Point de vue

Allocations familiales : cibler ou taxer ?

Faut-il taxer ou plafonner les allocations familiales ? Un sujet controversé qui représente 13 milliards d’euros. Le point de vue de Julien Damon. Extrait de Actualités sociales hebdomadaires.

Publié le 19 mars 2013

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Revenus Modes de vie

Le serpent de mer de la révision, pour cause d’économie, des allocations familiales refait surface. Cette fois-ci, il s’agirait de les taxer (c’est-à-dire de les compter dans le revenu imposable des ménages) ou de les plafonner (c’est-à-dire de les mettre sous condition de ressources). À ce jour, rien n’est encore décidé. Expertises, tribunes (dont celle-ci) et controverses s’accumulent. Tentons de mettre un peu de clarté sur un sujet qui représente environ 13 milliards d’euros.

Les allocations familiales – cette prestation servie à toutes les familles à partir de deux enfants – sont universelles (pas de condition de revenu), forfaitaires (un même montant pour tous) et progressives en fonction du nombre d’enfants (rien pour un enfant, 130 € pour deux, 290 € pour trois). Déjà, en 1998, elles avaient été placées dix mois sous condition de ressources. La mesure avait alors suscité de nombreuses controverses avant que le gouvernement ne revienne sur sa décision, tout en réduisant les avantages du mécanisme fiscal de quotient familial. Depuis des années qu’il fait débat le thème est assez bien balisé.

Le recentrage sur les plus modestes pose le problème de la définition des seuils à partir desquels les ménages peuvent être considérés comme « modestes ». Les plafonds des conditions de ressources, pour d’autres prestations que les allocations familiales, sont aujourd’hui variés. D’un côté, la très grande majorité des familles peuvent bénéficier de la prime de naissance (qui n’est pas une allocation familiale), contenue dans la Prestation d’accueil du jeune enfant. De l’autre, les plafonds de ressources de minima sociaux comme le RSA socle ou de dispositifs comme la CMU en limitent l’attribution à une partie restreinte, mais très défavorisée, de la population. D’un côté le ciblage peut concerner 90 % de la population, de l’autre 10 %. Dit, de manière inversée, d’un côté 10 % des personnes sont exclues du dispositif ; de l’autre plus de 90 %…

La mise sous condition de ressources des allocations familiales présente trois effets pervers possibles. L’effet de seuil : des personnes en situation très similaire ne peuvent bénéficier de la même prestation car les ressources dont elles disposent sont pour certaines tout juste au-dessus du seuil, pour les autres tout juste en-dessous. Le ciblage est, ici, couperet. L’effet de marquage : le ciblage, car il désigne des cibles, passe par une caractérisation négative de ses cibles, ici les personnes les plus modestes. Ainsi marquées, des populations sont renvoyées à leurs particularités. L’effet de délitement : limitant l’accès de certaines prestations à des catégories particulières, le ciblage peut produire une fracture entre les bénéficiaires des prestations et ceux qui les financent mais n’en bénéficient pas. Ce dernier effet pervers est le plus préoccupant. La systématisation du ciblage pourrait aboutir à l’effondrement d’une protection sociale seulement restreinte à une population marginale.

À défaut (ou en complément) de leur plafonnement, on peut rendre les allocations familiales imposables. C’est ce que le Premier président de la Cour des comptes a évoqué. Une telle proposition a l’avantage de ne pas remettre en question l’universalité de la prestation, tout en rapportant 800 millions d’euros à l’Etat. Cependant, politiquement, elle est dérangeante car elle peut affecter une part très importante de la population.

Si vraiment on veut jouer avec le critère des ressources, on peut, plutôt qu’une mise sous condition de ressources, établir une modulation des allocations familiales. Toutes les familles toucheraient donc quelque chose, les plus défavorisées un peu plus. Les Anglais – qui viennent, eux, de mettre leurs allocations familiales sous un sévère plafond de ressources – baptisaient cette orientation « l’universalisme ciblé ». Mais deux problèmes surviennent. Celui, classique, des seuils de modulation. Et celui, plus embarrassant, de la prise en compte des ressources dans les cas de résidence alternée des enfants. En effet, depuis quelques années, il est possible de partager les allocations familiales entre les deux foyers d’alternance. En cas de modulation des prestations en fonction des ressources, quelles ressources prendre en compte ? Rien n’est simple…

Pour finir, toujours dans la complexité typique de la politique familiale, il faut souligner que bien d’autres sources d’économies sont possibles. Sur un plan financièrement anecdotique, on pourrait tout bonnement supprimer des structures comme les « Points informations familles » qui ne servent pas à grand chose. Sur un plan financièrement astronomique, on pourrait drastiquement réviser les avantages familiaux de retraite (bonification et majoration en fonction du nombre d’enfants) qui représentent des sommes importantes (autour de 10 milliards d’euros) et qui ne concernent pas les enfants. En un mot, plutôt que de se faire peur avec taxation et plafonnement, on peut attendre une mise à plat et une direction claire de cette horlogerie sophistiquée des dépenses familiales. On pourrait envisager de supprimer totalement le quotient familial et de redéployer les sommes ainsi obtenues par le biais d’une allocation identique pour chaque enfant, pour tous les enfants. Cela permettrait de revaloriser nettement les allocations et, entre autres, de créer une allocation familiale conséquente au premier enfant au lieu de la prime anachronique pour le troisième qui existe aujourd’hui.

Par Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po (Master Urbanisme). Voir son site.

Extrait de Actualités sociales hebdomadaires, lettre n° 2798 du 22 février 2013.

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Date de première rédaction le 19 mars 2013.
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