Entretien

« Emplois domestiques : un plan qui s’appuie sur les inégalités », entretien avec Jean Gadrey, professeur émérite d’économie à l’université de Lille I

Le plan Borloo de cohésion sociale comprend un volet qui vise à développer les emplois domestiques. Pour Jean Gadrey, professeur émérite d’économie à l’université de Lille I, seuls les ménages aisés pourront vraiment en profiter. Les moyens engagés pourraient servir à développer des emplois socialement plus utiles.

Publié le 21 février 2005

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Revenus Emploi Modes de vie

Que penser du volet du plan Borloo concernant le développement des « emplois domestiques » ? Est-ce qu’il n’y a pas quelques améliorations ?

Ce volet du plan est fortement inspiré par le modèle américain. C’est ce qui explique qu’il s’appuie sur les inégalités de revenus existantes entre, d’un côté, les ménages qui auront les moyens de se payer des services à domicile, et qui vont être encore plus favorisés, et, de l’autre, ceux, les plus nombreux, qui ne pourront pas les payer.

Le « Chèque emploi service universel (CESU) » simplifie un peu plus les procédures. Très bien. Mais cela change peu de choses aux inégalités d’accès, puisque l’État ne prévoit presque rien pour les réduire... sauf si d’autres s’en chargent (entreprises, collectivités locales et organismes de protection sociale notamment), ce qui est déjà le cas pour les deux derniers. Il y aura juste une modeste contribution publique (crédit d’impôt) réservée aux entreprises qui achèteraient des CESU, et une nouvelle baisse de cotisations patronales... mais pour les salaires suffisamment au-dessus du SMIC, ce qui est et restera l’exception !

À qui s’adresse-t-il ?

Selon la dernière enquête disponible, seulement 1 % des couples gagnant moins de 1 500 euros (10 000 Francs) par mois emploient une femme de ménage. Ce chiffre est de 40 % pour les couples gagnant plus de 5 300 euros (37 000 Francs) par mois. Est également prévu un relèvement de 10 000 à 15 000 euros du plafond des salaires versés par un particulier (pour l’emploi de salariés à domicile) permettant de ne payer que la moitié de ces salaires. Les statistiques fiscales indiquent que ce relèvement ne pourra concerner que quelques dizaines de milliers de contribuables, tous très riches.

Qu’aurait-on pu faire à la place ?

Créer des emplois dignes et ayant des perspectives de professionnalisation, pour répondre à des besoins qui ne sont pas des besoins de femmes de ménage ou de jardiniers, mais des besoins de la petite enfance (à domicile, dans les crèches et les écoles maternelles), des personnes âgées (à domicile, en maisons de retraite et en lieux de vie) et des handicapés. Là se trouvent les gisements d’emplois utiles à promouvoir dans les services aux personnes, en y affectant des moyens importants, des plans de formation diplômante financés par l’État, des grilles salariales qui ne prévoient pas l’aumône d’une progression de 1 % par an, et encore... à condition qu’il s’agisse du même employeur ! Avec les mesures Borloo, ce secteur restera le domaine des petits boulots féminins précaires et du temps partiel subi : dans le secteur des services domestiques, la majorité des emplois sont en effet « non qualifiés », et les employés non qualifiés sont à 96% des femmes, généralement payées au Smic. 60% de ces femmes sont à temps partiel, souvent non choisi. Ce taux est même de 80% pour les femmes de ménage. La proportion de travailleurs pauvres y est élevée. Est-ce cela que l’on veut développer ?
Le plan Borloo se contente, sur toutes ces questions qui conditionnent l’avenir d’un secteur, d’« inviter les partenaires sociaux à négocier ». C’est ce qu’on appelle botter en touche et fuir les responsabilités publiques en matière d’affirmation de droits et de devoirs.

Propos recueillis par Louis Maurin

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Date de première rédaction le 21 février 2005.
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