Analyse

Combien coûtent les niches fiscales ?

Les « niches fiscales » font perdre des milliards d’euros de recettes fiscales au profit, le plus souvent, des contribuables les plus aisés. L’Observatoire des inégalités en fait une revue de détail, pour mieux comprendre le débat public.

Publié le 18 septembre 2008

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« Les mille premiers bénéficiaires, par ordre décroissant, des niches fiscales, sont des contribuables qui, par le truchement des investissements outre-mer, réussissent à faire baisser de plus de moitié leur impôt sur le revenu et obtiennent une réduction moyenne d’impôt de 300 000 euros » : comme l’indique le député UMP Charles de Courson [1], membre de la mission d’information sur les niches fiscales de l’Assemblée, celles-ci remettent en cause le principe même d’équité devant l’impôt. Les 100 contribuables qui gagnent le plus obtiennent une diminution d’impôt supérieure à un million d’euros (voir notre tableau ci-desssous).

Les niches fiscales entraînent un manque à gagner considérable pour la collectivité. Les nombreuses exonérations, réductions et autres crédits d’impôt représenteraient en effet chaque année une perte de 39 milliards d’euros de recettes fiscales pour le seul impôt sur le revenu [2]. La mission d’information sur les niches fiscales, qui a remis son rapport le 5 juin 2008 (lire le rapport), évalue le manque à gagner total pour l’Etat à 73 milliards d’euros, soit 27 % de l’ensemble des recettes fiscales.

Ces avantages fiscaux sont censés inciter à effectuer certaines dépenses (logement, économies d’énergie, emplois domestiques) ou à modifier les comportements (heures supplémentaires, retour à l’emploi). La non imposition de certaines prestations allège aussi l’impôt des catégories moyennes de revenus.

Une bonne partie des niches ont une efficacité douteuse, compte-tenu de leur coût. A elles seules, les exonérations sur l’assurance vie coûtent l’équivalent de la moitié du budget du ministère de la justice. Il s’agit en réalité de mécanismes qui ont surtout pour fonction de réduire l’impôt sans afficher de baisse générale. Ces réductions constituent le plus souvent une aubaine pour des ménages aisés qui, de toutes façons, auraient réalisé les dépenses envisagées ou ne modifient pas sensiblement leurs comportements.

Comment réduire les niches ?

La suppression des niches est une tâche difficile. Parce que leur impact économique n’est pas nul, mais surtout parce que, comme aime à le rappeler Gilles Carrez, rapporteur du budget à l’Assemblée nationale, « dans chaque niche, il y a un chien qui mord. » Le plafonnement des avantages limiterait les pertes de recettes fiscales. Un tel dispositif avait été proposé en 2005, mais il fut censuré par le Conseil constitutionnel car le mécanisme juridique était incompréhensible.

Un récent rapport remis par le gouvernement à l’Assemblée nationale propose de plafonner les dispositifs qui aujourd’hui ne le sont pas, notamment les investissements outre-mer et la restauration du patrimoine et des monuments historiques. Bien que leur montant global soit faible (2 % du total des niches), ces niches rapportent beaucoup à certains contribuables : en moyenne 14 286 euros aux 3 500 bénéficiaires du dispositif Malraux et 7 931 euros aux 29 000 bénéficiaires des dispositifs pour l’outre-mer. Le projet de plafonnement de ces niches les plus contestées pourrait permettre de récupérer 168 millions d’euros, au mieux. Le projet est donc maigre. Ceci est à mettre en parallèle avec le coût du bouclier fiscal, estimé à 845 millions d’euros en 2008.

La mission d’information parlementaire considère que plafonner les niches qui ne le sont pas actuellement demeure insuffisant. Elle propose d’instaurer un maximum global de réduction fixe : l’avantage diminue donc en proportion du revenu quand ce dernier augmente. Un dispositif de ce type, proposé en 2006, avait été invalidé par le Conseil constitutionnel du fait de sa complexité.

