Analyse

Qui profite du bouclier fiscal ?

En 2008, grâce au bouclier fiscal, 834 contribuables dont le patrimoine est supérieur à 15,6 millions d’euros profiteront chacun d’une baisse d’impôt de 368 261 euros. Au total, 14 000 redevables ont bénéficié du bouclier fiscal, pour un coût total pour la collectivité de 458 millions d’euros.

Publié le 30 mars 2010

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834 contribuables dont la fortune est supérieure à 15,6 millions d’euros ont profité en 2008 chacun d’une baisse d’impôt sur le revenu de 368 261 euros grâce au nouveau « bouclier fiscal ». L’Observatoire des inégalités publie le compte-rendu de la première année pleine d’application de la loi « en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat » adoptée le premier août 2007 (lire le rapport). Désormais en effet, le montant des impôts directs (impôt sur la fortune, impôt sur le revenu et impôts locaux) ne peut dépasser 50 % des revenus d’un foyer fiscal, contre 60 % auparavant. Coût total de cette mesure pour le contribuable : 458 millions d’euros.

L’Assemblée nationale avait estimé que 234 000 contribuables bénéficieraient en année pleine de 810 millions d’euros (coût total du bouclier). En fait, seuls 14 000 contribuables ont été concernés, pour un coût total de 458 millions d’euros. Le bouclier a été justifié de la façon suivante : il fallait éviter que des ménages aux bas revenus ne soient imposés du seul fait de leur patrimoine. C’est le fameux cas de la veuve de l’Ile de Ré (information largement médiatisée), dont les maigres terres ont pris tellement de valeur qu’elle est soumise à l’impôt sur la fortune...

Parmi ces 14 000 foyers fiscaux, 9 000 déclarent des revenus très faibles (inférieurs à 7 338 euros annuels). Mais les cas de foyers effectivement pauvres et lourdement imposés sont rares, du fait des exonérations et dégrèvements de la taxe d’habitation. Ces cas isolés servent de paravent à des ménages qui déclarent artificiellement des bas revenus parce qu’ils déduisent de leurs ressources des dépenses que les salariés ne peuvent pas comptabiliser (automobile, équipements divers) ou utilisent les niches fiscales. Leur niveau de vie réel n’a pas grand chose à voir avec ce qui est affiché fiscalement.

Quoi qu’il en soit, le bouclier fiscal favorise surtout les très hauts revenus et les grandes fortunes. Un petit nombre de contribuables ont reçu des montants considérables. 3 894 foyers au revenu annuel supérieur à 42 507 euros ont touché 105 907 euros de ristourne en moyenne par foyer. Pour eux seuls, le coût pour la collectivité est de plus de 412 millions d’euros au total. Pour les plus gros patrimoines, c’est une vraie aubaine. Ainsi, 834 foyers au patrimoine supérieur à 15,6 millions d’euros ont touché 368 261 euros en moyenne par foyer. La collectivité a dépensé plus de 307 millions d’euros pour eux.

On peut tirer plusieurs enseignements de ces données :

 La question des impôts payés par les couches de la population les moins aisées n’est en rien résolue. Hors impôts indirects (comme la TVA), il s’agit principalement d’impôts forfaitaires comme la redevance audiovisuelle ou la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (1), et des impôts locaux dont les bases de calcul - la valeur des biens immobiliers - datent des années 60.

 La maîtrise de la communication est un élément essentiel des politiques publiques de baisse d’impôts. Officiellement, l’impôt sur la fortune n’est pas remis en cause. Comme souvent, on utilise un paravent - la veuve de l’île de Ré - au profit d’autres causes. C’est de la même façon que l’on utilise les intérêts des petits agriculteurs pour défendre ceux des grosses exploitations (2).

 Lors de la présentation du texte en 2007, la ministre de l’économie avait reconnu à l’Assemblée nationale la véritable portée du texte : « On entend souvent dire que cette mesure (le bouclier fiscal, ndlr) ne concernerait que la partie la plus riche de la population, mais n’est-ce pas celle qui fait tourner l’économie ? », avait-elle déclaré. Il faut aider les plus riches parce qu’ils créent la valeur. Les salariés les moins qualifiés qui travaillent souvent dans les conditions les plus pénibles pour les plus bas salaires apprécieront d’apprendre leur faible apport à l’économie.

