Point de vue

Il n’y a pas de leadership « au féminin »

Louer les « qualités relationnelles féminines spécifiques » continue d’enfermer les femmes dans des stéréotypes. La parité à la tête des entreprises n’est pas une question de « diversité », mais d’égalité. Le point de vue de Christophe Aulnette, chef d’entreprise, extrait du journal Le Monde.

Publié le 1er avril 2021

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Emploi Femmes et hommes

À l’approche de la Journée internationale du droit des femmes, le 8 mars, on a vu refleurir les propos lénifiants sur les dirigeantes d’entreprise et les habituelles rengaines sur le fait que les sociétés dirigées par des femmes atteindraient de meilleures performances, parce que managées sur la base des soft skills [1] qu’on leur attribue généralement : fort quotient émotionnel, capacité d’écoute, intelligence du collectif, dépassement de l’ego…

Il faut en finir avec cette approche : c’est avec ce discours qu’on enferme encore davantage les femmes dans les stéréotypes que l’on prétend par ailleurs dénoncer. En insistant sur ces qualités, on les renvoie à leur statut de femme. Il en va de même pour la « féminisation » des instances de direction. On se donne bonne conscience en affirmant haut et fort avoir atteint son « quota », en oubliant de dire que beaucoup de ces postes confiés aux femmes sont également en rapport avec ces fameuses soft skills : les femmes seraient particulièrement adaptées aux fonctions de communication, de ressources humaines ou de développement durable, qui sont des fonctions essentielles, mais auxquelles on ne confère pas le poids qui devrait leur revenir.

Diversité ou égalité ?

Pendant ce temps-là, ceux que l’on considère comme des postes de « pouvoir » continuent d’être confiés majoritairement à des hommes. Combien de femmes sont à la tête de directions opérationnelles ? Combien sont chargées des fusions-acquisitions ? Il serait bien utile, par exemple en s’appuyant sur les capacités de l’intelligence artificielle, de développer un outil d’analyse et de mesure du poids des différentes fonctions de l’entreprise en matière de pouvoir réel. Ce serait la meilleure façon de créer un véritable indice de parité.

Parmi les arguments souvent avancés en faveur de « l’ouverture » de postes de direction ou d’administration aux femmes figure celui de la performance : une entreprise présentant un fort taux de féminisation de ses dirigeants aurait de meilleurs résultats. C’est une justification que l’on présente aux actionnaires, mais que l’on relie non aux performances des femmes dirigeantes, mais aux bénéfices de la mixité. En filigrane, on décèle l’idée que les femmes viendraient « compléter » un état-major, par leurs qualités propres.

Outre qu’il est bien difficile de corréler scientifiquement le taux de féminisation d’une entreprise à ses performances, cette approche renvoie également aux stéréotypes féminins. Plutôt que le terme de « diversité », c’est celui d’« égalité » qu’il faudrait privilégier.

Dépasser la notion de quotas

Car c’est bien cela dont il est question : traiter à égalité les femmes et les hommes. Les entreprises qui réussissent sont celles qui placent au même niveau les compétences des hommes et des femmes, celles-ci représentant 50 % des talents.

Pour y parvenir, il apparaît ainsi clairement que, dans la société comme dans l’éducation, l’entreprise et le monde du travail en général, le changement de culture doit être beaucoup plus profond. Comme l’écrit l’historienne britannique Mary Beard (Les Femmes et le pouvoir. Un manifeste, Perrin, 2018) : « si les femmes ne trouvent pas pleinement leur place dans la structure du pouvoir, c’est le pouvoir qu’il faut redéfinir et non les femmes ».

S’agissant du pouvoir dans les entreprises, les conseils d’administration ont un rôle clé à jouer. C’est à eux que revient la responsabilité de dépasser cette notion de quotas – une nécessité pour forcer et accélérer le changement –, et de s’assurer que l’on confie de véritables postes de pouvoir aux femmes, au sein des comités de direction. C’est ainsi que l’on fabriquera des « rôles modèles » qui manquent cruellement aujourd’hui.

Il n’y a pas de leadership [2] « au féminin » : le prétendre, c’est encore nourrir les stéréotypes sexistes. Le leadership n’est pas une affaire de genre. Diriger aujourd’hui, c’est certes savoir décider, mais c’est surtout être capable de susciter l’adhésion et l’engagement des équipes, de fédérer des énergies. Bref, de concilier des qualités très diverses, certaines que l’on attribue à tort seulement aux hommes, d’autres que l’on croit, non moins à tort, « féminines ».

Et s’il faut, comme le suggérait avec malice Françoise Giroud en 1975, qu’une entreprise se retrouve un jour dirigée par une femme incompétente, ce ne serait qu’un maigre prix à payer à l’égalité des hommes et des femmes dans les postes de pouvoir.

Christophe Aulnette
Président de Dathena, société de technologie en intelligence artificielle. Il a été président de Microsoft France, directeur général d’Altran et de Netgem.

Extrait d’une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, « Il n’y a pas de leadership au féminin, le prétendre, c’est nourrir les stéréotypes sexistes », 7 mars 2021.

Photo / CC Amy Hirschi, Unsplash


[1« Compétences douces » en français. Les soft skills désignent les capacités relationnelles, de communication ou de créativité, qui relèveraient de la personnalité plutôt que de compétences techniques.

[2Capacité à diriger ou à influencer des équipes, qui reposerait sur la personnalité du dirigeant.

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Date de première rédaction le 1er avril 2021.
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