Entretien

« Le décalage est terrible entre la France qui vit bien et les plus pauvres ». Entretien avec Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités

Le « pognon de dingue » des aides sociales évoqué par Emmanuel Macron a choqué une partie de l’opinion. Pour Louis Maurin, ces aides sont efficaces. Entretien extrait du site de LCI.

Publié le 15 juin 2018

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Faut-il « responsabiliser  » les allocataires des aides sociales pour que celles-ci soient plus efficaces ? Le président de la République Emmanuel Macron affirme que l’ « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux » et que « les gens pauvres restent pauvres ». Irresponsabilité présumée des plus démunis, efficacité ou inefficacité des aides sociales, pistes d’amélioration... LCI a interrogé Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire des inégalités.

LCI : Que vous inspirent les récentes déclarations d’Emmanuel Macron, qui veut « sortir d’une logique de guichet » et « responsabiliser » certains allocataires ?

Louis Maurin : Globalement, cela m’inspire un sentiment de décalage terrible entre le président et les Français. Il parle même de « pognon  »... Il y a un mépris social, notamment autour de la notion de « responsabilisation ». C’est insupportable de traiter ainsi les Français. Les gens acceptent des petits boulots mal payés, en particulier les jeunes ou les femmes à temps partiel. On sait ce que c’est la responsabilisation quand on va travailler pour 600 euros par mois. Tout ça ne fait qu’alimenter les tensions sociales dans ce pays.

C’est insupportable parce que les Français ont voté pour du changement et pour une forme de proximité par rapport à leurs besoins sociaux. Et on se retrouve avec la France des élites qui vivent bien et qui veulent « responsabiliser » les autres. Où sont les profiteurs dans la France d’aujourd’hui ? Emmanuel Macron avait déjà dit que s’il était chômeur, il n’attendrait pas tout des autres. Qu’il aille donc rencontrer des chômeurs. Les chômeurs n’attendent pas tout des autres. Ils tentent de trouver du boulot, ils envoient des CV. Comment voulez-vous ensuite qu’on tienne un discours où l’on dit que « c’est plus complexe que ça » ? À l’inverse, quand François Hollande disait « je n’aime pas les riches », c’était tout aussi choquant. Ça nourrit le populisme et c’est désolant.

Quel diagnostic portez-vous sur les aides sociales : permettent-elles vraiment de sortir de la pauvreté et de s’insérer dans la société ?

Les statistiques publiques dans ce domaine disent que notre système est l’un des plus performants au monde pour éviter que les gens se retrouvent à la rue. Le taux de pauvreté des familles monoparentales avant redistribution est supérieur à 40 %, et est réduit à 20 % après redistribution. C’est encore beaucoup trop mais ça évite que des enfants se retrouvent à la rue. Dans le système français, on en a pour notre argent par rapport à d’autres systèmes, contrairement à ce que l’on peut dire. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien qui dysfonctionne et qu’on ne peut pas faire certaines économies. Par exemple, on donne des allocations logement à des enfants dont les parents sont très riches. Mais on ne donne pas d’allocation à des jeunes de 18 ans qui n’ont pas fait d’études et n’ont pas droit à un minimum social. Que ce soit en haut ou en bas, il y a toujours des tricheurs dans une société donnée. Les pauvres ne sont ni mieux ni moins bons que les plus riches. Alors arrêtons de montrer du doigt les uns ou les autres. Notre système d’allocations nous permet aujourd’hui d’être le grand pays d’Europe où le taux de pauvreté est le plus faible.

Emmanuel Macron dit vouloir une « justice sociale effective ». Que lui conseillez-vous pour qu’il y parvienne ?

C’est heureux ! En disant cela, il suscite des attentes très fortes. Nous verrons s’il sera à la hauteur. Il ne faudrait pas que se passe ce qui s’est passé avec ses prédécesseurs, c’est-à-dire de grands discours et peu d’actes, car c’est ce décalage qui nourrit le populisme. Enfin, si l’objectif est d’avoir une justice sociale effective, pourquoi s’est-on empressé de flexibiliser le marché du travail au détriment des jeunes et d’offrir cinq milliards d’euros aux plus riches, notamment en baissant l’ISF ? Cela représente la moitié du budget du RSA.

Faisons crédit à Emmanuel Macron, s’il fait ce qu’il dit. En revanche, qu’il ne présente pas des pseudo-mesures comme la réduction de la taille des classes de CP dans l’éducation prioritaire comme des mesures sociales. Ça ne concerne que 8 % des classes et qu’un quart des élèves les plus démunis. Selon moi, une politique sociale effective agit sur plusieurs piliers. D’abord il faut agir sur les populations qui souffrent le plus : les plus jeunes, en les faisant bénéficier des minima sociaux, et les personnes âgées démunies, qui sont dans une situation très délicate. Cela coûtera de l’argent, mais cela ne se résume pas à une question de moyens. Ensuite, il faut agir sur l’accès au logement, particulièrement pour les jeunes. Dans les métropoles, il y a un transfert de richesse vers les bailleurs qui est considérable. Le président de la République pourrait s’inspirer de ce qui a été fait sous Nicolas Sarkozy en termes de renouvellement urbain, notamment avec Jean-Louis Borloo, même si ce dernier est plutôt mis au placard en ce moment. Enfin, le troisième point, c’est l’école, si on veut agir en amont. Mais des replâtrages comme Parcoursup ou le doublement de 8 % des classes de CP sont insuffisants. Il faut moderniser l’école française – caractérisée par la mémorisation, la notation et la sur-compétition – en s’inspirant de nouvelles méthodes pédagogiques. Et même si ce n’est pas qu’une question de moyens, il faut savoir que la France a les taux d’encadrement dans les petites classes les plus mauvais des pays occidentaux.

Propos recueillis par Matthieu Jublin. Cet entretien est repris du site www.lci.fr

Photo / © Cyril Chigot

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Date de première rédaction le 15 juin 2018.
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