Analyse

Inégaux face à la solitude ?

10 % des adultes sont isolés : ils ont très peu de contacts avec leur famille, leurs voisins ou des amis. 12 % se sentent seuls, ce qui peut être différent. Une situation trois fois plus fréquente chez les ouvriers que chez les cadres. Les explications extraites du Centre d’observation de la société.

Publié le 23 décembre 2019

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Modes de vie Catégories sociales Lien social, vie politique et justice

Un adulte sur dix a peu de relations sociales selon la Fondation de France (données 2016). Ces personnes déclarent n’avoir pas ou très peu de contacts (quelques fois dans l’année ou moins souvent) au sein de leur réseau familial, professionnel, amical ou de quartier. Au total, cinq millions de Français seraient concernés. La plupart vivent en couple. Si l’on ne considère que les célibataires et les familles monoparentales, les personnes qui n’ont pas de relations sociales représentent 3 % du total des adultes.

Toujours selon cette étude, 4 % des Français ne voient jamais d’amis et 10 % seulement très occasionnellement [1]. Un cinquième n’a pas d’échanges avec ses voisins. 5 % ne voient jamais leur famille et 14 %, très rarement. La moitié de la population française ne participe à aucune activité associative et plus du tiers, soit n’a pas de collègues de travail, soit n’a aucune relation extra-professionnelle avec des collègues.

L’isolement est une chose, son ressenti en est une autre. Seules 29 % des personnes qui indiquent n’avoir que très peu de contacts disent se sentir seules « tous les jours ou presque » ou « souvent  », soit 3 % de l’ensemble de la population. Inversement, on peut avoir des contacts et pourtant se sentir seul [2].

Si l’on considère l’ensemble de la population adulte (et non uniquement celles qui ont très peu de contacts), près d’un adulte sur cinq se sent « souvent » ou « tous les jours ou presque » seul selon la Fondation de France. Un chiffre à considérer comme un ordre de grandeur car à la même question le ministère des Solidarités obtient un chiffre de 12 % (baromètre annuel 2016).

Source : Fondation de France – Données 2016 – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Qui se sent seul ?

Les données du ministère des Solidarités permettent d’en savoir plus sur les personnes qui disent se sentir souvent seules (données non comparables avec celles de la Fondation de France puisque le total des personnes concernées est de 12 % dans ce cas). Si le genre joue peu (13 % des femmes sont concernées contre 11 % des hommes), l’âge compte davantage : 8 % des 18-24 ans se sentent isolés contre 14 % des 50-64 ans. Encore faut-il remarquer d’emblée que se sentir seul à 20 ans – l’âge de la sociabilité et des rencontres – peut être vécu bien plus difficilement qu’à 60 ans.

La position sociale intervient encore plus : 18 % des ouvriers se sentent souvent seuls, soit trois fois plus que pour les cadres supérieurs. Le diplôme compte : 8 % des titulaires d’un bac + 2 ou plus sont concernés contre 20 % des non-diplômés. Ainsi que le revenu : 7 % des personnes dont le niveau de vie est supérieur à 2 000 euros mensuels (par personne, après impôts et prestations sociales) sont touchées contre 18 % de celles qui touchent moins de 900 euros mensuels. Enfin, l’accès à l’emploi est encore plus déterminant. Avoir du travail, c’est aussi accéder à des liens sociaux : 24 % des chômeurs disent se sentir souvent seuls, deux fois plus que l’ensemble des salariés.

Inégalités sociales et isolement

Ces résultats du ministère des Solidarités confirment les travaux de la Fondation de France dont les auteurs estiment que « les isolés sont surreprésentés parmi les chômeurs et les inactifs non étudiants, des personnes au foyer pour l’essentiel. Plus du tiers des isolés ont des bas revenus, contre un quart dans l’ensemble de la population ». Même analyse de l’équipe Eris [3] qui conclut, dans son enquête réalisée à Strasbourg, que «  la solitude, souvent dépeinte comme la condition de l’individu contemporain, est avant tout la conséquence de la fragilité des liens sociaux et, de façon plus générale, des inégalités de l’intégration sociale » [4]. Clairement, bien vivre matériellement et avoir un travail aident à construire des liens qui peuvent servir d’appuis.

