Point de vue

Taxe carbone : la redistribution ne doit pas être sacrifiée sous couvert d’écologie

La création d’une « contribution climat-énergie » pour taxer les gaz à effet de serre a été annoncée dans la droite ligne du Grenelle de l’environnement. Elle devrait voir le jour en 2011. Les pistes privilégiées conduiraient à taxer davantage les ménages modestes. Le point de vue de Noam Leandri de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 9 juillet 2009

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Revenus Modes de vie Environnement

« Je souhaite que nous allions le plus loin possible sur la taxe carbone. Plus nous taxerons la pollution et plus nous pourrons alléger les charges qui pèsent sur le travail. C’est un enjeu immense ». Il existe au moins un domaine sur lequel le chef de l’Etat Nicolas Sarkozy se dit prêt à augmenter les impôts, c’est celui de la fiscalité environnementale, comme il l’a indiqué lundi 22 juin, devant le Congrès à Versailles.

Pour lutter contre le réchauffement climatique, l’une des pistes est en effet de taxer les produits qui contiennent du carbone. Mais cette proposition risque de frapper d’abord les foyers les plus démunis.

En quoi consiste la taxe carbone ?

Cette taxe vise à rendre plus chers les produits qui ont nécessité davantage de gaz à effet de serre pour être produits, afin d’en détourner les consommateurs. Par exemple, la consommation de carburants, la coupe des arbres émettent du dioxyde de carbone (CO2) qui est le gaz à effet de serre le plus important. Ceci dit, d’autres gaz ont un effet sur le réchauffement climatique plus élevé, à l’instar du méthane qui se dégage des ordures en décomposition, dont le potentiel de réchauffement équivaut à 25 fois celui du CO2, ou du protoxyde d’azote (N2O), 300 fois plus puissant, qui se dégage des procédés chimiques de fabrication des fibres polyamides qu’on retrouve dans les habitacles des voitures et les filtres de cigarettes, ou encore des hydrofluorocarbures (HFC), 2 800 fois plus puissants, et qui servent à la réfrigération et aux aérosols.

Concrètement, parmi les pistes évoquées par les ministères de l’économie et de l’écologie dans un livre blanc, figure une augmentation de la taxe sur l’essence, ou un supplément de TVA sur les produits qui participent au rejet de gaz à effet de serre tout au long de leur cycle de vie, c’est-à-dire depuis leur extraction ou leur fabrication jusqu’à leur recyclage.

Qui va payer ?

Les ménages les plus modestes consacrent une part plus importante de leurs revenus à la consommation, et notamment à l’achat, d’énergie (voir notre article). Toutes les taxes sur la consommation, comme la TVA, les frappent donc davantage si l’on rapporte le niveau de la taxe aux revenus.
En effet, les ménages les plus aisés, qui épargnent plus d’un tiers de leur revenu, ne seront taxés que sur les deux tiers restants. Les ménages les plus pauvres consomment, quant à eux, tout leur revenu, qui est ainsi intégralement taxé.

En outre, une taxe supplémentaire sur le carburant est elle aussi inéquitable. Les ménages modestes consacrent à la consommation d’énergie une part de leur budget 2,5 fois plus importante que les ménages les plus aisés (voir notre article). Rappelons qu’en France, le taux d’imposition du carburant est déjà un des plus élevés d’Europe.

Les personnes qui vivent dans des milieux ruraux sans transports en commun ni de réseau de distribution du gaz de ville (moins polluant que le fioul) subiront aussi de plein fouet une hausse de ces taxes car ils ne seront pas en mesure de réduire leur consommation d’essence ou d’énergie.

Paradoxalement, le ministère des Finances vient de décider, le 11 juin 2009, d’exonérer de TVA les permis d’émission de carbone que s’échangent les industriels soumis à des quotas annuels. Ceux-ci diminuent tous les ans pour atteindre les objectifs du protocole de Kyoto, c’est-à-dire la réduction de 5 % des émissions de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012.

Quelles alternatives ?

Personne ne discute la nécessité de préserver la planète dans le temps. C’est d’ailleurs une question d’égalité entre les générations. Consommer toute la planète de façon égalitaire à un moment donné et ne rien laisser aux suivants n’aurait pas grand sens.

