Point de vue

Les inégalités supprimées du programme du lycée ?

Les sciences économiques et sociales au lycée sont la seule discipline qui intègre dans ses programmes la question des inégalités. La future loi Fillon pourrait réduire sérieusement la place de cette filière. Le point de vue de Isabelle Gautier, professeure d’économie, membre de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 21 décembre 2004

https://www.inegalites.fr/Les-inegalites-supprimees-du-programme-du-lycee - Reproduction interdite

Les sciences économiques et sociales (SES) au lycée sont la seule discipline qui intègre dans ses programmes les inégalités. La double approche économique et sociologique permet une démarche critique qui fait réfléchir, dès la classe de seconde, sur le chômage, les revenus, la pauvreté, les rôles masculins et féminins, les différences entre catégories sociales.

Il s’agit d’un enseignement, non de spécialistes, ce qui sera le rôle de l’enseignement supérieur, mais de culture générale pour former de futurs citoyens. De ce point de vue, l’existence des inégalités, et leur dynamique, est une réalité qu’il faut faire découvrir aux jeunes français. Dans le maquis des informations que diffusent les médias, des outils sont nécessaires. Par exemple, comprendre les revenus nécessite de connaître leurs différentes sources (travail, capital, redistribution) et aussi les inégalités d’épargne et donc de possibilités de constitution des patrimoines. Comparer les pays permet de voir les logiques inhérentes à la distribution plus ou moins inégalitaire des revenus et les choix possibles. Comprendre les débats sur une question d’actualité comme le plan Borloo nécessite d’analyser le mécanisme de l’exclusion en passant par les inégalités face au chômage... C’est à ce prix que les jeunes français seront formés pour être citoyens.

Aujourd’hui, 45 % des élèves de seconde suivent un enseignement de SES, et 30 % des bacheliers généraux ont suivi la filière ES. Au détour d’un article qui peut paraître mineur, le projet de loi Fillon sur l’école risque de diminuer fortement l’enseignement de sciences économiques et sociales. Actuellement, les élèves de seconde ont deux « options obligatoires ». Sur ces deux options, une est (et restera) nécessaire : c’est la deuxième langue, tous les bacs généraux incluent deux langues. L’autre option permet de découvrir une matière nouvelle : troisième langue ou théâtre pour les futurs littéraires, Sciences de l’ingénieur pour les futurs Sciences et techniques industrielles, SES pour la série « économique et sociale »...

La réforme limite à une les options obligatoires. Sans réel choix puisque la deuxième langue est toujours nécessaire. Le nombre d’élèves qui prendront SES va donc fortement diminuer. Comment les élèves vont-ils choisir avec raison leur filière s’ils n’en connaissent pas ... la matière principale ? Veut-on diminuer la filière ES jugée concurrente des Littéraires et des Scientifiques car elle attire toujours plus d’élèves ? ou tout simplement veut-on réduire à n’importe quel prix le budget de l’éducation nationale ?

Autre point d’attaque, le projet propose d’orienter les programmes de SES vers des enseignements de gestion et de droit au détriment de l’orientation actuelle de culture générale, nécessaire avant une spécialisation professionnelle qui n’interviendra, dans cette filière longue, qu’après le bac. Les SES n’apparaissent pas aujourd’hui « politiquement correctes », analyser les inégalités paraît moins nécessaire à nos gouvernants que comprendre la rationalité économique des licenciements. C’est pourquoi nous avons besoin de l’appui de tous ceux qui pensent que l’enseignement général doit continuer d’intégrer une approche sociale et pluraliste de la société.

Pour soutenir les SES et la filière ES, les enseignants appellent à signer une pétition sur : http://www.apses.org

Aidez-nous à offrir à tous des informations sur l’ampleur des inégalités

Notre site diffuse des informations gratuitement, car nous savons que tout le monde n’a pas les moyens de payer pour de l’information.

L’Observatoire des inégalités est indépendant, il ne dépend pas d’une institution publique. Avec votre soutien, nous continuerons de produire une information de qualité et à la diffuser en accès libre.


Je fais un don
Date de première rédaction le 21 décembre 2004.
© Tous droits réservés - Observatoire des inégalités - (voir les modalités des droits de reproduction)