Proposition

Combler les failles de notre système de protection sociale

Pour renforcer la protection sociale, quelles sont les priorités ? Réduire les écarts de pensions de retraite entre femmes et hommes, abolir les inégalités scandaleuses de protection des migrants et instaurer un minimum social décent pour tous, ce qui inclut évidemment les jeunes. Les propositions de Jean-Claude Barbier, sociologue spécialiste de la protection sociale.

Publié le 16 juin 2023

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Revenus Femmes et hommes Âges Catégories sociales Niveaux de vie Pauvreté

Les Français sont tellement habitués à leur système de protection sociale (un système qui fait fonctionner ensemble l’économie, la politique et la famille), et tellement attachés à lui (comme le montrent répétitivement les enquêtes régulières du ministère des Solidarités et de la Santé [1]), qu’ils sont peu conscients de l’un des principaux effets de ce système, à savoir la réduction des inégalités.

Parmi les pays riches, les meilleures performances en matière de lutte contre la pauvreté et de maîtrise relative des inégalités sont ordonnées en fonction des qualités et performances des systèmes de protection sociale. Les États-Unis disposent du système le moins en mesure de contrer les inégalités, avec le système britannique et ceux des pays du Sud (Italie par exemple). Par opposition, les systèmes des pays scandinaves, et le français d’une manière moindre et plus récente, jouent beaucoup dans la réduction des inégalités. En outre, les Français sont peu conscients de l’influence de la protection sociale sur les inégalités, en particulier du rôle de la Sécurité sociale, son élément central, dans une société qui reste principalement composée de salariés et vraisemblablement amenée à le demeurer encore très longtemps. La protection sociale est une réponse aux demandes souvent superficiellement qualifiées de « populistes » : comme son nom l’indique, elle « protège » les plus faibles. Après les cinq ans du mandat du président Emmanuel Macron et l’échec de la plupart de ses réformes, beaucoup reste à faire dans le sens du renforcement de la protection sociale pour combattre les inégalités.

Avant de réformer notre système pour le rendre plus juste, la première chose à faire est donc d’abord de défendre ce système en en comprenant bien la force. Il s’attaque d’abord aux inégalités dites « horizontales », c’est-à-dire entre les personnes de même catégorie sociale, mais placées dans des situations individuelles différentes. Ainsi, les assurances sociales réduisent les écarts entre ménages avec et sans enfant, entre personnes malades et bien portantes, actives et retraitées, au chômage et en emploi. La protection sociale réduit aussi les inégalités verticales (entre ménages de niveaux différents de richesse). D’une part, les minima sociaux et autres prestations sous conditions de ressources soutiennent les ménages plus modestes ; d’autre part, le mode de financement généralement proportionnel au revenu fait davantage contribuer les ménages aisés. Enfin, la prise en charge sociale de biens et services gratuits (santé, dépendance, et au-delà de la protection sociale, l’éducation) accessibles à tous les ménages, homogénéise fortement les conditions de vie, plus encore que les transferts monétaires.

La protection sociale contribue de manière puissante à unifier les sociétés, même si ces dernières sont cependant de plus en plus fragmentées au XXIe siècle. La preuve de l’efficacité de la redistribution via les transferts (qui comprennent les impôts et la protection sociale) est bien illustrée par l’écart entre le taux de pauvreté avant et après transferts, un écart particulièrement élevé en France en comparaison internationale.

Il est cependant vrai aussi que les inégalités ne sont pas absentes, loin s’en faut, de la protection sociale, en matière de retraites, de santé, et de chômage. Ces inégalités sont constitutives d’une protection sociale qui se donne comme objectif initial de préserver les statuts, comme c’est le cas en France. Les éléments qui entretiennent ces inégalités sont nombreux, au sein d’un système complexe qui diversifie les services, notamment entre privé et public, par exemple dans le domaine de la santé.

La présidence d’Emmanuel Macron a fait entrer le système français dans un mouvement de réformes sans précédent, même si les plus marquantes, telles qu’annoncées à partir de 2018, n’ont finalement pas été mises en œuvre pleinement, en particulier à cause des oppositions politiques, mais aussi et surtout sans doute, de circonstances totalement imprévues liées à la pandémie de la Covid-19. Nombre d’entre elles, dans leurs effets potentiels, pourraient aggraver les inégalités.

