Baisses d’impôt : un gâchis de 450 milliards d’euros pour la France
En dix années, les politiques de baisse d’impôts ont fait perdre 450 milliards d’euros à la collectivité. Un immense gaspillage qui a contribué à la hausse de la dette publique. Le point de vue de Vincent Gath-Drezet, expert en fiscalité de l’association Attac.
Publié le 28 août 2025
https://www.inegalites.fr/Baisses-d-impot-un-gachis-de-450-milliards-d-euros-pour-la-France - Reproduction interditeComme le souligne le Premier ministre François Bayrou, l’argent manque cruellement dans les caisses de l’État. Fin 2024, notre dette s’élevait à 3 305 milliards d’euros et le déficit public à 169 milliards d’euros. S’en étonner constitue pourtant une énorme hypocrisie : depuis des années, les gouvernements qui se sont succédé ont gaspillé l’argent public en diminuant les impôts et les prélèvements sociaux. Ils ont fait fondre les recettes sans que ces mesures aient d’effet important sur l’activité économique. Et notre pays se retrouve sans ressource pour financer l’école, la santé ou la sécurité : des services publics qui jouent un rôle essentiel dans nos vies de tous les jours.
Au sein de l’association Attac, nous avons tenté de chiffrer l’addition. Résultat, une perte sèche de 450 milliards, entre 2014, sous la présidence de François Hollande, et 2023, avec celle d’Emmanuel Macron [1]. Nous avons évalué l’impact de toutes les baisses et hausses de prélèvements.
Pour faire ce travail, nous ne nous sommes pas cantonnés à additionner la perte sèche pour la collectivité. Nous avons aussi pris en compte les effets provoqués par les baisses de prélèvements. Prenons l’exemple de la taxe d’habitation sur la résidence principale, taxe que versaient les propriétaires et locataires en fonction de la valeur de leur logement. Sa suppression a élevé les revenus des ménages qui la payaient, ce qui a pu avoir un effet sur la consommation et, du coup, entraîner une augmentation du rendement de la TVA [2], donc de nouvelles recettes pour l’État : ce qu’on appelle un « retour d’impôt ». Sur la base de rapports officiels (comme ceux de France Stratégie, organisme rattaché au Premier ministre), nous avons également analysé combien d’emplois ont été créés ou sauvegardés par de telles mesures, pour estimer ce qu’ils ont pu engendrer en termes de recettes publiques.
Au final, la différence entre, d’un côté le coût brut des baisses et les recettes générées par les mesures prises (nos « retours d’impôt ») et, de l’autre côté, les résultats en termes d’emplois permet de dégager un solde net, un coût budgétaire net. Nous l’évaluons à 450 milliards d’euros si l’on comptabilise les mesures prises depuis 2014. Cette estimation est confortée par celle de la Cour des comptes qui estime que les baisses d’impôts qui ont été progressivement mises en œuvre ont provoqué un manque à gagner de 62 milliards d’euros sur la seule année 2024 (soit l’équivalent du budget de l’Éducation nationale hors enseignement supérieur). Si ces mesures n’avaient pas été mises en œuvre, nous avons calculé que la dette publique s’élèverait à 93,8 % du PIB fin 2023 au lieu de près de 110 %.
Pour comprendre l’impact des diminutions d’impôts, prenons deux exemples. La suppression de la taxe d’habitation s’est étalée sur plusieurs années. Pour un manque à gagner qui est passé, selon nos estimations, de 2,9 milliards d’euros en 2018 à 18 milliards d’euros en 2023. Sur l’ensemble de la période, pas moins de 69,8 milliards d’euros ont manqué aux recettes des collectivités locales bénéficiaires de cet impôt. Concrètement, ces sommes auraient pu servir à entretenir les réseaux routiers, à créer des crèches, etc.
Il est vrai que les contribuables qui payaient cet impôt ont réalisé des économies du fait de sa suppression. On peut légitimement penser que, dans leur majorité, ces économies ont été consommées et non épargnées. Cette consommation a donc débouché sur des recettes, via la TVA. Notre rapport en tient compte. Au final, le manque à gagner net cumulé sur la période 2018 à 2023 s’élève ainsi à 64,2 milliards d’euros nets et non à 69,8 milliards de perte brute.
De son côté, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) taxait le patrimoine immobilier (résidence principale, secondaire, immeubles de placement), financier (valeur des actions et des obligations) et mobilier (yachts, voiture de luxe, etc.). Il a été transformé en un impôt sur la fortune immobilière (IFI), lequel n’impose plus que le patrimoine immobilier. Il en résulte un montant collecté au titre de l’IFI très inférieur à celui de l’ISF. Si ce dernier avait été maintenu, il aurait rapporté entre 3,2 et 4,85 milliards d’euros net de plus que l’IFI chaque année entre 2018 et 2023. Sur l’ensemble de la période, plus de 24 milliards d’euros ont manqué à l’État.
La même logique a été appliquée aux autres mesures. Par exemple aux baisses de cotisations sociales. Même si elles ont été particulièrement coûteuses, elles ont tout de même permis de créer des emplois. Nous en avons tenu compte en déduisant du coût brut des baisses de cotisations sociales les recettes que ces emplois ont procurées.
Mesurer l’impact des baisses de prélèvements dans la hausse de la dette publique est nécessaire au débat. Face à l’austérité budgétaire, d’autres choix sont possibles et souhaitables. Sans tomber dans la facilité consistant à dire que taxer davantage les ultra-riches serait l’unique solution, notre rapport montre qu’un rééquilibrage global du système fiscal est une nécessité impérieuse. Il s’agit non seulement de dégager des recettes pour financer l’action publique et la transition écologique, mais aussi de réduire les inégalités. Contrairement au sens commun selon lequel les Français seraient par principe opposés à toute taxation, les mesures mises en œuvre au service de l’intérêt général et répondant à des besoins largement reconnus pourraient renforcer le consentement à l’impôt, pilier de toute démocratie digne de ce nom.
La bataille de l’impôt qui s’organise confronte deux grandes approches, chacune se déclinant en propositions plus ou moins modérées ou radicales. D’un côté, celle des partisans des politiques néolibérales [3] et des conservateurs, qui veulent en finir avec ce qu’ils ont historiquement toujours combattu : les impôts directs [4]. Les impôts indirects ne sont pas versés par un tiers. Ainsi, la TVA payée par le consommateur est versée à l’État par les entreprises qui vendent des biens et des services.]] et la progressivité [5] du système fiscal. De l’autre, celle des progressistes, consistant à financer un « modèle social » par un système fiscal plus progressif et des recettes sociales équitablement réparties. Pour mieux vivre ensemble, la seconde voie s’impose.
Vincent Gath-Drezet
Secrétaire général d’Attac, spécialiste de la fiscalité. Ancien secrétaire général de Solidaires Finances Publiques
Photo / Sara Kurfeß sur Unsplash
[1] Voir La dette de l’injustice fiscale, Attac et CADTM, mars 2025.
[2] La TVA est le premier impôt en France, il est intégré au prix des biens et services que nous consommons quotidiennement.
[3] Politiques néolibérales : qui mettent en avant le rôle du marché et de l’initiative individuelle pour organiser l’économie et veulent réduire la place de l’État.
[4] Impôts directs : ceux qu’on paie directement au Trésor public (impôts sur les revenus ou le patrimoine).
[5] Progressivité du système fiscal : système dans lequel le taux d’imposition augmente avec la valeur de ce qui est taxé. Lire notre article « L’impôt sur le revenu : comment réduit-il les inégalités ? ».
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