La question est donc de savoir si l’on peut concilier la préservation de l’environnement et la réduction des inégalités de niveaux de vie. Une taxe sur la consommation en produits carbonés pourrait s’avérer redistributive selon une proposition de trois économistes du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED) citée par le Centre d’analyse stratégique. Emmanuel Combet, Frédéric Ghersi et Jean-Charles Hourcade démontrent qu’une taxe sur le carbone augmenterait avec le niveau des revenus si l’on déduisait pour chaque ménage un montant fixe équivalent à la contribution moyenne. Ainsi un ménage modeste qui payerait par exemple 10 euros en recevrait 50, tandis qu’un ménage aisé payerait 100 euros et recevrait lui aussi 50. Dans le premier cas, l’opération est bénéfique, le ménage modeste reçoit 40 euros. Dans l’autre, le coût est de 60 euros. Toutefois, le produit de cette taxe serait nul pour l’Etat puisqu’il redistribue tout ce qu’il perçoit.

D’autres solutions existent. Plutôt que de taxer davantage l’essence, on pourrait supprimer les niches fiscales sur d’autres carburants : la taxe intérieure sur les produits pétroliers est plus basse sur le diesel (42,84 €/hl) que sur l’essence sans plomb (60,69 €/hl), sans compter que les transporteurs routiers bénéficient d’une ristourne sur le diesel et que le diesel qu’on appelle fioul domestique est très faiblement taxé (5,66 € /hl). Enfin, comble de l’ironie pour un secteur éminemment polluant, le kérosène des avions est exonéré...

Plus généralement, les entreprises doivent, elles aussi, être mises à contribution. Les politiques fiscales des dernières années ont pour l’essentiel contribué à alléger la charge des entreprises au détriment des ménages. Par exemple, la CSG payée par les salariés a servi à financer les allègements de cotisations sociales des employeurs. Le dernier exemple annoncé pour 2010 est la suppression de la taxe professionnelle jusqu’à présent payée par les entreprises aux collectivités locales.

De nombreuses options différentes seraient disponibles. On peut citer la taxation des bâtiments professionnels peu économes en énergie dans le cadre d’une nouvelle taxe professionnelle, la transformation de la vignette automobile des professionnels en contribution carbone indexée sur les émissions des véhicules, la pénalisation des entreprises qui n’ont pas de plan de déplacement d’entreprise ou qui ne prennent pas en charge une partie des abonnements aux transports en commun de leurs salariés (le chèque transport est facultatif en province).

Rappelons aussi que les producteurs d’énergies carbonées (gaz, pétrole) affichent des bénéfices records à l’instar de Total qui a enregistré 14 milliards d’euros de résultat en 2008. On pourrait légitimement les taxer davantage pour qu’ils internalisent le coût pour la planète de la consommation de leurs produits.

Au niveau européen, agir pour l’environnement pourrait consister à rétablir les droits de douane sur certains produits ce qui réduirait d’une part le transport des marchandises, grand consommateur d’énergie, d’autre part la production dans les pays qui ne se sont pas engagés à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre.

En conclusion, le système fiscal français a d’ores et déjà suffisamment perdu de ses effets redistributifs sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter une taxe sur le carbone dégressive du revenu. Plusieurs alternatives concilient la nécessité de cette contribution et le principe d’égalité devant l’impôt. L’idée d’abattement forfaitaire par foyer la rendrait plus juste. Bref, la « taxe carbone » ressemble bien à un impôt sur la consommation des ménages, destiné à compenser la baisse de la taxe professionnelle des entreprises, dissimulé sous un verni écologique.

Est-il juste de taxer la consommation ?

Pour une partie des spécialistes de la fiscalité, les taxes sur la consommation, comme la TVA ou la taxe intérieure sur les produits pétroliers ne sont pas aussi « injustes » qu’on le dit. Elles constituent des impôts proportionnels à la consommation. Si l’on pense que seule la consommation produit de l’utilité, du bien-être pour le citoyen, c’est bien l’assiette qu’il faut taxer. Tant pis pour celui qui met de l’argent de côté et qui n’en profite pas. Cette position, défendue à gauche [1], est cohérente avec une certaine idée de la vie : ce qui procure le bien-être, c’est la dépense. Ce qui est juste pour une grande part et l’argument mérite d’être pris en compte. Mais il n’est pas tout à fait suffisant. L’épargne constituée joue aussi un rôle : elle fonctionne exactement comme une assurance. Entre deux personnes de même niveau de revenu, celui qui dispose de millions d’euros de côté a assurément une meilleure situation. En outre, la taxation du revenu permet d’éviter l’accumulation d’épargne et la reproduction dans le temps des inégalités. L’épargne étant aussi une assurance au profit des générations suivantes.

LM

Photo / CC Engin Akyurt


[1La TVA est-elle de droite ? par Alain Lipietz dans Alternatives économiques n° 139, juin 1996

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Date de première rédaction le 9 juillet 2009.
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