Point de vue

Réduire les inégalités : pourquoi nous pouvons y croire

Nous avons de bonnes raisons d’espérer : on peut agir pour réduire les inégalités. Pour cela, il faut commencer par refuser les discours catastrophistes qui alimentent le fatalisme. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

Publié le 14 septembre 2022

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Négligées pendant des années, les inégalités sont à la mode. Nombreux sont ceux qui se lancent sur un marché qui rapporte : présence médiatique, vente d’ouvrages, etc. On se focalise sur l’« enrichissement des ultrariches » tandis que « les classes moyennes disparaissent » ou que « la pauvre France périphérique se meurt » (inversement, que « les banlieues sont à l’abandon »).

L’Observatoire des inégalités ne surfe pas sur ces vagues, tant pis si nous n’explosons pas notre compteur médiatique. Nous préférons vous informer de ce que nous observons, en essayant de faire la part des choses entre ce qui va mieux et ce qui va moins bien. Nous préférons construire un outil d’information durable, à partir de données factuelles. C’est ce qui explique sans doute l’attachement de nos nombreux soutiens à notre action de fond, sur le temps long.

Nous avons pour rôle de mettre d’abord l’accent là où cela fait mal, là où il faudrait agir, et avec urgence. L’enrichissement des classes aisées, la domination scolaire des enfants de diplômés et la précarisation de l’emploi nous indignent. Les bas salaires et les conditions de travail imposées aux flexibles par les plus favorisés, alimentent des tensions sociales grandissantes. Tout cela nourrit la montée de l’extrême droite.

Sans honte, un nombre croissant de commentateurs utilisent les immigrés ou les soi-disant « assistés » comme boucs émissaires de nos difficultés collectives. Cette lâcheté est une insulte aux valeurs de la France. Elle devrait entraîner un mouvement d’indignation de la part de tous les républicains, de gauche comme de droite. Trop d’acteurs politiques et de journalistes se taisent et s’en font les complices. Nous ne nous cachons pas pour dénoncer ce phénomène. De la même manière, nous avons de bonnes raisons de nous insurger devant l’hypocrisie de la société des « premiers de cordées », de ceux qui sont nés dans le bon milieu social et qui nous disent que tout va bien.

La violence des inégalités, l’hypocrisie des gagnants et le mépris social des classes dominantes nous font parfois sortir de nos gonds. C’est compréhensible tant l’injustice blesse nos valeurs. Mais nous devons aussi présenter les progrès réalisés dans notre pays : qu’il s’agisse de la diminution des inégalités entre femmes et hommes au travail, de la performance de notre modèle social en matière de réduction de la pauvreté, de l’amélioration de l’accès aux soins, de l’accès aux nouvelles technologies, etc.

Un certain nombre de nos concitoyens ont du mal à penser que l’on puisse à la fois dénoncer les inégalités et reconnaître ce qui va mieux. À imaginer autrement le débat qu’en noir ou en blanc, et nous demandent de « choisir notre camp ». Mais présenter les améliorations que nous observons ne revient pas à verser dans un optimisme béat. Notre parole est indépendante et nous continuerons à saluer les initiatives positives, de quelque bord politique qu’elles viennent. Par exemple, la nette augmentation du minimum vieillesse et de l’allocation adulte handicapé ces dernières années sont de bonnes choses.

Dans le flot médiatique, amplifié par le bruit des réseaux sociaux, il est de plus en plus difficile de faire entendre ce type de discours. Le monde est fait de complexité et nous l’assumons en essayant de l’éclairer du mieux possible. Nous voulons continuer en particulier à entendre et à débattre avec tous celles et ceux qui ne partagent pas nos opinions, mais souhaitent discuter pour avancer. Ils sont nombreux.

Jouer avec le feu

Ceux qui en rajoutent jouent avec le feu. Premièrement, ils finissent par mettre à sac notre modèle social. Si le président de la République assure que l’on dépense « un pognon de dingue » pour les pauvres [1], c’est aussi parce qu’on laisse entendre que la pauvreté explose en même temps que les dépenses publiques. Si l’on dépense autant d’argent pour la santé alors que la France n’est faite que de déserts médicaux, si l’école « amplifie les inégalités » [2], pourquoi ne pas tout livrer au privé ? Nous ne cesserons pas de rappeler que le modèle social français est l’un des plus performants. Que la France est l’un des pays où l’on vit le mieux au monde.

Deuxièmement, ceux qui dramatisent à l’excès nourrissent le fatalisme : si nous allons dans le mur quoi qu’on fasse, rien ne sert d’agir. Exactement comme avec le changement climatique ou la faim dans le monde. Jouer sur les angoisses d’une fin du monde proche fait de l’audience, mais ne délivre pas, cela paralyse. Une partie de ceux qui en jouent n’en sont guère les victimes. Âgés et bien installés, ils se rassurent à l’idée de quitter un monde à l’abandon, selon eux, et se moquent au fond de son avenir.

Troisièmement, ils envoient un message clair aux plus jeunes : « fermez-la ! » Si notre pays ploie sous la pauvreté et le chômage, contentez-vous de ce que vous avez. Des millions d’autres jeunes sont prêts à prendre votre place si vous protestez. C’est l’inverse qu’il faut faire, et c’est pour cela que c’est autour de l’idée d’« informer sans enfermer » que nous avons développé notre action auprès des jeunes, en particulier avec notre boite à outils pédagogique, qui connaît un grand succès dans les établissements scolaires et les centres sociaux.

Oui, nous avons de nombreuses bonnes raisons d’espérer. Il est possible d’avancer. Pour cela, il faudrait parvenir à faire trois choses. Tout d’abord, documenter sérieusement les injustices du monde contemporain, les mesurer et en comprendre les raisons. Sans critique sociale juste, il n’y a pas d’émancipation possible. C’est notre travail comme c’est celui de nombreux chercheurs – les meilleurs exemples étant sans doute les recherches réalisées par l’équipe de l’économiste Thomas Piketty dans le domaine des inégalités de revenus – ou de la presse, comme le montre l’exemple d’Alternatives Économiques, parmi d’autres.

Ensuite, déterminer les moyens concrets pour aller vers un monde plus juste, en avançant des politiques de réduction des inégalités. Les pistes sont multiples et notre pays, l’un des plus riches au monde, a les moyens économiques pour cela. Chaque année, l’État gâche plusieurs dizaines de milliards d’euros en baisses d’impôts inutiles qui auraient pu servir aux écoles, aux hôpitaux, au logement, aux transports ou à augmenter les minima sociaux. La seule suppression de la taxe d’habitation coûte 20 milliards chaque année à la collectivité. Ce n’est pas le rôle d’un observatoire de définir un programme politique, mais, en nous exprimant individuellement (comme par exemple dans notre proposition de « revenu minimum unique »), ou par le biais d’auteurs d’opinions diverses, nous ne résistons pas à la tentation de présenter quelques voies possibles.

Enfin, il faut inviter régulièrement chaque citoyen à s’engager dans la lutte pour un monde plus juste, dans sa vie quotidienne ou dans des associations, des syndicats ou des partis politiques, en fonction de ses moyens. Il est hypocrite de s’indigner en permanence sans s’engager. Les possibilités ne manquent pas.

Louis Maurin

Photo / © Dids


[1Dans une vidéo de juin 2018 diffusée par l’Élysée sur Twitter, le président de la République déclarait « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux. Les gens, ils sont quand même pauvres ».

[2Comme le titre un rapport du Cnesco, « Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? », ministère de l’Éducation nationale, 2016.

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Date de première rédaction le 27 novembre 2019.
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