Analyse

Les maux de la justice sociale

Lutte contre la pauvreté, l’exclusion, les discriminations... Se polariser sur elles, n’est-ce pas s’exposer au risque d’oublier la question des inégalités dans son ensemble ? Une analyse de Patrick Savidan, Président de l’Observatoire des inégalités, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne. Extrait du Hors Série de Télérama, « Quelle égalité voulons-nous ? ».

Publié le 27 juin 2007

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Nos schémas d’analyse sociale ne peuvent sans doute plus prétendre à la belle simplicité que lui conférait la doctrine de la lutte des classes. Mais, depuis que le monde s’est mis à l’heure de l’individu, ils semblent bloqués sur une conception simpliste de l’individualisme et du coup politiquement impuissants à penser la justice sociale. J’en vois pour preuve la manière dont celle-ci tend à n’être plus réinterprétée qu’en termes de droits civils et de dignité, dans une vision humanitaire du social. Dans cette perspective, qui annule les conflits idéologiques, il ne s’agit jamais – à des degrés divers – que d’assurer le minimum social pour permettre à tous de prendre pied au cœur de la société, du moins ne pas en être « exclu ».

Or, la justice sociale n’est pas qu’affaire d’intégration - qui serait une bonne chose en soi - ou d’exclusion - qui serait un dommage : il faut d’abord se demander dans quelle mesure est juste l’ordre social auquel il s’agit de s’intégrer. En s’investissant massivement sur les fronts de « la lutte contre la pauvreté », « l’exclusion » et « les discriminations », les gouvernements, de droite comme de gauche, ont répondu en pratique à la montée d’une pauvreté de masse et des situations de détresse qui interpellent la société comme une sorte d’urgence sociale, le problème est qu’ils se soient dans le même temps dispensés d’une réflexion plus globale sur les inégalités qui traversent l’ensemble du système social. Car vouloir endiguer la pauvreté et l’exclusion, problèmes sociaux extrêmement graves, n’épuise pas la question des inégalités. L’attention exclusive portée aux plus démunis a parfois conduit à masquer le contexte plus large de remontée des inégalités dans lequel s’inscrit cette grande pauvreté visible. Les catégories intermédiaires sont les premières à les ressentir, elles qui, sans vivre dans le dénuement, peuvent légitimement s’inquiéter de leur avenir, notamment lorsqu’elles ne disposent pas d’un statut d’emploi protecteur.

Quant à la lutte contre les discriminations, par opposition à l’ambition de réduire les inégalités, elle présente un double avantage. D’une part, c’est une démarche directement opératoire grâce à des institutions et instruments juridiques désormais assez efficaces (notamment sous l’influence du droit communautaire au début des années 2000 et avec la loi Génisson du 3 mai 2001 et la loi « relative à la lutte contre les discriminations » du 16 novembre 2001). D’autre part, les politiques anti-discriminatoires bénéficient d’un soutien social et politique quasi unanime, car elles sont fondées sur la défense de libertés et de droits économiques et sociaux qui font partie de notre tradition politique et constitutionnelle. L’enjeu est donc bien de savoir si l’on veut uniquement que les moyens d’accéder au système social soient justes ou si l’on désire en outre que le système lui-même le soit.

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Date de première rédaction le 27 juin 2007.
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