Entretien

« Il faut un collège unique offrant un fort soutien individuel », entretien avec Nathalie Mons

Les systèmes éducatifs qui obtiennent les meilleures performances au plan international conjuguent des filières uniques et un fort soutien individuel. Entretien avec Nathalie Mons, maître de conférences à l’université de Grenoble II. Article extrait du magazine Alternatives Economiques.

Publié le 19 juin 2008

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Comment utiliser les enquêtes internationales d’évaluation des systèmes éducatifs ?

Comparer des systèmes qui ne fonctionnent pas de la même façon, avec des cultures différentes et des populations différentes est très difficile. Par exemple, tous les pays n’accordent pas la même importance à ce type d’enquêtes, tous les élèves ne sont pas motivés de la même façon. Au départ, ces enquêtes n’ont pas été conçues uniquement pour produire les classements sur lesquels on se focalise aujourd’hui de façon exagérée. Les chercheurs à l’origine de ces enquêtes visaient à constituer une sorte de « grand laboratoire mondial de l’éducation ». Ils voulaient comparer les différents facteurs qui influencent les résultats, comme le milieu familial ou les caractéristiques des systèmes éducatifs (taille des classes, dépenses d’éducation, etc.).

Il ne faut pas oublier une chose primordiale : si l’on prenait tous les jeunes de ces enquêtes et qu’on les mettait dans un même ensemble, 90 % des écarts de l’enquête Pisa s’expliqueraient par des différences liées aux inégalités internes aux pays et 10 % par des différences entre les pays. Bref, c’est autant les écarts entre les pays que les inégalités au sein des pays qui importent.

Les deux phénomènes sont-ils liés ?

Oui, les résultats font désormais apparaître clairement qu’on ne peut obtenir un niveau moyen élevé dans un contexte de fortes inégalités. Les pays qui affichent les meilleures moyennes disposent, certes, d’une élite scolaire importante, mais ils ont également moins d’élèves en difficulté. On ne peut pas fonder une politique éducative de qualité exclusivement sur l’élitisme.

Que peut-on dire de la performance française ?

Une remarque d’abord sur l’enquête Pisa, la plus utilisée. Elle est réalisée pour des jeunes de l’âge de 15 ans. Or, notre pays utilise beaucoup le redoublement, contrairement à la plupart des autres pays. Du coup, 60 % de l’échantillon se trouve en classe de seconde, une poignée en première, et près de 40 % en troisième, voire dans les classes inférieures. Inévitablement, cela pèse sur le niveau, puisque le redoublement consiste à refaire le même programme... Par ailleurs, dans cette enquête, on demande aux élèves d’exprimer un point de vue, une compétence très peu requise par le système scolaire français.

Cela dit, les résultats de notre pays sont plutôt moyens. Ils traduisent la logique d’un système que je qualifie d’« intégration uniforme » : un tronc commun assez long, beaucoup de redoublements, un niveau d’échec assez élevé et un faible volume horaire consacré aux enseignements individualisés. Quand ils existent, ceux-ci sont conçus comme un enseignement de dernière chance pour l’élève. Bref, c’est une école unique, mais sans qu’aient été dégagés les moyens nécessaires pour réaliser cette unité. A l’inverse de ce qu’ont fait d’autres pays, notamment au nord de l’Europe. Au final, notre système s’accompagne d’un nombre important d’élèves en grande difficulté, associé à une élite relativement peu développée. Un résultat à mettre en lien avec l’impact important des inégalités sociales en France.

Sur ces bases et pour reprendre le sous-titre de votre livre, « la France fait-elle les bons choix » ?

La clé de la réussite - quand on se place au niveau de la comparaison internationale -, c’est d’abord des parcours uniques et des objectifs pédagogiques uniques, au sein de la scolarité obligatoire. Cela veut dire : pas de redoublements ni de classes de niveau, ni de filières précoces. Avec, en parallèle, un soutien fort aux individus : pour faire en sorte que les plus faibles ne décrochent pas, mais aussi pour permettre aux plus forts d’aller de l’avant. Du point de vue de l’organisation du système, c’est une certaine dose d’autonomie au niveau local, mais pas n’importe laquelle, avec des garde-fous, des règles imposées par l’Etat central. La Finlande, c’est vraiment l’école du zéro mépris, où les individus sont réellement pris en compte, où la notation n’est pas nécessairement une sanction...

On remet aujourd’hui en cause le collège unique alors qu’on ne lui a jamais donné les moyens de ses ambitions. Si l’apprentissage junior a été finalement abandonné, les élèves sont invités à choisir des options de plus en plus tôt, aujourd’hui en troisième, au nom du respect de leurs « goûts ». Tout cela va dans le sens inverse de ce qu’il faudrait faire. Au primaire, avec la suppression des heures le samedi matin - heures qui seront consacrées au soutien des élèves en difficulté -, on va une fois de plus faire de l’enseignement individualisé cantonné à la remédiation. C’est une béquille qui ne suffira pas si le système éducatif n’évolue pas dans son ensemble.

On a certes évité le pire, notamment une libéralisation comme l’avait mise en œuvre Margaret Thatcher au Royaume-Uni, mais nous restons en revanche enfermés dans un modèle conservateur. Le besoin est toujours présent d’une réforme globale qui préserverait notamment l’unité du collège tout en introduisant une part d’enseignement en petits groupes, pour les faibles mais aussi pour les forts. Il faudrait pour cela que la volonté politique soit au rendez-vous et laisser du temps au temps ! On n’améliore pas les résultats d’un système scolaire en quelques années.

Propos recueillis par Louis Maurin.

Nathalie Mons est auteure de « Les nouvelles politiques éducatives. La France a-t-elle fait les bons choix ? », éd. PUF, novembre 2007. Cet entretien est paru dans le mensuel Alternatives Economiques, n° 265, janvier 2008.

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Date de première rédaction le 19 juin 2008.
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