Analyse

La société paritaire est encore très loin !

Parce qu’ils ne tiennent pas compte de la nature des emplois qu’occupent majoritairement les femmes, les thermomètres et autres labels actuels de l’équité au travail ne permettront pas d’établir une véritable politique d’égalité professionnelle. L’analyse de l’économiste Florence Jany-Catrice.

Publié le 8 mars 2005

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Catégories sociales Femmes et hommes

Ainsi, un premier label d’« Egalité Professionnelle » vient d’être attribué à PSA-Peugeot-Citroën par Madame Ameline, Ministre de la Parité et de l’Egalité Professionnelle, en tenant compte des efforts réalisés par cette entreprise pour augmenter l’emploi des femmes.

Le chiffre de + 10 % de femmes en une seule année a été annoncé, soit 1 500 femmes de plus dans l’entreprise. Chiffre apparemment énorme, mais qui, rapporté à l’emploi total du groupe, fait augmenter la part des femmes dans l’ensemble d’un point environ seulement. Ce résultat est-il suffisamment « exemplaire » pour une labellisation immédiate ? Qui admettrait qu’un parti politique soit labellisé « égalité politique » s’il faisait progresser d’un point la part des femmes parmi ses élus ?

Mais l’essentiel est ailleurs : de quels emplois s’agit-il ? En quoi l’augmentation de l’emploi des femmes rime-t-elle avec la progression de l’égalité professionnelle ?

On découvre à ce propos que les emplois proposés sont, pour leur très grande majorité, des emplois d’ouvriers, aux conditions de travail rudes, mais à l’ergonomie repensée pour permettre l’accès des femmes à ces postes. On imagine alors que la labellisation d’Egalité Professionnelle ne se contente pas de cette « accessibilité physique » aux postes de travail, et que les emplois proposés ont des conditions de travail, de rémunération et d’accès à la promotion aussi avantageuses que pour les hommes. Hélas non.

Ces métiers sont loin d’avoir été revalorisés par l’arrivée des femmes, puisqu’on apprend que c’est en matière de rémunérations des ouvrières et des employées que les « retards » (les écarts salariaux) demeurent les plus élevés.

Du côté de la promotion interne, les indicateurs de performance paritaire ne sont guère plus brillants. Le nombre d’ouvrières ayant pu accéder à des postes de techniciennes a augmenté de ... 30 en 5 ans, et le nombre de femmes employées, techniciens et agents de maîtrise promues au rang de cadres a lui augmenté de 32, toujours sur 5 ans (soit au total, 12 femmes de plus promues par an environ). L’effectif total du groupe est de 86 000 personnes.

Il faut chercher ailleurs la réalité de l’inégalité professionnelle en France, qui ne se réduit pas aux inégalités à l’intérieur des entreprises et des secteurs à forte dominante masculine.

Entre 1994 et 2002, ce sont plus de 750 000 emplois classés comme non qualifiés par l’INSEE qui ont été créés en France, et les femmes en représentent près des deux tiers. Plus précisément, la plus forte création a concerné des emplois de services : plus de 500 000 postes d’employés non qualifiés ont été créés sur cette dernière décennie. Et près de 80% de ces emplois sont occupés par des femmes.

Dans « Le travail non-qualifié », que viennent de publier Dominique Méda et Francis Vennat (ed. La Découverte), des chercheurs montrent que l’enfermement dans la non qualification concerne davantage les femmes que les hommes, et que ces emplois dits « non qualifiés » cumulent précarité, intensification du travail et faiblesse des rémunérations.

Pour lutter contre les inégalités entre hommes et femmes, il faut donc aussi braquer le projecteur sur les emplois non qualifiés féminins. La parité professionnelle, c’est au moins autant la réduction des discriminations « horizontales » (c’est-à-dire le fait que les femmes soient essentiellement présentes dans quelques métiers ou branches d’activité peu valorisés socialement) que l’accessibilité à des emplois prétendument masculins, surtout lorsqu’ils restent au bas de l’échelle des qualifications et des salaires et que les promotions internes se comptent annuellement sur les doigts de la main.

Le plan de cohésion sociale proposé par un autre ministère, celui de Jean-Louis Borloo, permet-il d’envisager une réduction de ces discriminations ? On peut en douter dès lors qu’il préconise la multiplication d’emplois non qualifiés à temps partiel. La catégorie des employés non qualifiés, celle-là même où se trouveraient les plus importants « gisements d’emplois », est déjà fortement féminisée, avec plus de 40 % d’emplois à temps partiel. Or c’est le temps partiel, souvent subi, qui « institue » dans les emplois non qualifiés du tertiaire une précarité de long terme qui concerne très majoritairement les femmes. Cette précarité recouvre plusieurs aspects.

En premier lieu, du fait du fort taux de chômage, les salariés sont plus enclins à accepter et conserver des emplois aux conditions de travail difficiles. Ensuite, dans les emplois non qualifiés des activités de services, le temps partiel est souvent assorti d’heures complémentaires fixées par l’employeur. La flexibilité qui en résulte concerne non seulement les volumes d’heures travaillées, mais aussi les salaires, qui, dans certaines activités, peuvent varier d’un mois sur l’autre : l’absence de repères sur le montant de la rémunération à venir accentue le sentiment d’insécurité économique. Troisièmement, la pénibilité horaire est d’autant plus accentuée que dans de nombreux métiers à forte proportion d’employées non qualifiées (notamment celui des aides à domicile), les horaires sont gérés à coups de coupures, de morcellement des temps, d’imprévisibilité horaire ou de travail non rémunéré. Enfin, dans de nombreuses entreprises de services, les salariés considèrent souvent que seul le temps complet permet d’accéder à une « titularisation », qu’ils soient en CDD ou CDI.

La faible valorisation de ces emplois, nécessitant pourtant de nombreuses compétences, notamment relationnelles, contribue nettement à leur faible qualité : conjuguée au temps partiel, la relation salariale n’apparaît plus comme un filet de sécurité face à une diversité de menaces qui pèsent sur les salariés, en particulier celle de la pauvreté, qui touche de plus en plus de salariés à temps partiel.

Accélérer le processus de recours au temps partiel, ce que préconise le plan dit de « cohésion sociale », revient ni plus ni moins à imposer aux femmes de travailler moins (dans la sphère professionnelle), ou de travailler peu pour celles qui entreraient nouvellement sur le marché du travail, alors même que la norme collective du temps de travail est actuellement revue à la hausse. La dépendance économique des femmes concernées risque d’augmenter sensiblement. Ce plan revient à faire supporter aux salariés à temps partiel, c’est-à-dire principalement aux femmes, l’augmentation du taux d’emploi, tout en leur laissant supporter la charge (invisible) du travail domestique.

Ce sont les femmes encore qui risquent d’être enfermées dans des emplois partiels sans perspective de carrière, aux conditions d’emploi fragiles et aux conditions de travail pénibles, notamment en matière de disponibilité temporelle.

En passant à côté de l’immense majorité des emplois féminins les plus « inégaux », les thermomètres et autres labels actuels ne sont pas orientés sur ce qui permettrait d’établir une véritable politique d’égalité professionnelle.

Photo / © Woodapple - Fotolia

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Date de première rédaction le 8 mars 2005.
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