Pour autant, l’argent ne fait pas tout. Le sentiment d’isolement est le résultat de différents processus de rupture ou d’absence d’intégration dans un certain nombre de cercles (couple, famille, amis, travail, etc.) qui touchent aussi les populations les plus favorisées. L’isolement peut même être plus durement ressenti dans ces milieux, où avoir un réseau social étendu compte plus qu’ailleurs.

L’anonymat des villes a libéré les individus de la surveillance de proximité des campagnes, ce qui constitue un progrès énorme. En contrepartie, certains réseaux ont disparu. Les populations isolées peuvent difficilement mobiliser des parents ou des amis pour leur venir en aide en cas de difficulté. Au-delà du sentiment de solitude, l’accès à un réseau capable de soutien matériel, d’aide à la recherche d’emploi, pourvoyeur de stages, de logements ou encore de loisirs, détermine à son tour les conditions de vie. Encore plus dans une société où l’intégration professionnelle est rendue plus difficile et où les liens du couple se sont fragilisés.

Trop de contacts tuent le contact ?
Le lien social ne se résume pas au nombre de contacts, loin de là. La multiplication de contacts éphémères ne constitue pas toujours un progrès pour les individus, et nombreux sont ceux qui vivent entourés mais sans de véritables liens sociaux. Bref : il y a la qualité et la quantité. On le comprend bien avec l’exemple des réseaux sociaux de l’Internet, qui procurent nombre d’« amis » qui n’en sont pas vraiment. C’est la même chose avec la sociabilité réelle : a-t-on vraiment besoin d’élargir sans cesse son réseau pour bien vivre, de multiplier les contacts ? La qualité des liens qui relient les personnes importe davantage que leur quantité. De la même façon, il faudrait distinguer l’isolement passager (entre deux situations de couple, de logement, d’emploi, etc.) de celui qui dure de façon contrainte et durable.
Qui se sent souvent seul ?
Unité : %
Part des personnes qui déclarent se sentir souvent seules
Sexe
Homme11
Femme13
Âge
18-24 ans8
25-34 ans10
35-49 ans13
50-64 ans14
65 ans et plus 12
Statut
Salarié11
Indépendant6
Chômeur24
Inactifs12
Retraité11
Autre inactif15
Profession des actifs
Agriculteur12
Artisan ou commerçant4
Cadre supérieur6
Profession intermédiaire7
Employé15
Ouvrier18
Niveau de diplôme
Sans diplôme20
Brevet-CAP-BEP14
Bac8
Bac + 2 ou plus8
Niveau de vie
Moins de 900 euros par mois18
De 900 à 1 399 euros15
De 1 400 à 1 999 euros9
2 000 euros et plus7
Ensemble12
Part des personnes qui répondent « souvent » à la question « vous arrive-t-il de vous sentir seul ? ».
Source : ministère des Solidarités – Données 2016 – © Observatoire des inégalités

Adapté de « Qui se sent seul, et pourquoi ? », Centre d’observation de la société, 11 juin 2018.

Photo / © Fotolia


[1Exactement, moins souvent que « plusieurs fois dans l’année ».

[2Voir « La solitude pèse bien au-delà des personnes seules », Centre d’observation de la société, 11 juin 2018.

[3Équipe de recherche sur les inégalités sociales (ERIS), dirigée par le sociologue Serge Paugam (EHESS et CNRS).

[4Voir « Isolement et délitement des liens sociaux. Enquête dans l’agglomération de Strasbourg », Eris – Centre Maurice Halbwachs, enquête réalisée à l’initiative de la société de Saint-Vincent de Paul, mars 2015.

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Date de première rédaction le 23 décembre 2019.
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