 Le décalage est considérable entre l’intérêt des mesures et les montants dépensés pour les mettre en œuvre. De la dette publique aux commissariats de police, en passant par l’école, les besoins sont criants. Le coût de la modification du bouclier fiscal est équivalent à la franchise de soins (montant minimum non remboursé) qui porte sur l’ensemble des ménages, quels que soient leurs revenus.

Louis Maurin et Pascale Delhaye

(1) Qui ne sont pas juridiquement des impôts...
(2) Il en est de même, de façon plus générale, avec l’ensemble des professions libérales, des artisans et des commerçants.

Bouclier fiscal : gain pour les bénéficiaires selon les revenus annuels et le patrimoine et coût pour les finances publiques
Nombre de bénéficiaires
Coût pour les finances publiques (en euros)
Gain moyen par contribuable bénéficiaire (en euros)
Revenu annuel (en euros)
Moins de 3 2638 63316 726 3301 937
entre 3 263 et 7 3383063 733 37912 201
entre 7 338 et 10 3151612 367 73814 706
entre 10 315 et 12 9911222 292 07718 788
entre 12 991 et 15 484961 700 94017 718
entre 15 484 et 18 6871262 313 44818 361
entre 18 687 et 23 6101683 970 52723 634
entre 23 610 et 30 3041834 672 45425 533
entre 30 304 et 42 5073098 176 43826 461
Plus de 42 5073 894412 385 823105 903
Total13 998458 339 15332 743
Valeur du patrimoine (en euros)
Inférieure à 760 0008 3384 837 918580
entre 760 000 et 1 220 000224933 5384 168
entre 1 220 000 et 2 420 0005853 381 1445 780
entre 2 420 000 et 3 800 0007267 480 75810 304
entre 3 800 000 et 7 270 0001 85040 703 84222 002
entre 7 270 000 et 15 581 0001 44193 871 97065 144
Plus de 15 581 000834307 129 984368 261
Total13 998458 339 15332 743

Source : Ministère de l'économie, cité par le Rapport de Gilles Carrez, député - Assemblée nationale n°1794, juillet 2009 - 2008
Les plus petites et les plus grosses restitutions

_ Les 1 000 restitutions les moins importantes concernent des redevables de profils divers, parmi lesquels 974 ne sont pas assujettis à l’ISF dont 951 disposant d’un revenu fiscal de référence inférieur à 3 263 euros. Le coût de ces 1 000 restitutions est de 121 732 euros, correspondant à 0,027 % du coût total, soit une restitution moyenne de 122 euros.

_ Les 100 restitutions les moins importantes concernent des redevables non assujettis à l’ISF à l’exception d’un seul, dont 94 disposent d’un revenu fiscal de référence inférieur à 3 263 euros. Le coût de ces 100 restitutions est de 2 518 euros, soit une restitution moyenne de 25 euros.

_ Les 1 000 restitutions les plus importantes concernent des redevables de tous profils, avec une forte concentration puisque 655 d’entre eux disposent d’un patrimoine supérieur à 15 810 000 euros et des revenus supérieurs à 42 507 euros. Le coût de ces 1 000 restitutions est de 337,24 millions d’euros, soit une restitution moyenne de 337 241 euros. Ces personnes captent donc près de 74 % du coût du bouclier fiscal.

_ Les 100 restitutions les plus importantes concernent des redevables de l’ISF de la dernière tranche (patrimoine supérieur à 15 810 000 euros.). Le montant des restitutions correspondant dépasse 155 millions d’euros. Ces 100 personnes, dont la restitution moyenne est de 1,154 million d’euros, captent donc plus du tiers du coût du bouclier fiscal. La restitution moyenne des 10 plus grosses restitutions est de 5,97 millions d’euros.

_ Extrait du Rapport de M. Gilles Carrez, député - Assemblée nationale n°1794, juillet 2009.

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Date de première rédaction le 30 mars 2010.
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