Faut-il prendre en compte le coût du logement pour mesurer les inégalités de niveaux de vie ?
Le logement représente une dépense importante des ménages. En tenir compte pour comparer leurs niveaux de vie n’a pourtant rien d’évident. L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Publié le 25 septembre 2025
https://www.inegalites.fr/Faut-il-prendre-en-compte-le-cout-du-logement-pour-mesurer-les-inegalites-de - Reproduction interditeVivre avec 4 000 euros par mois et payer 2 000 ou 1 000 euros de loyer, ce n’est pas du tout la même chose. Or le coût du logement diffère beaucoup selon les territoires. À salaire équivalent, une fois qu’on a payé son loyer, il reste beaucoup moins pour finir le mois selon qu’on habite à Paris ou à Argenton-sur-Creuse. De ce fait, il semble évident qu’il faudrait déduire les loyers des revenus pour apprécier les « vrais » niveaux de vie, ce que l’Insee ne fait pas. Et pourtant, ce n’est pas aussi simple qu’on le dit souvent.
Déduire ces frais reviendrait à réduire sérieusement les niveaux de vie des personnes qui vivent dans les centres-villes, en particulier des grandes agglomérations comme Paris où les prix sont particulièrement élevés, par rapport aux personnes qui habitent en milieu rural. Cela diminuerait les inégalités de revenus puisque globalement les riches vivent dans des logements plus coûteux – sauf pour ceux qui ont achevé de rembourser leurs emprunts immobiliers (voir encadré).
Prendre en compte le coût du logement pose plusieurs problèmes. Le premier, c’est qu’il n’y a aucune raison dans ce cas de ne pas prendre en compte d’autres budgets comme les transports, l’alimentation ou le chauffage qui différèrent aussi selon les territoires. Si on déduisait les carburants par exemple, on verrait baisser le niveau de vie des personnes qui utilisent leur automobile pour se rendre au travail.
Le deuxième problème, c’est que vivre dans une grande agglomération où les loyers sont élevés donne accès à une large gamme de services, un cadre de vie auxquels les autres n’ont pas accès. Paris compte par exemple environ 400 salles de cinéma contre une seule à Argenton-sur-Creuse. Si l’on voulait mesurer les conditions de vie, il faudrait aussi tenir compte de ces avantages.
Le troisième est lié aux choix de vie. Pourquoi les classes aisées vivent-elles dans des quartiers aussi chers ? Prendre en compte le coût du logement reviendrait à valider le choix des classes aisées d’aller vivre dans les beaux quartiers. Pour gagner du pouvoir d’achat, il leur suffirait souvent de déménager non loin de chez eux dans un quartier moins coûteux. Ils peuvent ne pas le faire, mais alors c’est leur problème : il n’est pas besoin de le prendre en compte.
Au final, en matière de budget logement, il faut avancer avec prudence. Certes, il serait intéressant de disposer de données territoriales précises sur le coût du logement ou d’autres postes budgétaires des ménages, comme les transports, et de pouvoir les comparer aux niveaux de vie pour mesurer une sorte de « reste-à-vivre » par territoire. Une partie de la population des grandes villes, pas la plus aisée, fait face à des coûts de logement considérables parce que trouver moins cher l’éloignerait énormément de leur lieu de travail ou d’études, notamment les jeunes.
Pour finir, il est étonnant que la question du logement soit avancée quand il s’agit de relativiser la portée du seuil de richesse mais jamais au sujet du seuil de pauvreté, identique pour tout le territoire national, y compris la capitale qui compte des habitants très riches mais aussi un grand nombre de personnes de pauvres [1]. Les ménages aux revenus limités, eux, n’ont pas les moyens de choisir la localisation de leur lieu de vie et, souvent, pas d’autre solution que vivre dans un logement exigu ou de s’imposer des durées de transports considérables. On l’a compris, si la question est mise en avant, c’est pour partie parce que les classes aisées ont toujours du mal à assumer leur bonne fortune.
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Propriétaires sans emprunt à rembourser, un gain notable de pouvoir d’achat |
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Les propriétaires qui ont achevé de rembourser leurs emprunts immobiliers [2] voient disparaître subitement une charge considérable : leur pouvoir d’achat fait un net bond en avant. Pour les locataires du secteur privé, le budget logement représente 28 % de l’ensemble de leurs revenus (données Insee 2022) contre 10 % pour les propriétaires qui ont tout remboursé. Pour une personne dont le niveau de vie est de 2 000 euros, le gain est de 360 euros mensuels (la différence entre 28 % et 10 % de 2 000 euros). La part des propriétaires concernés augmente logiquement avec l’âge : elle est de 5 % entre 30 et 40 ans, et de 75 % pour les 80 ans ou plus (données Insee 2020). À niveau de vie comparable, les écarts sont donc particulièrement importants entre les personnes âgées ayant eu les moyens d’acheter leur logement et celles qui demeurent locataires, notamment au moment de la retraite, phase marquée par une diminution des revenus. |
Photo / Jakub Żerdzicki sur Unsplash
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