C’est le cas de la réforme récente de l’assurance chômage dont les effets sont attendus à l’été 2023. La suppression de l’indemnisation pour des centaines de milliers de chômeurs, avec le but officiel d’augmenter les reprises d’emploi, est incohérente économiquement et scandaleuse du point de vue de la justice sociale, notamment pour ceux qui ont peu travaillé mais cotisé régulièrement. Personne n’a montré avec des études sérieuses que l’assurance chômage n’était pas économiquement viable avant la réforme. Le gouvernement a utilisé mensongèrement des études marginales qui ont laissé entendre qu’on gagnait plus quand on était indemnisé que quand on travaillait, ce qui est entièrement faux. Aujourd’hui, face à l’unanimité des syndicats, le gouvernement réintroduit son projet pour des raisons d’économies budgétaires et des raisons idéologiques : il ne veut pas paraître céder. La crise n’est pas terminée, tant s’en faut. L’indemnisation des chômeurs devrait être renforcée dans les circonstances actuelles, par exemple en réduisant la durée de cotisation nécessaire pour toucher le chômage, ou en instaurant un minimum d’indemnisation moins faible qu’aujourd’hui.

Réévaluer les minima sociaux

Les réformes à mener pour réduire les inégalités sont nombreuses. Tout d’abord, il faut renoncer une fois pour toutes à la chimère principale qui revient constamment, celle de l’allocation universelle ou du « revenu universel », jamais mise en œuvre nulle part, sauf en Alaska. Étant donné les niveaux de revenus proposés par ses promoteurs, elle ne peut apporter des revenus décents, et même pas de prétendus « filets de sécurité ».

Le temps est venu en France de réévaluer tous les minima sociaux jusqu’à un niveau décent

On pourrait au contraire appliquer en France la logique du minimum d’existence prévalant en Allemagne où les tribunaux décident d’un minimum d’allocations à valeur constitutionnelle qui ne peut pas être saisi aux familles bénéficiaires en cas de dette à rembourser. Le temps est venu en France de réévaluer tous les minima sociaux afin de les faire égaler le seuil de pauvreté. En même temps, contrairement à un enfermement dans le familialisme [2] d’antan, le temps est venu d’attribuer un droit indépendant et plein dès 18 ans à ces minima sociaux, RSA ou équivalents. Ce droit existe dans les pays scandinaves, modèle indépassé, légitime et efficace. Cela serait un grand progrès. Cette politique doit s’accompagner d’une revalorisation des prestations familiales et des allocations logement qui permettent à des millions de personnes d’échapper à la pauvreté.

Le champ de la protection sociale est immense. On ne détaillera pas la question de la réforme des retraites, mais on connaît l’inégalité majeure et persistante entre les femmes et les hommes notamment, qui caractérise ce dossier. On ne détaillera pas non plus ce qui reste à faire dans le domaine de la santé pour que toutes et tous aient accès à des soins de qualité, même si notre système de soins est l’un des meilleurs au monde.

On évoquera enfin un point rarement mentionné qui a trait à l’inégalité entre les migrants, réfugiés ou sans-papiers et les résidents de longue date. Elle est flagrante, en termes d’allocations et de services de protection sociale, mais aussi de prise en charge des dépenses de santé (avec l’aide médicale d’État, l’AME, pour les sans-papiers). Aucun gouvernement lors des présidences successives depuis Nicolas Sarkozy n’a réussi à justifier le traitement inégalitaire de ces personnes.

Notre pays a les moyens

Bien d’autres réformes qui diminueraient les inégalités seraient les bienvenues, entre les différentes catégories de travailleurs et travailleuses par exemple. On pense notamment à l’intégration des travailleurs des plateformes dans la couverture des salariés, dossier que refusent de porter les services de l’Union européenne, malheureusement. Malgré ses imperfections, seule une protection sociale reposant sur la combinaison structurelle entre retraites décentes et couverture maladie universelle peut ralentir l’augmentation de la pauvreté et le développement des inégalités.

Cette stratégie est solidaire. Notre pays a largement les moyens financiers de la mettre en place. Elle devra notamment prendre en compte toutes les dimensions – pas seulement monétaire – de la pauvreté, par exemple dans le domaine de l’alimentation ou du numérique. Notre système de protection sociale doit être rénové, mais n’oublions jamais qu’en dépit de ses défauts, il a largement fait ses preuves.

Jean-Claude Barbier
Sociologue, directeur de recherche émérite CNRS, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Auteur avec Michaël Zemmour et Bruno Théret de Le système français de protection sociale, collection Repères, La Découverte, septembre 2021 (3e édition).

Extrait de Réduire les inégalités, c’est possible ! 30 experts présentent leurs solutions. Sous la direction d’Anne Brunner et Louis Maurin, édité par l’Observatoire des inégalités, novembre 2021.

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[1Ils sont certes plus divisés sur la façon de le financer.

[2Familialisme : conception qui défend l’idée que c’est au niveau de la famille, et non au niveau de l’individu, que doivent se calculer les transferts liés à la redistribution, ce qui, par exemple, exclut de rendre les jeunes en dessous de 25 ans éligibles à des allocations individuelles d’assistance.

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Date de première rédaction le 16 juin 2023.
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