Analyse

La jeunesse existe-t-elle ?

Pour de nombreuses raisons, les jeunes ne forment pas un groupe unifié avec des pratiques et des valeurs si communes que cela. Une analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 25 février 2009

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Modes de vie Âges
Qui sont les jeunes ?

Cet article fait partie d’un dossier, réalisé par l’Observatoire des inégalités en partenariat avec Jeunesses en régions, qui dresse le portrait des 15-30 ans, aux premières loges de la crise de l’emploi et du mal logement.

« La jeunesse n’est qu’un mot », écrivait le sociologue Pierre Bourdieu [1]en 1978. De fait, si la grande majorité des commentateurs considère que parler « des jeunes » va de soi, l’affaire est bien plus compliquée qu’on le dit souvent. Pour de nombreuses raisons, les jeunes ne forment pas un groupe unifié avec des pratiques et des valeurs si communes que cela.

Tout d’abord, parce que personne ne sait dire vraiment à quel âge on doit parler de jeunes. Où finit l’enfance et quand commence la jeunesse ? L’adolescent est-il vraiment un jeune ou reste-t-il un enfant ? En pratique, on utilise souvent la tranche commode des 15-24 ans. On aurait pu tout aussi bien adopter l’âge de la majorité légale, 18 ans, comme limite basse, un âge à partir duquel le nombre de personnes sorties du système scolaire commence à augmenter nettement.

Tous les scientifiques n’adoptent pas les mêmes concepts. Certaines études sur les adolescents traitent des 11-19 ans, mais parlent aussi de « jeunes ». De même, il est difficile de mettre une fin à la jeunesse. Ainsi, on peut penser que 28 ans - l’âge moyen, en France, des mères à la première naissance - serait un bon indicateur de l’achèvement de cette période. Les hésitations des politiques publiques vis-à-vis des limites d’âge au cinéma est symbolique de cette recherche d’une forme d’âge adulte, avec toute la difficulté de la définition de critères : tout le monde est d’accord sur la nécessité de fixer une barre, mais où la placer ?
Dans son ouvrage « Les jeunes » [2], l’Insee allonge l’âge de la jeunesse, tant l’âge de 24 ans ne semble plus être une barre pertinente… et traite des 15-29 ans. Par commodité, nous reprendrons dans l’ensemble des fiches le plus souvent la fourchette 15-24 ans qui demeure la plus utilisée, même si, dans les faits elle n’est pas toujours la plus conforme à la réalité sociale.

Une raison plus profonde encore rend difficile de parler des jeunes comme un tout. L’élévation des niveaux de vie et du niveau d’éducation a en partie homogénéisé les pratiques de consommation et les modes de vie, mais en partie seulement. « Si le cadre est commun à tous, les jeunes sont loin d’être tous logés à la même enseigne  », écrivent les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet [3] .

Prenons les jeunes à 20 ans (voir tableau) : 28 % exercent un emploi, 10 % sont au chômage, 56 % étudient et 5 % ne sont ni à l’école ni dans la vie professionnelle. Le grand clivage passe entre les milieux sociaux. « Les protections sont différenciées selon les groupes sociaux et l’aide que l’on peut attendre de la famille : aide matérielle, aide relationnelle et mobilisation de réseaux, aide intellectuelle dans le soutien aux études », continuent les sociologues. Toute la difficulté de l’analyse est de combiner âge et milieu social. Entre l’intérimaire du bâtiment et l’élève d’une grande école parisienne dont les parents financent les études, les modes de vie sont souvent totalement opposés. Les pratiques culturelles sont trompeuses pour le monde des adultes qui y voit l’uniformité. Vêtements, goûts musicaux, langage, loisirs diffèrent selon les milieux sociaux.

Les fils et filles d’ouvriers ou d’employés ont en moyenne des scolarités plus courtes et mettent plus de temps pour trouver un emploi stable, alors que les enfants de cadres supérieurs restent plus longtemps sur les bancs de l’école et trouvent du travail plus rapidement.

Avant de parler de « jeunes », il faut donc prendre des précautions. Sans doute, la jeunesse partage des éléments en commun, plus réceptive aux nouveautés, à la musique ou aux nouvelles technologies par exemple, mais aussi plus sensible à la conjoncture du marché du travail et davantage frappée par le renchérissement du coût du logement. Il n’en demeure pas moins qu’il serait un profond contresens de ne pas observer, à l’intérieur de cette jeunesse, des divergences énormes. De l’école à l’emploi en passant par la santé, les loisirs ou le logement, de très nombreux jeunes connaissent d’abord les difficultés que rencontrent toutes les personnes issues de milieux peu favorisés.

Quelle est la différence entre âge et génération ?

Quand on parle de « jeunes », on mélange souvent deux concepts différents : celui d’âge, et celui de génération. L’âge situe un individu à un moment donné sur l’échelle de sa vie. La génération situe l’individu à partir de sa date de naissance et du contexte historique. On change d’âge, mais jamais de génération. Certains phénomènes sociaux sont liés à l’âge et à la génération de façon plus ou moins indépendante. Prenons l’exemple de la durée d’écoute de la télévision. Elle dépend d’un effet de génération : en moyenne, les nouvelles générations la regardent davantage. Mais aussi d’un effet d’âge : en moyenne, les adultes la regardent moins que les personnes âgées.


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[1Entretien avec Anne-Marie Métailé, repris in Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Minuit, 1984.

[2« les jeunes », Insee, coll. Contours et caractères, éd. 2000.

[3Christian Baudelot et Roger Establet, « Une jeunesse en panne d’avenir », in Daniel Cohen (dir.), Une jeunesse difficile, Éditions de la rue d’Ulm, 2007.

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Date de première rédaction le 25 février 2009.
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