Le parlement n’évalue pas l’effet du plafonnement global, qui dépendrait du niveau du plafond fixé. En l’associant à un véritable toilettage des niches dont l’effet économique est le plus faible, plusieurs milliards d’euros pourraient être gagnés. Encore faudrait-il pour cela une volonté politique forte. L’absence d’échéances électorales majeures d’ici 4 ans constitue à ce titre une véritable « fenêtre de tir ».

On peut imaginer de transformer les gains ainsi obtenus en prestations fixes à caractère universel. Il s’agirait alors de répartir de façon plus équitable les mêmes montants. Comme la création d’un chèque d’un montant déterminé pour l’accès à certains services par le biais d’entreprises ou d’associations employeurs directs. Les dépenses réalisées au titre du quotient familial (voir encadré ci-dessous) pourraient être distribuées de façon semblable pour toutes les familles. Cela reviendrait à transformer le mécanisme actuel en allocations familiales, ce qui permettrait, par exemple, de proposer une allocation dès le premier enfant.

Quelques exemples de niches fiscales

MesureCoût en eurosBénéficiaires*
Exonération dans le domaine de l’assurance-vie 3,2 milliards Les assurés qui récupèrent le capital économisé au bout de 8 ans ou leurs héritiers qui ne paient pas d’impôt sur les intérêts et les plus-values
Dépenses d’équipement d’habitat durable 2,4 milliards Ménages qui investissent dans leur logement pour faire des économies d’énergie, notamment les chaudières, peuvent déduire les frais de leur impôt
Emploi d’un salarié à domicile 2,3 milliards Les employeurs des salariés à domicile ont droit à une réduction d’impôt
Abattement sur les dividendes 1,8 milliard Les revenus distribués par les sociétés aux actionnaires ou associés sont réduites de 40% en montant déclaré
Exonérations de l’épargne salariale 1,7 milliard La moitié des salariés qui ont une épargne salariale proposée par leur entreprise ne paient pas d’impôt sur ces quasi-salaires
Exonérations des plans d’épargne en action 1,3 milliard Les détenteurs de comptes en bourse bloqués pendant 5 ans ne paient pas d’impôt sur les dividendes et les plus-values
Dispositifs logement (Malraux, Robien, Besson, Borloo, Pons) 865
millions
Les propriétaires de logements dans des quartiers historiques et en outre-mer qui les louent ont droit à des déductions de leurs dépenses ou sur les loyers perçus
Réduction d’impôt sur les dons 820
millions
Les ménages imposables peuvent déduire de leur impôt 66% des dons (voire 75 %) qu’ils ont faits à des associations
Source : Projet de loi de finances 2008, ministère du Budget. Voies et moyens tome II. Nous n’avons retenu que les principales. Rappel : ensemble du budget 2008 du ministère de la Justice = 6,5 milliards d’euros.

* A chaque fois, le bénéfice est proportionnel à la dépense engagée...

Quelques avantages fiscaux à portée plus large

MesureCoût en eurosBénéficiaires
Prime pour l’emploi 4,2 milliards Les salariés qui gagnent entre 0,3 et 1,4 fois le Smic ont droit à un impôt négatif
Exonérations des prestations familiales et sociales 3,1 milliards Familles, allocataires des minima sociaux, handicapés, malades de longue durée, accidentés du travail
Abattement sur les pensions 2,6 milliards Les retraites et pensions alimentaires sont réduites de 10% pour le calcul de l’impôt
Exonération des livrets d’épargne 1,8 milliard Sont exonérés d’impôt les intérêts des épargnants du livret A, livret jeune, livret d’épargne populaire, épargne logement (CEL, PEL)
Source : Projet de loi de finances 2008, ministère du Budget. Voies et moyens tome II.

