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Peut-on mesurer la pauvreté scolaire ?

Peut-on appliquer au niveau de diplôme le même raisonnement qu’aux revenus et définir un seuil de « pauvreté scolaire » ? Le diplôme constitue bien une forme de patrimoine. Une analyse extraite du Centre d’observation de la société.

Publié le 27 décembre 2022

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Éducation Niveau d’études Échec scolaire

Être pauvre, c’est d’abord manquer d’argent. Pourtant, ne pourrait-on pas mesurer la pauvreté en fonction du niveau de diplôme ? Celui-ci constitue bien une forme de patrimoine. Certains sociologues parlent d’ailleurs de « capital culturel [1] ». Ce patrimoine se transmet comme la fortune : les enfants de diplômés sont beaucoup plus souvent diplômés eux-mêmes. Dans la société française, le titre scolaire est décisif dans la définition des positions sociales.

Il n’existe aucune définition de ce que l’on pourrait qualifier de « pauvreté scolaire ». Selon l’Insee, l’illettrisme [2] concerne 7 % des personnes de 16 à 65 ans [3]. Il s’agit là d’une situation extrême, une sorte de « grande pauvreté » scolaire. On pourrait raisonner autrement, et évaluer la pauvreté scolaire par rapport au reste de la population. Pour s’insérer dans l’emploi, on se situe par rapport aux autres en fonction de son niveau de diplôme. C’est cette méthode qui est utilisée pour définir la pauvreté monétaire, en calculant un seuil par rapport au niveau de vie médian de la population. On pourrait imaginer une pauvreté scolaire relative, dépendante du niveau général de la population.

Ce raisonnement est critiquable. Selon l’âge, les enjeux ne sont pas les mêmes : après la retraite, la question de l’insertion professionnelle ne se pose plus. Par ailleurs, le niveau scolaire s’élève au fil des générations. On pourrait imaginer une mesure pour un âge donné : chez les 25-29 ans, le diplôme médian est le baccalauréat et un quart ont au mieux un CAP ou un BEP. Le niveau scolaire est un capital (comme le patrimoine monétaire) qui n’évolue que rarement après la sortie du système éducatif. Enfin, en pratique, une partie de la population a peu de diplôme, mais elle s’est formée par l’expérience ou des formations non diplômantes. Le diplôme ne dit pas tout du niveau d’éducation.

Doit-on considérer l’illettrisme ou le niveau de fin de troisième comme un seuil de pauvreté scolaire ? La méthode peut être discutée, mais l’exercice a un sens. Dans des sociétés où avoir un diplôme et maîtriser des savoirs formels sont déterminants en matière d’insertion, en être exclu est bien une forme de pauvreté. On manque de travaux à ce sujet, alors que c’est impératif pour mieux comprendre les enjeux culturels de la société française. La France diplômée de l’enseignement supérieur long (supérieur à bac + 2) n’est qu’une frange très minoritaire de la population : elle en représente 22 %, deux fois moins que ceux qui n’ont qu’au maximum le BEP. Les « classes moyennes » du diplôme ont entre le brevet des collèges et le bac. Les plus pauvres, au mieux le certificat d’études. Il existe un décalage entre la représentation de la société française chez les plus diplômés et sa réalité d’ensemble. Ce qui est sans doute l’un des éléments explicatifs de ses tensions actuelles.

Comment faire ? On cherche à mesurer la part de la population qui se situe en dessous de la moitié du niveau de diplôme médian, en s’inspirant du mode de calcul de la pauvreté monétaire à 50 % du niveau de vie médian. On se heurte à un premier problème : on ne peut pas classer un par un les individus, du moins diplômé au plus diplômé, mais seulement hiérarchiser les grands groupes de diplôme (le brevet des collèges, le CAP, le BEP, etc.). Le niveau de diplôme médian se situe environ au niveau du CAP ou du BEP en 2021 (voir premier graphique) : c’est le diplôme maximum pour 49 % des Français. Le diplôme type des classes moyennes en France. Un deuxième problème surgit alors. Comme savoir ce que vaut « la moitié d’un CAP ou d’un BEP » pour déterminer notre seuil de pauvreté scolaire ? Impossible à définir. On peut tout de même remarquer qu’un quart de la population dispose au maximum d’un niveau de fin de classe de troisième. C’est d’ailleurs à ce niveau que l’on parle de « sortants précoces » (avec au maximum le brevet des collèges), qui constitue une forme de pauvreté scolaire, mais uniquement pour les générations qui sortent de l’école : 7,8 % des jeunes qui ont quitté l’école en 2021 étaient dans ce cas.

Population des 25 ans et plus.
Lecture : 25 % des personnes de 25 ans et plus n'ont aucun diplôme ou au maximum le brevet des collèges.

Source : Insee – Données 2021 – © Observatoire des inégalités

Graphique Données
Lecture : 12 % des personnes âgées de 25 à 29 ans n'ont aucun diplôme ou au maximum le brevet des collèges.

Source : Insee – Données 2021 – © Observatoire des inégalités

Graphique Données

Extrait de « Peut-on mesurer la pauvreté scolaire ? », Centre d’observation de la société, 21 novembre 2022.

Photo / CC Timon Studler


[2Personnes scolarisées en France mais qui ne maîtrisent pas suffisamment les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul pour être autonomes dans la vie courante.

[3Voir « Pour les générations les plus récentes, les difficultés des adultes diminuent à l’écrit, mais augmentent en calcul », Insee Première n° 1426, décembre 2012.

Date de première rédaction le 27 décembre 2022.
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