ces élèves qui se pressent si nombreux aux portes des filières les plus prestigieuses et les plus attractives, où la concurrence entre élèves fait rage ? Si l’on ne croit plus aux notes, comment croire aux diplômes et aux compétences qu’ils sont censés sanctionner ? Et alors, comment accepter que les salaires suivent fidèlement la hiérarchie des diplômes et admettre sans broncher le pouvoir de nos élites diplômées ? C’est toute notre logique méritocratique qui s’en trouve ébranlée.

On accepte – plus ou moins – l’ordre social parce qu’il est censé se fonder au bout du compte sur les mérites personnels et non sur le milieu de naissance. Et dans nos sociétés, c’est du mérite scolaire qu’il s’agit, dont il est par conséquent capital d’assurer l’impartialité. Sans notes fiables, objectives, certifiées par l’institution, le diplômé ne vaut rien. Et sans diplôme, nos élites auraient, pour la plupart, bien du mal à justifier leur position. Comme en matière électorale, tout ce qui peut apparaître comme un « bidouillage » des notes est violemment dénoncé.

Récapitulons. On sait que les notes ne reflètent que partiellement le niveau des élèves. Mais, d’une manière ou d’une autre, nous avons besoin d’évaluer les élèves et leurs compétences spécifiques, si on veut croire ensuite à la valeur des diplômes : on a besoin de croire que son mécanicien ou son médecin sont bien compétents, que leurs diplômes reflètent bien des savoirs et des savoir-faire. Bien sûr, nous savons tous que la « méritocratie » est largement une fiction, mais elle est nécessaire. Alors la question devient plutôt : comment faire pour noter au mieux, même si la note « vraie » est une illusion ?

Peut-être faudrait-il alors recentrer les notes sur leur rôle d’évaluation de savoirs bien précis : face à des objectifs pédagogiques parfaitement explicités aux élèves, les notes préciseraient là où ils en sont. Quant à la dimension plus émotionnelle des notes, rarement absente – quand l’enseignant a envie d’encourager ou de se venger, ça arrive ! –, elle pourrait s’exprimer par des émojis ou d’autres symboles, mais ne pas venir biaiser la note…

Marie Duru-Bellat, sociologue, professeure émérite à Sciences po Paris

Adapté d’un article initialement paru dans Alternatives Économiques : « Le vertige des notes », Marie Duru-Bellat, Alternatives Économiques, 24 juin 2022.

Photo / © PeopleImages


[1On appelle dispersion l’écart des notes à la moyenne. Par exemple, les notes ne doivent pas toutes être comprises entre 9 et 11 sur 20.

[2Les critères détaillés de notation qui fixent les points attribués ou retirés à une évaluation selon les réponses des élèves.

[3Voir notamment L’évaluation, une menace ?, Fabrizio Butera et al., PUF, 2011 ; Les notes. Secrets de fabrication, Pierre Merle, PUF, 2007.

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Date de première rédaction le 6 octobre 2022.
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