Point de vue

Qui est riche en France ?

En France, personne n’aime être désigné comme riche. Une tentative de définition par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Article publié par le quotidien « La Croix ».

Publié le 11 janvier 2007

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L’argent a mauvaise presse en France. Il n’est pas « convenable » de faire étalage de sa richesse. Les catégories les plus aisées ont tout à gagner à cette pudeur collective, qui masque la réalité des revenus des plus favorisés de notre société.
Personne – sauf de rares travaux peu connus du grand public – n’a jamais fait état d’un « seuil de richesse ».
L’exercice n’est pourtant pas moins artificiel que le calcul d’un « seuil de pauvreté ». Celui-ci est, par convention, le plus souvent déterminé comme la moitié du revenu qui lui-même partage la population des ménages en deux (que l’on appelle le revenu « médian »). Une définition arbitraire mais peu contestée. En France, ce revenu médian de l’ensemble des ménages (après impôts et prestations sociales) se monte à 2 050 euros et s’élève à 1 313 euros pour une personne seule. Le seuil de pauvreté pour une personne est égal à 1 313 divisé par deux, soit 657 euros.
Rien n’interdit de réaliser la même opération pour la richesse. Pourquoi pas, par exemple, considérer que celle-ci équivaut au double du revenu médian ? Cette définition qui n’a ni plus ni moins de valeur que le seuil de pauvreté. On obtient alors un seuil de richesse de 2 600 euros mensuels pour un individu. Pour une famille composée d’un couple et de deux enfants dont l’un aurait moins de 14 ans, cela place le seuil de richesse à 6 000 euros (toujours après impôts et prestations sociales), ce qui constitue un montant considérable.

En France, ce niveau de ressources est très élevé, une personne qui touche autant se situe entre les 10 % et les 5 % les plus aisées. Dans un rapport récent, le Centre d’étude des revenus et de la cohésion sociale [1] fixe la barre à un niveau inférieur et qualifie de « riche » la population qui touche plus de 2 300 euros par ménage, ce qui correspond au seuil des 10 % les plus riches.

Beaucoup, pas beaucoup ? Tout dépend de la situation où l’on se place. Pour l’immense majorité des Français, 2 000 euros mensuels est une somme énorme : un tiers de la population touche moins de 1 000 euros par personne. Ne pas considérer comme « riche » une personne qui appartient à la frange des 10 % les plus aisés est une conception étroite de la richesse.
En France, il est une tradition de montrer du doigt les « 200 familles », mais de s’exonérer d’une réflexion plus approfondie sur le niveau de richesse. Cela arrange notamment les populations aisées rebaptisées classes moyennes « supérieures » et ainsi dégagées du devoir de solidarité.

Cela n’empêche pas qu’il existe, au sein des populations les plus riches, des écarts de taille. Entre le cadre supérieur et une partie du patronat qui perçoit quelques centaines d’années de Smic chaque année, les niveaux de vie sont incomparables. Mais les sommes colossales perçues par les derniers – ainsi en 2005, Liliane Bettencourt aurait perçu des dividendes équivalents à 15 000 ans de Smic – ne doivent pas occulter les inégalités qui persistent au sein du monde salarié. La question de fond n’est d’ailleurs pas tant l’existence d’inégalités - elles sont acceptées par une grande majorité de la population – que leur justification. Au fond, qu’est-ce qui justifie, par exemple, que les emplois les plus difficiles physiquement, où l’espérance de vie est la plus faible, soient aussi les plus mal rémunérés ? Il n’est pas certain que la « qualification » mesurée en France par le diplôme sanctionne purement un « mérite » personnel et pas d’autres éléments, comme le fait d’avoir des parents eux-mêmes diplômés. Du coup, c’est toute la hiérarchie des salaires qui peut être remise en cause.

Pour vraiment évaluer la richesse, il faudrait aller encore plus loin. Au-delà de la richesse monétaire, les « ressources » conférées par le niveau de diplôme jouent un rôle de plus en plus central dans notre société : de l’accès aux positions sociales les plus élevées ou à la santé, en passant par les loisirs. En outre, le diplôme des parents joue un rôle essentiel dans la détermination de la position sociale des enfants (phénomène de « reproduction sociale »). Si on en juge par la teneur du débat actuel sur les inégalités, les « riches » du point de vue du diplôme (quelle que soit leur appartenance politique) ont bien moins le sens de leur place dans la hiérarchie sociale que les « riches » vu par le niveau de revenu. Ce qui est normal, puisque l’école a légitimé leur place dans la société.

Article extrait de La Croix du 15 décembre 2006.


[1« La France en transition », Cerc, novembre 2006. Disponible sur cerc.gouv.fr

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Date de première rédaction le 11 janvier 2007.
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