Point de vue

Ne pas voter Macron, c’est rester indifférent devant un déferlement de haine

Chaque voix en moins pour le président sortant augmentera le score de Marine Le Pen. S’abstenir revient à la soutenir. Le point de vue de Noam Leandri et de Louis Maurin, respectivement président et directeur de l’Observatoire des inégalités. Tribune extraite du journal Le Monde.

Publié le 15 avril 2022

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Chers abstentionnistes, le 24 avril 2022, quand vous aurez profité de votre dimanche pour vous promener plutôt que d’aller voter pour Emmanuel Macron, ayez une pensée émue pour Aziza et Karim, comme pour toutes celles et ceux qui, du fait de votre indifférence, emprunteront le chemin vers la frontière, guidés par Marine Le Pen. La présidente vous devra un grand merci. Chaque voix en moins pour Emmanuel Macron augmentera d’autant le score de la candidate du Rassemblement national (RN), que vous aurez donc soutenue.

La France est au bord de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, et certains, à gauche comme à droite, continuent à hésiter sur ce qu’il conviendrait de faire au deuxième tour. Un pan entier du parti Les Républicains s’est aligné sur le discours du Rassemblement national et le rejoindra sans doute dans les jours qui viennent, c’est dans la logique des choses. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est l’indifférence de Jean-Luc Mélenchon qui, après avoir appelé à faire barrage à Marine Le Pen, refuse d’appeler à voter pour le président sortant, ouvrant la voie du pouvoir à la candidate d’extrême droite.

Oui, Emmanuel Macron représente la nouvelle droite et la France qui va bien. Son mépris pour la France qui lui coûte « un pognon de dingue » est immense. Mais le programme de Marine Le Pen, c’est le soutien à la France des riches, auquel s’ajoutent un déferlement de haine et un pouvoir autoritaire. Si elle est élue, nous allons assister à des expulsions de centaines de milliers d’étrangers, un apartheid entre les nationaux et les immigrés, une société mise sous surveillance, la mise en ordre de l’éducation nationale, le retour d’un ordre familial ancien… Compte tenu des pouvoirs conférés au président de la République dans notre constitution, une mise au pas autoritaire dans un régime qui n’aura qu’une pâle couleur de démocratie attend la France, si les électeurs de gauche ne votent pas. Personne ne peut désormais faire semblant de ne pas le savoir.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Le vote RN qui aura lieu dimanche repose sur une étroite base raciste. Le discours xénophobe des leaders des Républicains a conduit une partie de ses électeurs à préférer l’original à la copie. S’y ajoutent des voix beaucoup plus nombreuses, issues de catégories populaires et moyennes, aveuglées par leur haine du président actuel et séduites par la nouvelle image que se donne Marine Le Pen, dont ils ne connaissent en réalité pas grand-chose. La France des « sans dents » de François Hollande et de « ceux qui ne sont rien » d’Emmanuel Macron, comme celle des ronds-points, recrache son mépris à la figure des bourgeoisies françaises, qui en veulent encore plus en permanence. La prédation des classes aisées depuis des décennies a nourri le parti d’extrême droite.

Une jeunesse déclassée

Pour que Marine Le Pen passe le deuxième tour, elle a besoin de plus que ça. Il faut qu’une partie de la gauche, même 2 ou 3 % de l’électorat, ne participe pas au vote, avec l’absolution implicite de la France insoumise. Une partie des militants les plus forcenés se réjouit des futurs combats de rue qui ne manqueront pas d’advenir demain : Marine Le Pen au pouvoir est, pour eux, la garantie d’un film dont ils seront les héros.

Une partie de la jeunesse diplômée, mais déclassée, alors qu’elle aspirait à une autre forme d’autonomie, ne prendra pas non plus part au vote. On peut aussi comprendre – sans la partager – la haine qui la submerge à son tour. Elle est une victime du cynisme économique d’Emmanuel Macron et de ses prédécesseurs. Une partie des jeunes n’a qu’une vague idée du programme de la fille de Jean-Marie Le Pen et de ses conséquences.

Il reste une dernière composante : une bourgeoisie de gauche, celle des cadres supérieurs altermondialistes et anticapitalistes, qui, au fond, refusent de remettre en cause leurs propres privilèges. Enfants gâtés, ils se disent « fatigués » de voter pour un candidat qui n’est pas leur « premier choix ». Ils connaissent parfaitement les conséquences de leur abstention pour le pays et pour les étrangers en particulier, mais eux, bons Français aisés, en sont protégés. Ils laissent le soin aux autres de se salir les mains. Ils se savent à l’abri.

Aujourd’hui, un seul raisonnement compte : ne pas voter Emmanuel Macron, c’est rester indifférent devant un déferlement de haine. Plus personne ne peut prétendre ne pas le savoir. Tous ceux qui s’abstiendront le 24 avril en seront responsables. Pour tout démocrate, de droite comme de gauche, il n’existe aucune autre action possible que de surmonter ses états d’âme et d’accepter de mettre un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne.

Noam Leandri est président de l’Observatoire des inégalités ; Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités, auteur de Encore plus ! Enquête sur ces privilégiés qui n’en n’ont jamais assez (Plon, 2021).

Extrait de « Abstention : Ne pas voter Emmanuel Macron, c’est rester indifférent devant un déferlement de haine », Louis Maurin, Noam Leandri, Le Monde, 14 avril 2022.

Photo / © Olivier Tuffé

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Date de première rédaction le 15 avril 2022.
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