Entretien

« La France gagnerait à s’inspirer des politiques de prise en charge des sans-abri des autres pays européens », entretien avec Julien Damon

Les politiques de prise en charge des sans-abri en France sont développées mais peu cohérentes. Julien Damon, professeur à Sciences po Paris, auteur du rapport « Les politiques de prise en charge des sans-abri dans l’Union européenne », analyse la situation.

Publié le 9 avril 2009

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Julien Damon, professeur à Sciences po Paris, vient de remettre à Christine Boutin, ministre du logement, un rapport (pdf) sur « Les politiques de prise en charge des sans-abri dans l’Union européenne ».

Quel état des lieux peut-on brosser aujourd’hui du phénomène des sans-abri en Europe ?

Tout d’abord, je veux préciser qu’on ne peut pas comparer terme à terme les pays, dire « il y a en plus ici ou là » : les méthodes de comptabilisation ne sont pas les mêmes, tout comme les définitions. Les informations dont on dispose, qui s’améliorent considérablement dans nombre de pays, ne sont pas systématiquement comparables. Tout au plus peut-on dire que certains pays ou territoires mesurent mieux le phénomène, comme le Royaume-Uni, les pays scandinaves ou encore certaines régions allemandes.

Quels sont ceux qui mènent les politiques les plus adaptées ?

Il est bien difficile de dire avec une parfaite exactitude qui s’en sort le mieux. Tous les Etats ont des difficultés dans le domaine des politiques d’aide aux sans-abri. Mais disons que l’Irlande (essentiellement Dublin), la Grande-Bretagne (Londres), les grandes villes des Pays-Bas, le Danemark et la Finlande se distinguent par des politiques claires, avec des objectifs précis (de réduction, voire d’extinction du phénomène), l’ensemble des services mis en œuvre y est clairement identifié (il existe un « répertoire des services »).

Et la France dans tout ça ?

Nous nous distinguons d’abord en terme d’appréciation du phénomène. Nous sommes le pays où l’on considère le plus que le phénomène SDF est lié à des éléments structurels, d’emploi ou de logement. Notre niveau de dépenses est élevé et notre niveau de coercition est plus faible.

Il existe un consensus en France sur le fait qu’il faut agir. Mais chaque hiver - quand le phénomène s’accentue - des polémiques ressurgissent sur les modes de prise en charge. La France se traduit à la fois par un fort niveau de centralisation et une complexité des dispositifs. Aucune ville en Europe ne dispose comme en France de plusieurs services à la fois d’accueil des SDF. Aucun pays n’a une palette aussi variée.

Que peut-on faire pour améliorer les choses ?

On peut rationaliser tout ça, ce qui ne veut pas dire rationner, mais rendre les politiques plus lisibles, simplifiées. Il faut ensuite un vrai débat démocratique à partir d’indicateurs précis, et se fixer des objectifs. Au passage, je suis pour qu’on affiche très clairement combien de personnes meurent chaque année dans la rue, et ce à l’échelle européenne. Oui, il faut mettre fin au sans-abrisme de longue durée, et on peut le faire. Ce n’est pas irréaliste. C’est ce que se fixent des pays aussi différents que le Danemark, la Finlande ou la Grande-Bretagne. C’est également un objectif souhaité par le Parlement européen dans une communication votée à la très grande majorité. On peut réfléchir, pour la France, à une décentralisation de ce type de politique. Enfin, il faudrait créer une agence européenne pour traiter ce problème dans une dimension plus large.

L’hiver dernier, une polémique s’est développée : doit-on ou non contraindre les SDF à être hébergés ?

Arrêtons d’abord l’hypocrisie : en pratique, cette coercition existe. Les pompiers ne laisseront pas dehors un SDF par une température de – 10°. On ne peut pas laisser des gens dormir dehors en cas de grand froid. Mais une partie des morts sont dues à des agressions. Parfois, si on doit employer des moyens plus « volontaristes », il faut le faire.


Quel peut être l’impact de la récession économique ?

Pour l’heure, on n’en sait rien. Ce n’est pas mesurable. Mais les pays qui ont des systèmes d’information performants, comme l’Irlande, notent déjà une hausse du nombre de sans-abri. Il faut s’y attendre en France, ne serait-ce qu’en raison du fait que la crise est mondiale, et que la question des sans-abri est éminemment européenne. Dans les pays les plus affectés par la crise – et c’est déjà le cas visible en Irlande, mais aussi en République tchèque – de nombreuses personnes vont se retrouver sans-abri, dans un espace européen ouvert.

Propos recueillis par Louis Maurin.

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Date de première rédaction le 9 avril 2009.
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