Entretien

« La démocratisation de l’école doit être poursuivie » entretien avec Eric Maurin, directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales

L’ambition d’une même éducation pour tous, jusqu’à 16 ans, est aujourd’hui remise en cause. Dans La Nouvelle question scolaire (Seuil, 2007), Éric Maurin, directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales, dénonce une telle évolution. Propos recueillis par Bernard Le Solleu, journaliste à Ouest-France.

Publié le 2 octobre 2007

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Il est de bon ton aujourd’hui de décrier l’école, son bac, ses diplômes. Et cela vous agace.

Je n’ai jamais cru aux arguments des catastrophistes. On s’inquiète aujourd’hui du fait que 60 % des enfants seulement auraient le niveau nécessaire pour suivre correctement la classe de sixième. Mais il y a quarante ans, ils n’étaient que 30 %, selon une très sérieuse étude de l’époque réalisée, académie par académie, sur le niveau de lecture, l’orthographe, les maths... Tout démontre au contraire que le grand élan de démocratisation de l’école depuis un demi-siècle - avec le collège pour tous et la fin de la sélection en classe de cinquième - a donné de bons résultats. En terme d’insertion professionnelle, de qualifications, de salaire et de réduction des inégalités.

C’est encore plus vrai, selon vous, dans les pays scandinaves. Pourquoi ?

Ils ont démocratisé plus vite et plus franchement leur système éducatif. Les sociétés nordiques sont très pragmatiques. À la fin des années cinquante, habités par les mêmes doutes et les mêmes résistances qu’ailleurs sur la capacité de tous les élèves à suivre les mêmes cours, les Scandinaves décident de mener l’expérience. Certaines régions passent au collège unique, d’autres pas et on regarde qui a les meilleurs résultats. Ils ont vu. Ils ont tranché en faveur du collège unique. En France, il nous a fallu trente ans pour mener à bien ces réformes. La sélection précoce n’a réellement disparu qu’au début des années 80. Certains pays en Europe s’y sont refusés : l’Allemagne, l’Autriche. Mais leur classement scolaire international n’est pas brillant.

Les résultats français ne sont pas idylliques.

Je ne nie pas les faiblesses de notre système. Il est trop inégal. Trop d’élèves en difficulté et d’étudiants en échec à l’université. Mais, au nom de ces problèmes réels, on ne peut pas disqualifier ce qui a été fait. La démocratisation de l’école doit être poursuivie. Un nouvel élan est d’autant plus nécessaire qu’en France, la sélection se maintient sous des formes déguisées : classes de niveaux, jeux d’options, fortes inégalités entre collèges...

Qui sont les adversaires de la démocratisation ?

Beaucoup d’élitistes pensent qu’il est contre-productif d’essayer de faire suivre les mêmes enseignements à tous les enfants jusqu’à 16 ans. Le collège pour tous conduit, selon eux, inéluctablement, à une perte de qualité des enseignements, à une dramatique baisse de niveau, tout cela débouchant sur une crise de civilisation. C’est une vision nostalgique de l’école sélective d’autrefois, très en vogue chez les souverainistes par exemple. L’école de la République fiche le camp et, avec elle, la nation française. Les malthusiens, eux, pensent que l’économie n’est pas au rendez-vous des efforts réalisés par le système éducatif. Trop de chômage. On formerait des gens pour rien, les diplômes seraient en monnaie de singe. Élitistes et malthusiens ne partagent pas les mêmes idées, mais une même conclusion : il est temps d’arrêter les frais de la démocratisation. Ces visions sont en totale contradiction avec les faits et c’est pourquoi je les dénonce dans ce livre.

Autre courant de pensée, la vision libérale, très en vogue ?

Les libéraux veulent améliorer le système scolaire en créant émulation et concurrence entre établissements. Ils parient sur la liberté de choix des parents, la suppression de la carte scolaire, l’allocation des moyens aux plus méritants. Cela a déjà été expérimenté, notamment en Grande-Bretagne. Sans résultats très probants. Par contre, cela exacerbe les rivalités, la violence interindividuelle.

Vous analysez les relations entre l’éducation et l’économie. Mais l’école doit-elle être au service du marché du travail ?

Je ne sous-estime pas les enjeux culturels. J’observe que l’économie se régénère et se transforme toujours en faveur des personnes les plus qualifiées, les plus diplômées. Aucun doute : nous devons former mieux et davantage de jeunes au sein de chaque génération. Surtout, pas de marche arrière. Des générations d’enfants de paysans, de pêcheurs, d’ouvriers ont eu un destin social sans rapport avec celui qui aurait été le leur s’il n’y avait pas eu l’avènement du collège unique. On ne peut pas l’oublier, au nom d’un âge d’or de l’école qui n’a, de fait, jamais existé.

Entretien paru dans le journal Ouest-France, 13/09/2007, repris avec l’aimable autorisation de l’auteur. Photo par Claude Stephan, reprise avec son aimable autorisation.

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Date de première rédaction le 2 octobre 2007.
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