Niches : ceux qui touchent le gros lot

Nombre de contribuablesGain par contribuableCoût pour le budget de l’Etat
100 000 contribuables qui réduisent le plus leur impôt 15 240 € 1,5 milliard d’€
10 000 contribuables qui réduisent le plus leur impôt 67 000 € 670 millions d’€
1 000 contribuables qui réduisent le plus leur impôt 296 000 € 296 millions d’€
100 contribuables qui réduisent le plus leur impôt 1,1 million d’€ 110 millions d’€
Source : Rapport de la Commission des finances sur les niches fiscales, 2008

Le quotient familial et conjugal : une niche dissimulée

Malgré son coût important (37 milliards d’euros en 2005), le système du quotient familial et conjugal est depuis quelques années exclu de la catégorie des « niches fiscales », car il est considéré comme le mode de calcul normal de l’impôt sur le revenu. Ce mécanisme est le plus souvent oublié des réformes fiscales [3]. Pourtant, il permet aux ménages les plus aisés de bénéficier de ristournes d’impôt beaucoup plus importantes que les ménages modestes, à taille de famille équivalente.

Deux raisons à cela. D’une part, le quotient est un système de parts proportionnelles à l’ensemble du revenu. La baisse est donc fonction du niveau du revenu considéré, alors que les charges de familles ne sont pas forcément tout à fait proportionnelles aux ressources [4]. D’autre part, près de la moitié des foyers ne sont pas imposables : l’avantage fiscal ne bénéficie qu’à la moitié des foyers les plus aisés.

Le système de quotient est défendu au nom de l’égalité face à l’impôt entre les couples et familles de même niveau de vie. Pour obtenir l’égalité entre les contribuables aisés, avec ou sans conjoint et enfants, il faut procurer aux familles aisées des réductions plus importantes, car leur train de vie est supérieur, ce qui est logique.

La conséquence de ce système est double. Le quotient conjugal (la part du conjoint ou de la personne pacsée) réduit fortement l’impôt des couples aisés dont l’un des membres (le plus souvent la femme) ne travaille pas, avec une réduction d’impôt d’autant plus élevée que le revenu du conjoint qui travaille est élevé. La collectivité participe ainsi au financement de l’inactivité des conjoints aisés.

Concernant les enfants, le quotient familial assure une réduction d’impôt proportionnelle (avec un plafond) au niveau de vie de la famille. Ce faisant, la République reconnaît que l’enfant de famille favorisée coûte plus cher (son logement, ses études, etc.) et participe donc en proportion à son entretien (au contraire des allocations familiales identiques pour tous). Ce qui est vrai en pratique, mais n’est pas forcément juste du point de vue des principes. La France est d’ailleurs le seul pays riche à maintenir un système aussi inéquitable. Au nom de l’égalité entre les ménages aisés (dite « horizontale »), on admet des inégalités entre ménages dans leur ensemble.

Coût fiscal du quotient familial en 2005

QuotientCoût en euros Bénéficiaires
Couples 23,9 milliards Les couples additionnent leurs revenus et divisent par deux parts, ce qui favorise les foyers aisés dont l’un des deux membres ne travaille pas ou a des faibles revenus
Demi-part par enfant 8,8 milliards Chaque enfant à charge accroît le quotient d’une demi-part, ainsi un couple avec un enfant divise son revenu par 2,5 pour calculer le montant imposable
Demi-parts supplémentaires 4,3 milliards A partir du 3ème enfant, les familles ont droit à une demi-part supplémentaire par enfant, des cas particuliers ouvrent aussi droit à des demi-parts supplémentaires comme l’invalidité ou les parents isolés
Total 37 milliards
Source : DGI-Cour des comptes, rapport Sécurité sociale 2007

Pour aller plus loin :

 Le rapport de la cour des comptes sur les aides à la famille (lire le document).

 Le rapport de la mission parlementaire d’information sur les niches fiscales : (lire le document).


[1Le Monde du 9 mai 2008

[2D’après le rapport remis par le gouvernement à la Commission des finances de l’Assemblée nationale

[3Sauf en 1998 où le plafond avait été réduit par le gouvernement de Lionel Jospin, limitant l’avantage procuré

[4Depuis 1982, l’avantage procuré par le quotient familial est plafonné, pour un couple en 2007 ce plafond est de 2 227 euros pour chaque demi-part supplémentaire.

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Date de première rédaction le 18 septembre 2008.
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